ACC : que retenir de POPULAR-TAVI, CARAVAGGIO et VICTORIA ?

Pr Jean-Philippe Collet, Dr Michel Zeitouni

Auteurs et déclarations

7 avril 2020

Jean-Philippe Collet et Michel Zeitouni passent en revue 3 études marquantes de l’ACC 2020 : POPULAR-TAVI qui teste l’association anticoagulant-antiagrégant dans le TAVI ; CARAVAGGIO qui compare l’apixaban à la daltéparine chez les patients souffrant de cancer et de thrombose veineuse aiguë ; et VICTORIA, qui montre un bénéfice du vériciguat dans l’insuffisance cardiaque avec dysfonction VG asymptomatique.

TRANSCRIPTION

Michel Zeitouni Bonjour, nous sommes en direct de l’Institut de cardiologie à la Pitié-Salpêtrière, avec le Pr Jean-Philippe Collet, cardiologue interventionnel, chef du cath-lab et chercheur au sein du groupe ACTION COEUR. Nous faisons une petite pause dans l’épidémie COVID-19, même si on est en plein dedans, pour parler des études du congrès de l’American College of Cardiology (ACC) 2020.

POPULAR-TAVI : pas de bénéfice de l’association anticoagulant-antiagrégant

Michel Zeitouni Pr Collet, vous avez regardé l’étude POPULAR-TAVI, puisque nous avons également l'étude ATLANTIS qui est en cours et dont vous êtes l'investigateur principal. Pouvez-vous nous expliquer le rationnel de l’utilisation, ou non, du clopidogrel en plus de l’anticoagulation chez les patients traités par TAVI et qui ont de la FA ?

Jean-Philippe Collet — POPULAR-TAVI est une belle étude, puisque c’est un champ d’investigation où il n’y a pas beaucoup de données chez des patients qui sont âgés. Le groupe de Jurriën ten Berg à Nieuwegein, en Hollande, a produit cette étude depuis 2015, avec une population tout-venant de patients qui bénéficiaient d’un remplacement valvulaire aortique percutané, et ils ont stratifié sur l’utilisation d’un anticoagulant, avec :

  • 1ère cohorte : si les patients ont besoin d’être anticoagulés, ils sont randomisés avant l’intervention pour avoir, ou non, du clopidogrel pendant 3 mois et on suit leur évolution à 1 an.

  • 2e cohorte : ce sont des patients qui n’ont pas besoin d’anticoagulation et la randomisation se fait entre aspirine seule versus aspirine + clopidogrel.

À l’ACC, ils ont rapporté la première cohorte, c’est-à-dire les patients qui ont besoin d’une anticoagulation et qui sont, pour la plupart, quasiment tous sous AVK pour neuf fois sur dix et … en fibrillation atriale. C’est donc une étude de non-infériorité et le critère primaire de jugement correspond aux saignements en fonction de la définition VARC. Le principal résultat est que lorsqu’on associe du clopidogrel à l’anticoagulation, on saigne davantage. Donc il y avait des critères secondaires, en particulier sur les événements ischémiques et sur des critères de bénéfice clinique net, où on ne voit pas, finalement, de grosses différences en faveur, mais toujours un effet plus néfaste de l’ajout du clopidogrel dans cette cohorte.

Les limites :

  • Il n’y a pas beaucoup de patients, puisqu’il y a pratiquement un peu plus de 300 — mais c’est une belle étude qui conforte les données de ce que l’on avait vu avec GALILEO, où les patients n’avaient pas d’indication à l’anticoagulation, mais où on comparait le rivaroxaban versus le rivaroxaban + un antiagrégant plaquettaire. Et ils avaient retrouvé un excès de complications hémorragiques chez les patients qui étaient sous rivaroxaban versus le groupe où il y avait uniquement les antiagrégants.

  • Le dessin de l’étude est un peu curieux : on ne s’est jamais posé la question d’ajouter un antiagrégant pour le TAVI, de façon spécifique, quand il y a une indication pour une anticoagulation. Donc c’est pour cela que cela ne correspond pas aux pratiques habituelles et on ne s’est jamais posé la question comme cela.

  • Autre limite de cette étude : la définition du critère de jugement. Ils ont considéré que les saignements qui survenaient pendant la procédure, et en particulier au niveau des cathéters, faisaient partie du critère primaire de jugement.

