POINT DE VUE

COVID-19 : les hôpitaux se remplissent et les cabinets de consultation se vident

Dr Jean-Pierre Usdin

3 avril 2020

France – Alors que les cabinets de ville se vident, les hôpitaux se remplissent. Max, cardiologue, n’échappe pas à cette nouvelle répartition des patients. Alors que son agenda se vide, il s’inquiète, à l’instar d’autres confrères, que les patients puissent négliger des symptômes cardiaques et neurologiques, et être pris en charge beaucoup trop tard. Sa réflexion va plus loin : comment cette crise va-t-elle impacter la pratique médicale à l’avenir, le statut des médecins. Le retour à la « normale » est-il possible, souhaitable, ou faudra-t-il intégrer les enseignements de la crise. Et si oui lesquels ?

Consultations : planning vide

Les pathologies du quotidien que voit le cardiologue de ville s’effacent dans ce contexte de confinement alors que les urgences et les services de réanimations explosent avec les complications liées au COVID-19.

Alors que se termine la troisième semaine du « restez chez vous », les patients ont progressivement annulé leur rendez-vous. Les textos de la plateforme signalant un nouveau RV ont tout bonnement disparu.

Max, cardiologue, n’y échappe pas. Il jette un œil sur son planning des semaines à venir et constate qu’il est vide ou presque ! Il y a bien quelques-uns de ses fidèles mais aucun patient nouveau via internet. Le week-end était pourtant classiquement pourvoyeur de « symptômes aigus », troubles du dimanche soir.

Que sont les cardiaques du quotidien devenus ?

Cette situation de crise sanitaire efface-t-elle tous les symptômes thoraciques motifs de consultations en ville ? Jusqu’ici, le lundi était propice aux rendez-vous urgents venant de la plateforme ! Dans certains cas, une consultation s’avérait indispensable. Parce que leur médecin habituel n’avait pas de place avant quelques semaines, le recours rapide aux services de Max, semi-retraité, disponible, était souvent justifié : qui, une poussée tensionnelle ? une arythmie cardiaque ? une dyspnée récente ? une douleur thoracique ?

Moins d’infarctus ?

Que sont donc les patients cardiaques devenus ? Sont-ils aux services d’accueil des urgences ? Non, semble-t-il. A en croire Jean-François Lemoine (médecin et journaliste) et Frédéric Lapostolle (directeur médical adjoint du SAMU 93) le 20 mars sur le plateau de L’infos du vrai sur Canal +, il y a moins d’appels au SAMU 93 pour problèmes cardiaques [1]. Tendance confirmée par le Pr Maddalena Lettino (Milan,Italie). En Italie, où la population subit en nombre les complications du Covid 19 : les urgences coronaires sont moins fréquentes. … « L’épidémiologie du Syndrome Coronarien Aigu (SCA) a changé, précise-t-elle dans une vidéo enregistrée pour l’ESC. Les SCA avec élévation de ST (STEMI) sont plus fréquents que les SCA avec sous décalage de ST (NSTEMI) ».

Dans une autre de ces petites vidéos dédiées à la pandémie de Covid-19, Barbara Casadei (Oxford, UK) et Alaide Chieffo (Milan, Italie) affirment : « les patients restent chez eux jusqu’à l’apparition éventuelle de manifestations plus sévères. Le patient craint de se rendre à l’hôpital, il minimise les symptômes, l’encombrement téléphonique retarde encore l’appel aux services d’urgences, la douleur thoracique n’est plus prioritaire ! [3] « Tout le travail d’information qui a été fait depuis des décennies est oublié ! Il faut réapprendre aux patients quels sont les premières manifestations de l’insuffisance coronaire aiguë ! » ajoute A. Chieffo.

 « Urgence virale et phase aiguë. » Retour de la thrombolyse ?

Cette prise en charge à la phase aiguë chez un patient infecté par le virus pose évidemment un problème majeur : la protection des soignants. C’est une nouvelle approche qui nécessite une formation rigoureuse, formation en amont qui doit être expliquée, enseignée, comprise, développe Susanna Price (Londres U.K.) dans cette édition spéciale COVID 19 de ESC TV [4].

