Réorganisation des services, télémédecine, préparation pour une éventuelle 2ème vague épidémique : le point sur la situation avec le Collège National des Cardiologues Hospitaliers.
TRANSCRIPTION
Walid Amara — Bonjour, je suis Walid Amara et j’ai le plaisir d’être avec mon ami Franck Albert, président du CNCH et cardiologue interventionnel à Chartres. Dans cette vidéo nous allons parler de la façon dont nous avons vécu cette épidémie de COVID-19, et surtout, comment nous allons nous organiser dans le futur.
Les initiatives du CNCH
Walid Amara — Le CNCH a été très proactif dans l’information donnée aux médecins concernant cette épidémie de COVID-19. Peux-tu nous faire un point sur ce qui a été fait durant cette période ?
Franck Albert — Bonjour, Walid. Comme tu le sais, nos hôpitaux du CNCH ont été très touchés par cette crise sanitaire qui s’annonçait, au début, comme une petite « grippette ». Finalement, c’est une vraie pandémie, avec plus de 25 000 décès en France. Rapidement, nous avons eu besoin de communiquer et de faire des retours d’expérience, notamment pour bénéficier des retours des régions les plus touchées, comme l’Île-de-France. Ce sont nos hôpitaux qui ont été le plus touchés au départ, comme à Colmar, Mulhouse, Haguenau, avant que les CHU soient vraiment impactés. Et l’Île-de-France, bien entendu.
À ce titre, nous avons fait quatre webinaires qui ont eu beaucoup de succès, avec des retours sur les urgentistes et les cardiologues qui ont réorganisé tout leurs services, les unités de soins intensifs qui ont été transformées en réanimation, la gestion spécifique de notre plateau technique interventionnel etc. Le quatrième webinaire a été sur la télémédecine. Nous avons pu inviter Patrick Jourdain qui nous a parlé de Covidom, cette fameuse plate-forme qui est unique au niveau européen et qui suit actuellement 55 000 patients suspects ou COVID+ à domicile, pour anticiper, éventuellement, les réhospitalisations ; il a parlé aussi du développement important de la télémédecine dans l’avenir, avec des levées de frein, actuellement, administratives. Nous suivons plus de patients, notamment en insuffisance cardiaque, avec les outils qu’on connaît ; nous suivons les prothèses cardiaques aussi en télémédecine, et je pense que cela va avoir un impact important sur le développement futur de tout ce qui est télécardiologie, téléexpertise ou télécardiologie avec aidants (c’est-à-dire des infirmières ou des infirmières de pratiques avancées qui pourraient faire l’électro et le cardiologue pourrait être à distance pour faire la consultation). Donc tout cela a été bien explicité dans tous nos webinaires et je pense qu’il y aura un avenir important de la télésanté, à la suite de cette crise sanitaire.
Walid Amara — Justement, je te relance sur la télésanté, parce que beaucoup de choses ont changé à grande vitesse. Durant cette période, la téléconsultation, dans ton service comme dans le mien, a été très utilisée pour éviter aux patients de venir à l’hôpital — penses-tu que cela va vraiment changer dans les semaines, mois et années à venir ?
Franck Albert — Je suis persuadé que les choses vont bouger. On a tous développé la télécardiologie. Au début c’était le téléphone portable. Maintenant, il commence à y avoir des logiciels avec MediConsult, où les ARS sont aussi partie prenante. Il y a des plates-formes nouvelles de type Rofim, où on pourra faire des partages d’images ou d’ECG numérisés, comme notamment la surveillance du QT si on met des patients sous hydroxychloroquine. Je pense que ce genre de choses va se développer de façon importante avec, j’espère, une valorisation de l’activité pour les cardiologues.
Walid Amara — On a cette impression générale, en France et à l’étranger, qu’au-delà même des patients COVID, les patients non-COVID cardiaques n’osent pas consulter car ils ont peur d’être contaminés, donc il y a moins d’infarctus et moins d’AVC qui viennent à l’hôpital. Comment vois-tu les choses ?
Franck Albert — Tu as participé à une doctrine cardiologique en Île-de-France (vous en êtes à la V3), et c’est effectivement un vrai problème — il y a eu une alerte du comité national auquel a participé le CNCH, pour informer les patients, les rassurer et qu’ils viennent consulter au moindre symptôme avec des mesures de sécurité, des barrières, des masques pour les patients, pour les recevoir, pour éviter qu’il y ait du retard de prise en charge. On a déjà une première étude qui montre que dans le STEMI, on a une surmortalité de 70 % actuellement chez ces patients non-COVID, parce qu’ils n’appellent pas le 15, ils restent confinés chez eux.
La réorganisation des services hospitaliers après le déconfinement
Franck Albert — Actuellement, la vraie question, c’est le déconfinement. Dans votre version 3, tu as participé de manière active avec l’ARS de l’Île-de-France. Comment vois-tu la réorganisation de nos services ? Avec les tests de dépistage systématique ou non ?