  • Enfin, dernière limite : on ne connaît pas bien le traitement antithrombotique pendant la procédure — et un certain nombre de patients ont dû continuer leur traitement anticoagulant oral pendant la procédure sans l’arrêter. Ce n’est pas une pratique dont on a l’habitude, compte tenu du fait que les cathéters sont gros, les patients sont âgés et le risque hémorragique est important.

Néanmoins, c’est un résultat important puisque cela nous dit qu'il ne sert à rien d’ajouter un antiagrégant quand on n’en a pas besoin, et je pense qu enous sommes tous d’accord. C’est une étude qui a mis du temps à recruter puisqu’ils ne voulaient pas être pollués par les patients qui avaient une indication pour un antiagrégant en raison d’une angioplastie.

Dans le critère d’inclusion de cette étude, en fait, ils ont éliminé tous les patients qui avaient eu une angioplastie dans un délai de trois mois avant d’avoir le remplacement valvulaire aortique percutané. Donc on attend, évidemment, la cohorte B, où on comparera bithérapie versus monothérapie antiagrégante chez des patients qui n’ont pas d’indication à un traitement anticoagulant, et on pense que cela devrait arriver pour le congrès de l'ESC. Mais c’est un groupe — POPULAR — qui est très investi dans la recherche clinique, qui fait de belles études, et évidemment on attend ATLANTIS, puisqu’on va comparer vraiment deux anticoagulants quand les gens ont besoin d’un anticoagulant, et comparer un anticoagulant versus un antiagrégant quand les gens n’ont pas forcément d’indication à l’anticoagulation. Donc rendez-vous, on espère, au congrès de l’AHA.

Michel Zeitouni Très bien. En fait, finalement, ce qu’on doit retenir de GALILEO et de POPULAR-TAVI, c’est que l’association systématique anticoagulant-antiagrégant, quand elle n’est pas justifiée, dans le TAVI, n’a aucun bénéfice, voire même, est délétère.

Jean-Philippe Collet — Exactement. Et je pense que le deuxième message important est que les saignements restent l’événement le plus fréquent et le plus délétère dans cette population de sujets âgés même si les techniques s’améliorent, même si les complications vasculaires sont moins fréquentes, donc ce sont des choses importantes à retenir.

CARAVAGGIO : l'apixaban non inférieur à la daltéparine chez les patients cancéreux avec une thrombose veineuse aigu ë

Michel Zeitouni Très bien. Toujours dans le domaine de l’anticoagulation, nous avons l’étude CARAVAGGIO qui a évalué l’apixaban chez les patients souffrant d’un cancer et d’une maladie thrombo-embolique veineuse. Cette étude fait suite à une recherche similaire (étude CASSINI) qui a évalué le rivaroxaban et avait échoué à montrer la supériorité. Comment ces patients, qui sont de plus en plus nombreux et chez qui il y a peu d’alternatives thérapeutiques, doivent-ils être anticoagulés ?

Jean-Philippe Collet — Le gold standard reste quand même les HBPM et en particulier la daltéparine. Il y a quand même plusieurs études, il y a eu une avec le rivaroxaban et une avec l’edoxaban, qui, globalement, montrent que sur les événements ischémiques il n’y a pas de grosses différences, mais il y a parfois des petites différences sur les complications hémorragiques, notamment les complications hémorragiques digestives.

Dans l’étude CARAVAGGIO, qui est une étude italienne de non-infériorité, ce sont des patients qui avaient des cancers à l’exclusion de métastases cérébrales. L’étude est réalisée en ouvert, et a comparé l’apixaban versus la daltéparine. Globalement, l’étude montre que cela fait aussi bien, c’est-à-dire que c’est non inférieur : il n’y a pas plus de complications hémorragiques et il y a une tendance avec une réduction des complications thrombo-emboliques des patients qui avaient des embolies pulmonaires récentes ou des thromboses veineuses profondes proximales. Donc c’est une étude qui montre qu’on peut utiliser l’apixaban chez ces patients.

La question maintenant est : est-ce que c’est « one size fits all  »? La réponse est probablement « non ». Le type d’anticoagulation est à choisir en fonction des profils de patients – parce qu’il faut voir que ce sont des patients qui sont quand même compliqués, qui reçoivent des antitumoraux, qui ont parfois des thérapeutiques immunosuppressives avec des interactions médicamenteuses qui sont à prendre en compte et qui vont varier d’un anticoagulant à l’autre.

