POINT DE VUE

Pétition pour un élargissement de la prescription d’hydroxychloroquine : interview du Pr Perronne

Stéphanie Lavaud

7 avril 2020

France – Le 3 avril, les Prs Philippe Douste-Blazy et Christian Perronne ont lancé une pétition intitulée « Traitement Covid-19: ne perdons plus de temps ! » en faveur d’un accès plus large des patients à l’hydroxychloroquine et à la mise en place de « réserves », pour en disposer plus largement quand les preuves d’efficacité auront été établies.

Le Pr Perronne revient sur les arguments en faveur d’un tel élargissement de la molécule aux patients symptomatiques.

La pétition a reçu l’appui de spécialistes des maladies infectieuses comme les Prs François Bricaire et Marc Gentilini et par des médecins urgentistes comme le Dr Patrick Pelloux.

Elle a recueilli en quelques jours plus de 385 000 signatures du grand public, du jamais vu en si peu de temps selon le site hébergeur.

Pour tous les malades atteints de forme symptomatiques

Dans cette lettre adressée au Premier Ministre et au Ministre de la Santé, l’ancien Ministre de la Santé et le chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Raymond Poincaré (Garches) demandent, d’une part, au gouvernement « de mettre à disposition immédiate dans toutes les pharmacies hospitalières de l'hydroxychloroquine ou, à défaut, de la chloroquine pour que chaque médecin hospitalier puisse en prescrire à tous les malades atteints de forme symptomatiques de l'affection à Covid-19, particulièrement à ceux atteints de troubles pulmonaires si leur état le requiert ».

Ils appellent, d’autre part, « l'Etat à effectuer des réserves ou des commandes d'hydroxychloroquine afin que, si l'efficacité se confirmait dans les prochains jours, nous ne soyons pas en manque de traitement ».

Rappelons qu’à ce jour, le décret en vigueur en France n° 2020/337 du 26 mars 2020 ne permet l'utilisation de l'hydroxychloroquine qu' « après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut-Conseil de la Santé Publique et, en particulier de l'indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d'une défaillance d'organe », c’est-à-dire à un stade très avancé de la maladie.

Interrogé par Medscape édition française, le Pr Perronne détaille les arguments avancés en faveur de cet assouplissement du décret, dans « l'attente de nouvelles données scientifiquement contrôlées » – un assouplissement qui vise aussi, précise la pétition, à « éviter à tout prix l’automédication ».

Medscape édition française : Vous demandez dans la pétition d’élargir la prescription d’hydroxychloroquine aux patients symptomatiques pour le Covid-19. Pourquoi ?

Pr Christian Perronne : Entre 300 et 500 morts par jour selon les périodes, cela fait quand même beaucoup de gens qui décèdent alors que, peut-être, – je n’ai pas de certitude –, on aurait pu sauver des vies en donnant de l’hydroxychloroquine (HCQ). Je ne comprends vraiment pas le choix qu’ont fait les Autorités françaises en publiant ce décret qui limite sa prescription aux personnes mourantes alors qu’on sait qu’il ne fonctionne pas aux stades tardifs. Ce serait un produit récent, et très dangereux, il en serait autrement… mais ce n’est pas le cas.

Vous suggérez dans la pétition d’utiliser l’hydroxychloroquine, ou, à défaut la chloroquine. Les molécules ont-elles une efficacité équivalente ?

Pr Perronne : Le produit historique est la chloroquine, commercialisée sous le nom de Nivaquine®. L’hydroxychloroquine, connue sous le nom de Plaquenil®, a été développée pour obtenir un meilleur profil de tolérance. Quand on a le choix, mieux vaut privilégier l’hydroxychloroquine, mais en cas de rupture de stock, on peut utiliser la chloroquine. Les Autorités américaines ont fait des stocks des deux molécules, leur efficacité est équivalente.

Quid des effets secondaires de ces produits ?

