France - 20% des patients Covid-19 présentent des dommages myocardiques. Que sait-on sur les mécanismes ? Quel est l’impact sur la prise en charge en salle de cathétérisme ? Le Dr Michel Zeitouni interroge le Pr Jean-Philippe Collet, cardiologue interventionel à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
TRANSCRIPTION
Michel Zeitouni — Bonjour à tous. Nous sommes en direct de l’Institut de Cardiologie à la Pitié-Salpêtrière avec le Pr Jean-Philippe Collet, cardiologue interventionnel et chercheur au groupe ACTION COEUR, pour discuter des atteintes cardiaques du COVID-19.
Certains papiers de cohortes chinoises publiées ces dernières semaines indiquent qu’environ 20 % de patients souffraient d’un dommage myocardique lors de cette infection au COVID-19.[1,2] Pouvez-vous nous en dire plus ? Quel est le mécanisme d’atteinte ? Porte-t-il atteinte au pronostic des patients ?
Jean-Philippe Collet — Les atteintes myocardiques sont très fréquentes dans cette pathologie, il y a donc probablement des atteintes spécifiques qui sont expliquées, en partie, par la présence des récepteurs du virus au niveau du myocarde, et en particulier, du lit vasculaire ― donc il y a des atteintes microvasculaires qui sont probablement spécifiques ; on voit fréquemment des myocardites qui peuvent survenir en dehors de l’atteinte pulmonaire chez des malades qui sont détectés positifs pour le coronavirus. On sait que ces atteintes myocardiques est un vrai marqueur pronostic – a priori indépendant puisqu’il y a plus de décès – et les atteintes liées aux virus sont plus graves, en tout cas les atteintes extracardiaques quand il y a ces atteintes myocardiques spécifiques. Ensuite, il y a la partie pro-thrombogène du virus qui déstabilise aussi probablement des maladies chroniques. Et on voit très bien ce caractère pro-thrombogène avec des syndromes coronaires aigus, même s’ils sont a priori moins fréquents parce que les gens appellent moins.
Il y a également la déstabilisation d’autres cardiopathies chroniques, comme par exemple, des cardiomyopathies hypertrophiques. Donc on voit qu’il a des mécanismes spécifiques et non spécifiques qui sont liés au caractère pro-inflammatoire et pro-thrombogène du virus.
Michel Zeitouni — Concernant l’aspect pro-thrombogène, il y a une étude observationnelle sur l’effet potentiellement bénéfique de l’anticoagulation chez les patients Covid-19 avec un SDRA sévère, donc il faudra expérimenter cette piste. Avez-vous vu des myocardites et/ou des infarctus au cath-lab [durant cette épidémie] ?
Jean-Philippe Collet — Nous voyons des patients avec des tableaux typiques de SCA ST+ qui sont en fait des myocardites, donc la gestion est assez complexe parce que ce sont des patients qui ne sont pas faciles à mobiliser. En ce qui concerne le caractère pro-thrombogène, nous voyons deux choses :
Il faut « anticoaguler » les patients de façon curative quand ils ont des taux de D-dimères très élevés. Ce genre d’anticoagulation n’est pas facile à cause du caractère très inflammatoire, en tout cas avec l’héparine non fractionnée.
Nous voyons aussi des thromboses de canule d’ECMO chez ces patients, ce sont des choses qu’on n’avait pas avant. Il y a actuellement des essais en cours, notamment sur tous les accidents thrombotiques qui surviennent, la réanimation… En particulier il y a le groupe GIHP, le groupe d’hémostase français, qui a commencé cette étude aujourd’hui.
Michel Zeitouni — Vous dirigez le cath-lab à l’hôpital de Pitié-Salpêtrière : les pratiques ont-elles changé, notamment chez les patients à bas risque ? Utilise-t-on plutôt le coroscanner, et notamment, scanne-t-on les poumons en même temps ?
Jean-Philippe Collet — Comme il y a une diminution des ressources et des équipes, qui sont évidemment moins fournies puisqu’elles sont dirigées vers les ressources de médecine intensive, nous avons des équipes qui sont moins étoffées pour tout ce qui est cath-lab. D’autre part, nous voulons éviter les procédures compliquées de cathétérisme qui pourraient aboutir à des gestes de réanimation. Donc, chez des patients qui sont dits à faible risque de SCA ST- par exemple, nous avons plutôt tendance à faire des scanners injectés qui permettent d’éliminer la pathologie coronaire, dépister l’embolie pulmonaire, et éventuellement faire le bilan du COVID en termes de la gravité de l’atteinte pulmonaire. Nous faisons don énormément de scanner.
Concernant l’organisation : nous avons cinq cath-labs, dont un qui est dédié pour le COVID. En pratique, il faut évidemment vider le cath-lab de tous les devices et des solutés pour éviter la contamination et [organiser] tout le cheminement avec l’entrée du patient et l’entrée des opérateurs, pour se protéger au maximum. Ce sont des choses qui s’apprennent et il y a des tips and tricks, mais maintenant c’est quasiment sur tous les sites des sociétés savantes. Mais il faut s’organiser et ce n’est pas toujours facile dans les unités où il y a un seul cath-lab.
Michel Zeitouni — Très bien. Merci de nous avoir guidé sur les atteintes cardiaques de ce Covid-19.
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Citer cet article: Atteintes cardiaques du Covid-19 : quelle prise en charge ? - Medscape - 3 avr 2020.
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