
Dr Alexandra Guyard
Paris, France -- Médecin des Urgences médicales de Paris (UMP), le Dr Alexandra Guyard travaille en ce moment nuit et jour pour les patients « Covid » lors de ses visites (chez des particuliers, dans les Ehpad ou les foyers). Elle témoigne des difficultés auxquelles elle est confrontée quotidiennement dans le contexte de l’épidémie. Comme ses collègues, elle manque cruellement de matériel de protection (masques, sur-blouses, sur-chaussures, charlottes…). Et travaille avec l’angoisse d’être contaminée, mais aussi de contaminer ses patients et son entourage proche.
Travailler nuit et jour
En temps normal, le Dr Alexandra Guyard, médecin des Urgences médicales de Paris (UMP), fait uniquement des visites à domicile la nuit, 3 ou 4 fois par semaine. Mais, en ce moment, elle travaille nuit et jour pour les patients « Covid » qui représentent 99 % de ses visites. « La plupart des médecins ont doublé leur temps de travail *. Cela ne veut pas dire qu’on voit plus de patients, mais ils demandent plus de temps de prise en charge : équipement avec le matériel de protection, gestion du stress, explications liées au virus, nettoyage du matériel, déshabillage… », détaille le médecin.

Âgé de 38 ans, le Dr Guyard, qui fait régulièrement des tournées en duo avec le Dr Sabrina Ali Benali, n’avait jamais travaillé autant (tous les jours en comptant la régulation), dans des conditions aussi difficiles ; obligée d’avoir recours quotidiennement au système D pour pallier le manque de matériel de protection, sans pour autant réussir à faire disparaître la boule qui lui colle au ventre durant ses horaires de travail.
* Soit 40 heures de travail par semaine, contre 24 heures en temps normal, sans compter 16 heures de régulation par mois, contre 8 heures d’habitude.
Système D
Comme ses collègues, la pénurie de matériel, notamment de masques FFP2, l’a directement impactée quand les premiers cas de Covid-19 ont été recensés en France, fin janvier dernier. « Nous n’avions pas de stock de masques, juste un peu de matériel pour nous-mêmes : masques, blouses, sur-blouses, gants… Mais ce stock n’a pas tenu longtemps. » Pourtant, dès la troisième semaine de janvier, les médecins des UMP passent des commandes de masques FFP2 en grande quantité. « Mais elles ne sont jamais arrivées. On a finalement réussi à en récupérer grâce au bouche-à-oreille. Par exemple, des pharmacies qui ne fonctionnaient plus nous en ont vendu à prix de gros », précise le Dr Guyard.
Mais c’est surtout grâce aux dons que les médecins des UMP ont réussi à se procurer des masques. En lançant des alertes sur les réseaux sociaux pour savoir si des personnes avaient des « filons » pour trouver du matériel. Le profil des donateurs ? « Beaucoup de particuliers, pas mal de dentistes, médecins ou pharmaciens qui se sont retrouvés sans activité ou qui avaient des réserves avant la crise », selon le Dr Guyard. Mais aussi BarakaCity , une association humanitaire qui vient en aide aux populations démunies partout dans le monde, qui « nous a envoyé un énorme carton au début de l’épidémie ».
Dons bienvenus, même de masques périmés
Aujourd’hui, les médecins des UMP arrivent à faire face à la pénurie de masques FFP2, « uniquement grâce aux dons et aux achats à bas coût de patients qui nous les envoient », poursuit le médecin. Des cartons entiers continuent à arriver en permanence. « Pour le moment, on en a encore pour 3 à 4 semaines, mais cela va devenir compliqué ensuite… Il va falloir réfléchir à d’autres solutions. » Car même si l'Union Régionale des Professionnels de Santé (URPS) a ouvert à l’interprofessionnalité son outil monpharmacien-idf.fr pour permettre à tous les professionnels de santé de ville de passer des commandes de masques, ce canal d’approvisionnement « fournit à peine une dizaine de masques par semaine », d’après le Dr Guyard.
Autre problème : les masques FFP2, qui représentent l’essentiel des dons, sont, pour la plupart, périmés. « Les élastiques ne tiennent pas très bien, mais c’est déjà mieux que rien », relativise le médecin, qui, comme tous ses collègues, garde un sac hermétique dans sa voiture où elle garde tous ses masques périmés « en cas de nécessité ».