Walid Amara — Oui, les deux premières versions sont déjà en ligne. On travaille, effectivement, avec la Société Française de Cardiologie et avec les collègues libéraux sur la version 3 qui est en cours de rédaction. L’idée est de préparer la prise en charge des patients, notamment ceux qui ont été retardés, qu’on a décommandés, qu’on a annulés début mars et qui, peut-être, ne peuvent plus attendre. Et dans ces cas-là, il y a un certain nombre de mesures sur lesquelles on est en train de travailler.
- Je pense que les tests sont utiles, mais le problème est qu’on a un résultat en plus de 24 heures, donc cela reste trop long. On espère avoir des tests rapides et des sérologiques qui simplifieront la prise en charge.
- L’idée sera aussi de ne pas faire des hôpitaux COVID+ et des hôpitaux COVID. Il y aura des hôpitaux d’expertise qui recevront des cas compliqués, mais on recevra dans tous les hôpitaux et dans toutes les cliniques, des patients qui, au départ, ne seront pas étiquetés COVID-négatifs, mais qui se révéleront être COVID+. Donc il faudra être prêt à avoir des zones tampons dans les services avec des chambres seules, qui peuvent recevoir les patients qui n’ont pas été testés, le temps d’avoir le résultat qui permette de les orienter vers la meilleure unité. Il faudra beaucoup recourir à l’ambulatoire, avoir les durées d’hospitalisation les plus courtes, et finalement le moins exposer les patients.
- Cela va être très important de travailler sur le parcours du patient en consultation — cela concerne l’hôpital, mais surtout nos cardiologues libéraux. Il y ait la distanciation sociale, cela veut dire que les salles d’attente doivent être adaptées (on a souvent des salles d’attente trop petites, avec beaucoup trop de chaises). Il va falloir réduire le nombre de patients qui patientent, espacer les délais de telle manière qu’il y ait de moins en moins de malades qui se croisent, et idéalement, qu’ils ne se croisent pas. Il faudra absolument que les patients viennent avec des masques, ou si besoin, leur donner des masques — et c’est vrai, qu’il y a le challenge d’avoir des masques disponibles —, redésinfecter les salles. Finalement, il y a beaucoup de pistes qui permettront, quand le patient rentre à l’hôpital pour un acte, de mieux le prendre en charge de manière adaptée, mais également, quand le patient consulte ou vient pour une échographie ou un acte programmé, qu’il puisse être pris en charge dans les meilleures conditions.
Vers une deuxième vague épidémique ?
Franck Albert — As-tu peur de la deuxième vague ?
Walid Amara — Moi, je suis un éternel optimiste alors je pense qu’on ne peut pas la prévoir et qu’on n’en sait rien. Je me demande s’il y aura une saisonnalité du virus, et que peut-être, les beaux jours arrivant, il y aura moins de cas ― c’est l’hypothèse du gradient Nord-Sud entre le Nord et le sud de la France, voire même le sud de la Méditerranée, où il y a moins de cas qu’en France. J’y crois énormément. Maintenant, on se prépare, effectivement… Tous les plans qui sont faits au niveau des ARS indiquent qu’on prépare (c’est peut-être pour le mois de juin), mais qu’on ne sait pas ce que sera le mois de septembre. Je ne sais pas ce que tu en penses.
Franck Albert — Je suis un peu comme toi. On sait que 12 % des Parisiens sont immunisés. Dans d’autres régions, c’est 4 %, voire moins. Donc certains ont peur que les Parisiens descendent dans leur région pour les infester. Mais je suis assez optimiste et je pense qu’effectivement (les données de Didier Raoult sur le caractère saisonnier du virus, j’espère qu’il aura raison) on pourra retrouver quelque chose, progressivement, de normal.
Walid Amara — Il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas, mais ce qu’on sait, c’est qu’il faudra bien se préparer et réorganiser nos services, réorganiser le parcours du patient pour que cela se passe le mieux possible. Un dernier mot?
La solidarité des hôpitaux
Franck Albert — J’ai été très frappé par la solidarité de nos hôpitaux qui étaient au bord du gouffre il y a quelques mois. On a su répondre à cette demande et je trouve que cela a créé une grande solidarité loin de la T2A, avec des soignants qui ont été remarquables. Et c’est vrai qu’il y a eu une adhésion forte de tous les professionnels et soignants de santé dans cette épreuve.
Walid Amara — Merci, Franck, pour ce dernier mot. Je vous remercie tous de votre attention. Je vous invite à vous connecter sur le site du CNCH, vous aurez tous les liens des webinaires. Je vous remercie tous de votre attention.
Discussion enregistrée le 27 avril 2020
Direction éditoriale : Véronique Duqueroy
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Citer cet article: CNCH : quelle prise en charge en cardiologie après le déconfinement ? - Medscape - 13 mai 2020.
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