Aussi, vous avez des patients qui ont des métastases cérébrales et pour lesquels on sait que l’utilisation de ces médicaments n’a pas été testée en raison du risque d’hémorragie intracérébrale.

Enfin, il y a l’argument du coût, qui est quelque chose d’important parce que dans de nombreux pays, on n’a pas accès à ces nouveaux anticoagulants oraux directs, et donc les antivitamines K peuvent rester des traitements de fond de première intention chez des patients qui ne peuvent pas se faire des injections. Néanmoins, cela montre la faisabilité de l’apixaban. On craignait un risque d’une augmentation des complications hémorragiques digestives, ce qui n’a pas été identifié dans cette étude CARAVAGGIO. C’est encore une très belle donnée de l’ACC.

Michel Zeitouni C’est vrai qu’on avait peur pour le risque hémorragique et les hémorragies majeures chez ces patients, puisqu’ils ont inclus des patients avec des cancers digestifs, et, finalement, on n’a pas trouvé de différence

Jean-Philippe Collet — Effectivement, il y avait une petite partie des patients avec des cancers gastro-intestinaux, même si c’était une minorité, mais ils faisaient partie de cette étude et on voit que la première cause de mortalité de cette étude reste la mortalité liée au cancer.

VICTORIA : bénéfice du vériciguat dans l’IC avec dysfonction VG asymptomatique

Michel Zeitouni Enfin, un mot sur une grande étude qui donne de l’espoir aux patients insuffisants cardiaques et aux cardiologues : VICTORIA. Elle a analysé le vériciguat chez les patients avec une dysfonction VG et qui étaient symptomatiques. C’est une grosse étude : 5000 patients avec des critères de jugement plutôt durs (décès ou réhospitalisation pour insuffisance cardiaque). Et il semblerait qu’on ait trouvé un bénéfice de ce médicament, qui a agi un peu comme un vasodilatateur.

Jean-Philippe Collet — Tout à fait. C’est un donneur de NO qui stimule la guanylate cyclase. On a les données chez des patients qui ont des insuffisances cardiaques avancées avec dysfonction ventriculaire gauche systolique et, évidemment, qui ne sont pas « en fin de course », c’est-à-dire qu’ils ne sont pas sur des programmes de greffe cardiaque, ils ne sont pas sous médicaments de type dobutamine, donc ils sont stables, mais avec des niveaux de NYHA de grade 3 ou 4. Et ils ont été randomisés en double aveugle pour recevoir le médicament en plus des traitements habituels, qui marchent, versus le placebo, et on voit que l’essentiel du bénéfice est lié à une réduction de la nécessité de réhospitalisation pour décompensation cardiaque. Donc c’est quand même une belle nouvelle de voir qu’il y a encore des progrès pharmacologiques dans ce domaine parce que, finalement, ce sont des gens qui sont réhospitalisés en permanence avec des décompensations et chez qui on n’a pas beaucoup d’objectifs thérapeutiques, on n’a pas beaucoup de marge ; je pense que c’est une bonne nouvelle que d’avoir ce médicament.

Il sera intéressant de voir, dans l’avenir, ce qu’il peut faire par rapport aux nouvelles thérapies qui sont des thérapies mécaniques, et notamment les médicaments qui évaluent la diminution de la taille du ventricule gauche. Et on a de plus en plus de devices qui permettent de le faire. Et l’objectif de ces approches mécaniques est de diminuer le volume télédiastolique, de pouvoir améliorer la relaxation, et on voit qu’il y a une amélioration de la fraction d’éjection des tests fonctionnels, et peut-être de la survie. Donc on voit que les deux approches font l’objet d’investigations avec des résultats qui sont vraiment encourageants.

Michel Zeitouni Cet ACC nous apporte donc des bonnes nouvelles pour les patients qui ont une insuffisance cardiaque, pour les patients qui ont des maladies thrombo-emboliques et un cancer. C’est une note positive pour terminer cette interview. Je vous remercie Pr Collet pour ces explications détaillées et on reste avec Medscape pour suivre l’ACC, mais aussi, l’épidémie de Covid-19.

 

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