Paris, France ― Gilles Montalescot et Michel Zeitouni commentent les études présentées au congrès de l’American College of Cardiology (ACC) 2020 :
l'actualité des coronaires avec les essais TAILOR-PCI (tests génétiques d’évaluation de la résistance au clopidogrel) et TICO (arrêt précoce de l'aspirine en post-stent et poursuite du ticagrelor).
des nouveautés dans l'artérite oblitérante des membres inférieurs (AOMI) avec l’étude VOYAGER-PAD qui montre un bénéfice du rivaroxaban en plus de l’aspirine
TRANSCRIPTION
Michel Zeitouni — Bonjour, nous sommes avec Medscape pour commenter l’actualité de l'ACC 2020. J’ai l’honneur d’être avec le Pr Gilles Montalescot qui est le chef de service en cardiologie à la Pitié-Salpêtrière et le directeur du groupe de recherches ACTION COEUR.
TAILOR-PCI : tests génétiques pour évaluer la résistance au clopidogrel
Michel Zeitouni — Plusieurs études intéressantes ont été publiées ces derniers jours à l’ACC, et une nous tient particulièrement à cœur, puisque c’est une des thématiques du service depuis longtemps : TAILOR-PCI. Qu’avez-vous pensé des résultats de cette étude ? On s’attendait peut-être à mieux…
Gilles Montalescot — Après des années passées à mesurer la fonction plaquettaire avec des tests au lit du patient et en essayant de guider les traitements en fonction des tests de fonction plaquettaire ― comme dans les études ARCTIC et ANTARCTIC ― arrivent maintenant les études avec des tests génétiques qui sont probablement un peu plus fiables que les tests de fonction plaquettaire. On sait qu’il y a des génotypes qui sont exposés à la résistance au clopidogrel, il y a toujours cette limite et cette black box. TAYLOR-PCI est la plus grosse étude dans le domaine. Ils ont décidé, chez des patients qui étaient stentés, de les randomiser pour une stratégie conventionnelle de traitement avec le clopidogrel. Il n’y avait pas d’autres traitements que le clopidogrel, y compris d’ailleurs pour les syndromes coronaires aigus. Tout le monde recevait le clopidogrel à la même dose, et de l’autre côté, il y avait une stratégie qui était guidée par le test qui rapportait la génétique des patients. Et quand les patients étaient résistants au clopidogrel, ils recevaient du ticagrelor. À la fin de l’étude, tout le monde était génotypé, dans les deux groupes, et on comparait les deux groupes de patients résistants au clopidogrel — ceux qui avaient eu une prise en charge tout à fait classique avec le clopidogrel et ceux qui avaient eu l’adaptation avec le ticagrelor, en sélectionnant les très bons candidats, a priori pour la stratégie guidée par le génotype.
Le critère de jugement de cette étude était de montrer qu’on aurait une supériorité de cette stratégie adaptée sur la génétique pour réduire les décès, les infarctus, les accidents vasculaires cérébraux et les thromboses de stent en particulier. On voit véritablement un effet, qui apparaît d’ailleurs très précocement sur les 3 premiers mois et qui est significatif au 3e mois. Donc l’hypothèse s’avère exacte sur les 3 premiers mois. Le malheur est que le critère de jugement primaire n’était pas à 3 mois, mais à 1 an et que c’est un phénomène connu en statistique : quand vous avez un effet précoce, et après juste des courbes parallèles et un maintien de l’effet, vous avez une accumulation d’événements dans les deux bras, du bruit de fond, et vous perdez la significativité statistique. C’est ce qui s’est passé ici et on n’atteint donc pas la significativité sur le critère primaire désigné à 1 an. C’est un peu décevant parce qu’on voit qu’il y a un effet. Cette étude vient après POPular Genetics, qui avait montré aussi un effet plutôt sur le sécurité, et qu’on se dit qu’il a quand même quelque chose qui se passe avec la génétique et qu’on pourrait, en effet, imaginer de traiter des patients en fonction de leur profil génétique et s’affranchir des résistances en utilisant les bons médicaments chez ces patients.
C’est donc décevant si on regarde le critère primaire à 1 an, mais c’est quand même assez encourageant dans le contexte général et sur l’effet précoce qui a été observé dans cette étude.
Michel Zeitouni — Comme vous l’avez mentionné, on avait POPular Genetics qui montrait une réduction des saignements sur leur safety end points, et là on constate une nouvelle chose : une réduction des événements ischémiques précoces à 3 mois. Finalement, on a l’impression d’avancer, comme vous l’avez dit. Est-ce que la prochaine étape serait de sélectionner les patients, prendre ceux qui sont les plus à risque d’un point de vue hémorragique ou ischémique ?
Gilles Montalescot — Je pense qu’on sélectionnera les patients. Cette étude a mis tout le monde dans le même sac, et en particulier les syndromes coronaires aigus qui sont redevables, a priori, systématiquement de médicaments, qui n’ont pas de problème de résistance. On pourrait s’imaginer que ces patients ne sont pas les bons candidats pour une telle approche. Par contre, c’est vrai que chez des patients à haut risque hémorragique, on pourrait imaginer avoir une approche guidée par la génétique pour s’assurer d’avoir vraiment l’effet recherché sans prendre de risques, avec des médicaments plus puissants, et avoir un effet assuré sans l’effet de résistance qu’on pourrait avoir avec le clopidogrel. Donc oui, c’est peut-être une sélection des patients qu’il faudrait faire pour cette stratégie.