En revanche, les médecins des UMP (65 en activité, dont 20 ont été testés pour 2 cas positifs jusqu’à présent) sont confrontés à une pénurie de sur-blouses, sur-chaussures et charlottes qu’ils ne reçoivent pas en quantité suffisante. Par exemple, le Dr Guyard dispose à peine de dix sur-blouses. « Donc j’utilise des sur-blouses pour les patients dont j’estime, avant d’arriver chez eux, qu’ils sont fragiles et qu’ils n’ont pas le coronavirus ». Pour les patients « Covid », le médecin doit se contenter de leur rendre visite avec ses propres vêtements qu’elle passe ensuite à la machine à laver à 60 degrés en rentrant chez elle.
Téléconsultation pour les malades et les médecins fragiles
Certes, avec les patients « Covid », « on ne se protège pas nous-mêmes, mais, au moins, on sait que l’on protège les personnes fragiles car on garde les surprotections uniquement pour les personnes fragiles et saines. » Revers de la médaille ? « On a tous peur », précise le Dr Guyard qui ajoute que les médecins des UMP les plus fragiles ont été mis un peu en retrait : « on a mis en place la téléconsultation pour les malades et les médecins fragiles, car on ne pouvait pas les mettre en contact avec les malades, c’était trop risqué pour eux. » Une téléconsultation qui représenterait moins de 5 % de la prise en charge.
Mais ce n’est pas parce que le Dr Guyard n’a pas été mise en retrait qu’elle ne souffre pas d’angoisses. En l’absence de matériel suffisant, « on est obligés d’attacher nos cheveux, de penser à tout ce qu’on fait. Dès que l’on se touche le visage, on se met tout de suite du liquide hydro-alcoolique sur le visage. On vit dans la peur de contracter le virus, d’autant plus qu’on pourrait contaminer notre entourage… » Soit, pour le médecin, un bébé de 11 mois et un conjoint asthmatique :
« S’il est contaminé, qu’est-ce qui va se passer ? Est-ce qu’il va terminer en réa ? Est-ce que je dois vraiment rentrer chez moi le soir, sachant que je ne peux pas m’isoler toute seule dans une pièce chez moi en raison du manque de place ? », s’interroge le médecin.
Le plus angoissant : les visites en foyers et en EHPAD
Quand on lui demande ce qui l’angoisse le plus, Alexandra Guyard parle de ses visites dans les foyers où les « personnes sont fragiles et ont de lourds passés médicaux ». Mais aussi dans les établissements pour personnes âgées (EHPAD) où « ils n’ont pas de matériel, pas de masques, pas de sur-blouses, pas de sur-gants… Ils sont un soignant pour 50 malades la nuit. Donc, quand on arrive, on a juste notre propre masque pour se protéger ». Elle va donc voir en premier, avec une tenue intégrale de protection, « les personnes dont on estime qu’elles n’ont pas le coronavirus. Mais on ne sait jamais à qui on va avoir affaire. Car certaines personnes contaminées n’ont pas de fièvre… » Puis, dans un deuxième temps, le médecin s’occupe des autres patients.
Mais « s’il s’avère qu’il y en a une personne en période d’incubation, je prends le risque de véhiculer le virus avec ma sur-blouse avec les patients d’après, car je ne peux pas changer de sur-blouse entre deux patients, poursuit le médecin. C’est horrible… Si on contamine une personne de 94 ans qui a de gros problèmes de santé, on aura contribué à la tuer... Vivre avec ça, c’est insupportable... »
Pour se rassurer, le Dr Gyard rappelle les patients qu’elle a soignés les jours précédents : « Tous les jours, j’ai 20 à 30 mails, sms et appels à gérer. Je leur demande comment ils vont pour savoir où ils en sont. Il m’arrive aussi de repasser juste pour une saturation en oxygène, quand j’ai eu peur pour eux. »
Et pour se rassurer encore plus, le médecin se dit la chose suivante : « je vis en espérant que je fais plus de bien que de mal aux personnes fragiles... » Elle ne devrait pourtant pas en douter.
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Citer cet article: Dans la peau d’un médecin des Urgences médicales de Paris - Medscape - 14 avr 2020.
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