Pr Perronne : On a fait un buzz terrible autour de ces molécules alors qu’elles sont bien tolérées. Cela fait 50 ans qu’elles sont en vente libre. Je ne dis pas qu’il ne faut pas prendre des précautions chez les personnes âgées, qui sont souvent polymédicamentées et chez lesquelles il existe un risque d’interactions si elles prennent un autre médicament qui allonge l’intervalle QT. Mais il faut savoir que des patientss en prennent au cours long pour des lupus ou des maladies cutanées. Qu’il faille faire attention avec une molécule nouvelle, chez des malades fragiles, à domicile, certes, mais dans le cas présent, elles sont hospitalisées.

Que pensez des décès américains et français que l’on a associé à l’HCQ prise en automédication ?

Pr Perronne : On a beaucoup médiatisé ces décès. Après la sortie des résultats du Pr Raoult, il y avait un buzz terrible sur Internet avec ce citoyen américain qui avait avalé le produit [à base de phosphate de chloroquine] pour nettoyer son aquarium. Quant aux 3 décès signalés en France, après vérification auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament, il s’est avéré que les personnes n’avaient pas toutes pris de l’hydroxychloroquine mais d’autres médicaments, et que l’imputabilité ne pouvait pas être établie.

Au final, je ne suis pas inquiet des effets secondaires de ces molécules, même si je pense plus prudent de réaliser un électrocardiogramme quand on donne à la fois de l’HCQ et de l’azithromycine [comme dans le protocole du Pr Raoult, ndlr] et, en particulier, quand il existe des facteurs de risque.

Sans vouloir m’avancer et parler à la place du Pr Raoult, je sais qu’une étude de son équipe sur plus de 200 personnes montrant une très bonne tolérance cardiaque a été soumise à publication.

Cette prudence vis-à-vis des effets secondaires rend-elle la prescription en ville impossible ?

Pr Perronne : Absolument pas. Je ne suis pas contre le fait qu’on puisse traiter des malades en ville. Un médecin est tout-à-fait capable de juger des facteurs de risque, des interactions. D’ailleurs, en Italie, les médecins de ville ont le droit de prescrire de la chloroquine, à condition que les malades se fournissent auprès des pharmacies des hôpitaux. En contrepartie, les Autorités italiennes demandent que les hôpitaux et les médecins mettent en place un retour d’informations médicales pour obtenir une certaine traçabilité. Ce qui parait logique.

Quelle est la position de la FDA ? Se montre-t-elle aussi réticente que nos Autorités de santé ?

Pr Perronne : Dans un premier temps, elle s’est montrée réticente. Prudent, le Conseiller de la Maison Blanche sur le coronavirus, Anthony Fauci [qui fait référence aux Etats-Unis en matière d’infectiologie] a commencé par dire qu’il fallait faire des études randomisées, avant d’affirmer quelques jours après, que d’après les données, même préliminaires, de la littérature, la balance bénéfice/risque était plutôt en faveur de l’HCQ. Le ministère de la santé américain a communiqué le 30 mars dernier pour dire qu’ils autorisaient tous les médecins américains, en ciblant le milieu hospitalier, à prescrire de l’HCQ sans condition de gravité et même en dehors de essais cliniques dans le cadre d’une autorisation d’utilisation en urgence (EUA pour emergency use authorization, l'équivalent d'une autorisation temporaire d'utilisation, ATU, en France) [1].

A-t-on des remontées du terrain, autres que les résultats du Pr Raoult ?

Pr Perronne : Outre-Atlantique, l’HCQ a été envoyée dans toutes les pharmacies hospitalières, pour une délivrance à l’hôpital. Il existe des zones comme New York, où des médecins généralistes ont pu en disposer. La presse s’est fait écho d’un excellent retour des médecins de NYC, et même chose en Italie, avec ce médecin italien dans le Lazio, qui a traité plus de 1000 patients avec l’HCQ, pour des formes peu sévères, et qui se réjouit d’avoir vu baisser le nombre d’hospitalisations [2]. Cela commence à faire beaucoup de témoignages qui remontent du terrain, y compris en France, comme celui de ce praticien hospitalier lorrain qui, depuis une semaine, de son propre chef, prescrit avec succès la « méthode Raoult ». Viennent s’ajouter les résultats de l’étude chinoise randomisée de 62 patients parue le 31 mars [3]. De façon intéressante, même si ce n’était pas le cœur de la publication, les auteurs chinois précisent avoir envoyé un questionnaire à 80 patients sous hydroxychloroquine pour traiter leur lupus et indiquent qu’aucun n’a développé l’infection à Covid-19, alors qu’ils habitent à Wuhan, à l’épicentre de l’épidémie.