Va-t-on assister au retour de la thrombolyse à la phase aiguë chez les patients atteint du COVID 19 ? Cette thrombolyse que l’on a (carrément) oublié dans les grandes villes, sûrement moins dans certains lieux subissant fermeture des « centres secondaires » de proximité. C’est un gain de temps précieux, pour différer l’angioplastie et permettre aux soignants de se protéger avec l’indispensable équipement de protection personnelle.

« Les cabinets en ville doivent rester ouverts »

Suivant les recommandations du syndicat des cardiologues, Max se rendra quand même à son cabinet sauf contre-ordre, tout change si vite.

Cette situation inédite laisse du temps à l’analyse. Concernant les patients habituels, plus de la moitié a annulé, le syndicat des cardiologues évalue à 80% la perte d’activité en ville. Il faut leur adresser une ordonnance de renouvellement médicaments (bien que les pharmaciens fournissent…) et d’analyses. Parmi ceux qui ont gardé leur rendez-vous, certaines situations seront résolues par téléphone ou courriel, cela prend du temps… des « milliers » de courriels qui vont se transformer en consultations indispensables : le Jour d’après.

Max a ouvert une téléconsultation à titre d’essai pendant le confinement. Il n’a jamais apprécié le recours à un écran pendant la consultation (ce couple à trois). Il faut évoluer ! Il a eu 6 « télé-patients » la semaine dernière. Le patient y gagne en déplacement, risque de contagion et il faut l’avouer… il s’agit d’un moyen d’être honoré pour le temps passé au téléphone et courriel (codification spécialiste NGAP : TC +MPC + MPS).

Le syndicat des cardiologues évalue à 80% la perte d’activité en ville.

« Le Jour d’après ne ressemblera pas au jour d’avant… » (Président Macron, discours du 16 mars)

Cette dramatique situation va changer nos habitudes. C’est l’avis de Thomas Lee (Boston USA. Rédacteur en chef de NEJM Catalyst) qui analyse : « la façon dont les choses ont évolué en une seule semaine [de confinement] en réponse au Covid-19, laisse supposer que nous ne pourrons pas revenir en arrière sur certains aspects de notre prise en charge, notamment ceux qui ne nécessitent pas [impérativement] une consultation. »

Et surtout interroge -t-il : « Dans nos attitudes actuelles quelles seront-celles qui deviendront un standard de soins dans le futur ? »

Dans une interview à France Culture, le Pr Didier Sicard, spécialiste en maladies infectieuses et ancien président du Comité consultatif d'éthique de 1999 à 2008, va plus loin encore [6] : « toutes les mesures qui rendaient l’hôpital non fonctionnel ont temporairement disparu. Les administrateurs sont terrifiés dans leurs bureaux et ne font plus rien. Ce sont les médecins qui font tout. Ils ont retrouvé la totalité de leur pouvoir (…) Maintenant, ils répondent à leur cœur de métier. A ce qui est la lutte contre la mort. Au fond, ils retrouvent l’ADN profond de leur métier. C’est presque un paradoxe : il y a moins de détresse dans le corps médical actuellement en situation d’activité maximale, qu’il n’y avait de détresse il y a six mois quand ils étaient désespérés et déprimés car ils estimaient que leur métier avait perdu son sens ».

Ce sont les médecins qui font tout. Ils ont retrouvé la totalité de leur pouvoir Pr Didier Sicard

Les gestes-barrières : une action individuelle et collective 

La circulation clairsemée des métros permet de s’attarder sur les affiches. De façon incongrue face à face on voit «Louise est prête à sauver une vie » Une femme jeune avec les lunettes de réalité virtuelle effectue un massage cardiaque sur un mannequin. De l’autre côté un panneau lumineux défile en boucle les Gestes-Barrières pour sauver des vies : ne vous embrassez pas… Heureusement le bouche à bouche ne fait plus partie des recommandations lors de l’arrêt cardiaque extra-hospitalier.

 

 

 

 

 

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