Monde ― Dans une lettre publiée le 30 mars 2020 dans Annals of Internal Medicine , treize rhumatologues internationaux, dont le Pr Francis Berenbaum de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, mettent en garde sur les conséquences de la diffusion des résultats de l’étude du Pr Didier Raoult, qui rapporte un effet bénéfique de l’association hydroxychloroquine (HCQ) et azythromicine chez les patients Covid-19.
Depuis l’annonce de résultats préliminaires présentés sur Youtube le 17 mars dernier, mais surtout depuis l’immiscion du Président américain Donald Trump dans le débat, l’HCQ est l’objet de discussions passionnées entre les scientifiques et non scientifiques du monde entier, et notamment sur la balance bénéfice/risque de son utilisation. Au-delà des effets indésirables graves, tels que des arythmies cardiaques, la prescription massive d’HCQ anticipée, au vu de l’ampleur de la pandémie, fait craindre une pénurie du médicament actuellement prescrit dans des maladies chroniques comme le lupus érythémateux et la polyarthrite rhumatoïde.
Les risques de pénuries pour les patients en rhumatologie
Les Drs Alfred Kim (Université de Washington) et Jeffrey Sparks (Brigham & Women's Hospital, Harvard Medical School), principaux co-auteurs de la lettre, soulignent que plusieurs sociétés savantes « ont mis en garde sur les conséquences désastreuses [d’une pénurie] pour les patients atteints de maladies rhumatismales. Cela pourrait entraîner chez ces patients des risques de poussées graves, voire mortelles ; certains pouvant nécessiter une hospitalisation alors que les hôpitaux sont déjà à pleine capacité. »

Pr Francis Berenbaum
Interrogé par Medscape édition française, le Pr Francis Berenbaum, co-signataire de la lettre, confirme le risque encouru par les patients en rhumatologie : « Interrompre le traitement pourrait s’avérer dramatique pour un patient atteint de lupus. Il y a un risque de poussée qui pourrait être suivi d’une insuffisance rénale ou d’une autre atteinte viscérale. On met donc en danger des patients. »
Utilisé en milieu hospitalier depuis le 26 mars chez les patients à un stade sévère, le Plaquenil® n’est pour l’instant pas autorisé en ambulatoire dans le traitement du Covid-19 en France. « La France n’est, pour le moment, pas concernée par une pénurie… a indiqué le Pr Berenbaum. Les laboratoires nous ont confirmé avoir mis en place des mesures pour qu’il n’y ait pas de rupture d’approvisionnement… mais je peux vous confirmer qu’aux États-Unis ce n’est pas le cas et qu’il y a beaucoup de patients qui se retrouvent en difficulté. »
S’il n’y a pas de pénurie actuellement en France, le Pr Berenbaum tient à rassurer les patients. Certains « m’ont appelé pour me dire que leur pharmacie n’avait plus qu’une ou deux boîtes, mais le laboratoire Sanofi a mis en place un numéro vert pour les patients et un autre pour les pharmaciens afin de s’assurer d’être approvisionné en Plaquénil ».
Prudence en l’absence de résultats validés
Les rhumatologues sont d’autant plus inquiets que l’emballement pour l’HCQ ne repose selon eux sur aucun essai validé. « Les résultats de l'étude [marseillaise] ont été extrapolés pour inclure l'utilisation du HCQ en prévention de l'infection au Covid-19 ou comme prophylaxie post-exposition, indications pour lesquelles il n'existe actuellement aucune donnée directe » rappellent-ils dans leur déclaration.
Pour le Pr Berenbaum, « Nous sommes actuellement dans une situation d’affolement et on agit en dehors de toutes les règles minimales en recommandant de prescrire [l’HCQ] à tout le monde… Et les nouveaux résultats présentés récemment ne prouvent absolument pas que le traitement est efficace, car non seulement il n’y a pas de groupe contrôle, mais on passe outre toutes les règles de base de recherche d’efficacité pour une nouvelle molécule. »
Si les rhumatologues reconnaissent la « justification scientifique » pour étudier les effets de l’HCQ dans le traitement du Covid-19 et sont conscients que « compte tenu de l'urgence de la situation, certaines limites de l’étude peuvent être acceptables, notamment la petite taille de l'échantillon, l'utilisation d'un end point non validé et l'absence de randomisation en aveugle », ils s’inquiètent « d'autres défauts méthodologiques… qui mettent en doute la validité des résultats. »
Pour le Pr Berenbaum, « évidemment que nous sommes face à une maladie qui peut, dans un certain nombre de cas, aboutir au décès, donc je comprends très bien que nous soyons, au niveau national, dans une urgence. Mais ce qui est extrêmement gênant dans toute cette histoire, c’est que le Pr Raoult affirme l’efficacité sans que, pour autant, aujourd’hui, on ait une preuve de cette efficacité. »
Le Pr Berenbaum confirme que, certes, l’HCQ « n’est pas un médicament qui a des effets indésirables fréquents ou graves, en tout cas pas à la posologie à laquelle il est prescrit en rhumatologie. Il est globalement bien toléré… » Mais il met en garde contre le protocole de l’étude marseillaise, dans laquelle l’HCQ « est prescrite à une dose bien plus élevée et chez des personnes qui, parfois, sont plus fragiles. Donc les risques que l’on fait prendre en prescrivant à tout va ce médicament, je l’accepte à partir du moment où on a une certitude d’un bénéfice. Un prescripteur ne s’appuie que sur une balance bénéfice-risque donc, tant que je n’ai pas de preuve, je considère qu’il n’y a pas de raison de prescrire le médicament à tout va. »
Les signataires de la lettre estiment donc qu’il est de leur responsabilité « de promouvoir une interprétation correcte et rigoureuse des résultats, en particulier dans les interactions avec la communauté non scientifique » et déconseillent « l’utilisation hors AMM [de l’HCQ] jusqu'à ce que cela soit justifié et que la [disponibilité du médicament] soit renforcée. »
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Citer cet article: Les rhumatologues inquiets devant l’engouement pour l’hydroxychloroquine - Medscape - 6 avr 2020.
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