Un autre des arguments développés dans la pétition est que le taux de mortalité chez les personnes hospitalisées serait beaucoup plus faible à Marseille que dans le reste du territoire .

Pr Perronne : En reprenant les chiffres publiés tous les jours par Santé Publique France, nous avons fait des corrélations entre les hospitalisations, les sorties de l’hôpital et les données de retour à domicile ou de décès. On s’aperçoit que 11% des patients décèdent à l’hôpital dans les Bouches-du-Rhône contre 31% à Paris et 40% en Moselle. Même si je reconnais qu’il peut y avoir des biais, le taux de mortalité diffère tellement selon les régions, que les Autorités devraient s’interroger.

https://twitter.com/ChroniLyme/status/1246810564904583168

Medscape édition française : Autre requête, vous appelez l'Etat à effectuer des réserves ou des commandes d'hydroxychloroquine.

Pr Perronne : Au-delà de la polémique, je ne comprends pas la position des Autorités françaises. Il y a un médicament, dont on sait depuis plusieurs semaines qu’il peut marcher, qu’il ne coûte pas cher… Si l'efficacité de l’HCQ se confirmait dans les prochains jours, qu’au moins nous ne soyons pas en manque de traitement. Et ce, alors que les Etats-Unis, sous la houlette du Président Trump, sont en train de se faire approvisionner par Novartis, Bayer, Teva, Mylan… et que Sanofi, notre fleuron de l’industrie pharmaceutique ne fabrique même plus le Plaquenil en France.

La question de l’approvisionnement ne concerne d’ailleurs pas seulement l’HCQ, le Pr Jean-Luc Schmit, chef du service des Pathologies infectieuses et tropicales et responsable des unités Covid-19 au CHU d’Amiens, qui participe à l’étude Discovery , a fait savoir qu’il ne disposait pas de remdesivir, une molécule antivirale conçue initialement pour traiter le virus Ebola et qui est fabriquée exclusivement par le laboratoire américain Gilead basé en Californie.

Pourquoi ne participez-vous pas à l’étude Discovery ?

Pr Perronne : Je suis d’accord pour participer à des études contre placebo lorsqu’elles sont proposées à des malades qui ne sont pas trop sévèrement atteints. Je pense que des patients accepteraient en toute connaissance de cause d’être tirés au sort avec la possibilité de ne pas être traités. Mais faire des essais avec des groupes témoins non traités chez des personnes qui sont dans un état pathologique avancé, comme dans Discovery, je trouve que cela n’est absolument pas éthique.

Je raisonne toujours en médecin, comme s’il s’agissait de moi ou de ma famille. Parfois, il faut savoir abandonner des principes trop rigoureux. Pourquoi condamner toute étude qui n’est pas tirée au sort et contre placebo [comme celles du Pr Raoult] et attendre des semaines pour avoir les résultats des études. Je suis très choqué par cette façon de penser et je crois que beaucoup de Français pensent comme moi.

 

Trois professeurs se mobilisent en faveur du protocole du Pr Raoult

Parallèlement à cette pétition, trois cancérologues, Fabien Calvo, professeur émérite de pharmacologie et ancien directeur scientifique de l’Institut national du cancer, Jean-Luc Harousseau, ancien professeur d’hématologie et ex-président de la Haute Autorité de santé et Dominique Maraninchi, professeur émérite de cancérologie et ancien directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ont publié une tribune dans le Figaro dimanche soir, recommandant d'appliquer le protocole élaboré par le Pr Raoult, qui prône l'usage de l'hydroxychloroquine associé à un antibiotique dès l'apparition des premiers symptômes du coronavirus.

Point fort de ce traitement selon eux : « une diminution très rapide de la charge virale avec négativation des recherches virologiques dans plus de 90 % des cas en moins de huit jours » qui permettrait « d’éviter l’aggravation et en particulier le transfert en réanimation »

 

 

 

 

 

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