Michel Zeitouni — Connaissez-vous des centres où cette stratégie va être implémentée ? Où on va voir le test génétique au lit du patient ?
Gilles Montalescot — Aujourd’hui, non. Mais c’est vrai qu’il y a un engouement après ces deux études. Le test, en l’occurrence le test SPARTAN, est assez facile à utiliser puisqu’on le connaît bien ici et qu’on l’a utilisé par le passé ; il va falloir inscrire cela dans les stratégies de financement des soins aux patients avec un test qui, à l’heure actuelle, bien évidemment, n’est pas remboursé. Donc il y a des études économiques qui ont déjà été menées et qui tentent de montrer qu’on a une stratégie qui est aussi gagnante d’un point de vue financier, mais il va falloir que les autorités dans chacun des pays l’acceptent pour rembourser le test. Autrement cela me paraît un peu compliqué d’avoir le développement très large de ce test sans résoudre ce problème de remboursement. Mais je sais qu’il y a des centres qui sont séduits, en particulier en Amérique du Nord, et donc je pense qu’en Europe on verra la même chose.
TICO : arrêt de l'aspirine 3 mois après la pose de stent et poursuite de la monothérapie au ticagrelor
Michel Zeitouni — Toujours sur les coronaires, l’étude TICO [Ticagrelor With or Without Aspirin in Acute Coronary Syndrome After PCI] a été présentée : elle consiste en l’évaluation d’une interruption précoce de l’aspirine pour une monothérapie par ticagrelor chez des patients qui rentraient soit avec un syndrome coronaire aigu, soit avec un angor instable. On retrouve, chez les patients de cette étude, une supériorité du bras où on a arrêté l’aspirine précocement drivé par les hémorragies. Pensez-vous que cela apporte encore une pierre au parcours de l’arrêt de l’aspirine et des aspirine-free strategies ? Parce que cela ressemble un peu à TWILIGHT et à GLOBAL LEADERS…
Gilles Montalescot — Oui. C’est une étude de plus dans le domaine, où on essaye de se débarrasser de l’aspirine le plus rapidement possible, avec là un médicament qui est gardé, qui est le ticagrelor. On a vu d’autres études menées avec le clopidogrel – rappelons les études SMART CHOICE, DAPT-2, et avec le ticagrelor, on a GLOBAL LEADERS et TWILIGHT. Donc c’est une étude supplémentaire qui montre à nouveau la même chose : l’aspirine a un potentiel hémorragique qui n’est pas négligeable et quand on s’en débarrasse, on réduit significativement les hémorragies.
Alors l’étude est trois fois plus petite que TWILIGHT, elle inclut 3000 patients, mais on voit qu’au 3e mois, quand on arrête l’aspirine, il y a une réduction très importante des hémorragies sur la période qui va jusqu’à 1 an. Ce qu’on attendait a été observé avec la protection nécessaire pour les patients, parce qu’on ne retrouve pas d’excès d’événements ischémiques ou de thromboses de stent chez les patients qui sont sans aspirine au-delà du 3e mois. C’est intéressant parce que cette étude a une spécificité : elle n’a recruté que des ACS et elle s’oppose donc un peu aux recommandations qui sont toujours de traiter ces patients, quand ils n’ont pas de surrisque hémorragique, pendant 1 an avec le traitement antiplaquettaire double. Là, il est dit — on l’avait vu un peu dans TWILIGHT dans le sous-groupe ACS — que, sans doute, on peut parfois envisager des arrêts plus précoces du DAPT et de continuer avec une monothérapie, dans ce cas le ticagrelor. Donc c’est une étude de plus qui s’ajoute à l’évidence connue sur l’arrêt plus précoce de l’aspirine.
Est-ce que 3 mois est le bon moment ? Je ne sais pas. Est-ce que c’est 3 mois, 2 mois, 1 mois ? Il y a des études menées en ce moment sur 15 jours. On a l’impression, quand même, que le risque de thrombose de stent est très précoce, dans les 15 premiers jours, dans le premier mois, et qu’après, en effet, on peut ouvrir la porte à cet arrêt de l’aspirine en gardant un médicament efficace, dans ce cas le ticagrelor. Si c’était le clopidogrel, on revient toujours à la même question : est-ce qu’il n’y a pas, dans les groupes de patients, certains qui sont résistants au clopidogrel et dans ce cas-là se retrouveraient sans traitement au troisième mois, d’où, peut-être, la génétique pour ce type de patients.
Michel Zeitouni — Ces stratégies de monothérapie précoce sont aussi possibles parce qu’on a des stents de plus en plus performants, dits de 2e, voire 3e génération. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
Gilles Montalescot — C’était le cas ici, puisqu’il s’agissait de stents, si je me souviens bien, Orsiro ― des mailles fines donc, des polymères absolument modernes et qui sont peu pro-inflammatoires. Ce sont des stents qui ont beaucoup moins de désavantages, en particulier de risque de thrombose de stent, que ce qu’on a connu avec les stents de 1re, voire de 2e génération. Donc la combinaison d’un stent moderne avec un traitement antiplaquettaire moins agressif semble bénéficier aux patients. On a moins de thromboses de stent qu’avant, on a moins de resténoses qu’avant et on a moins de complications hémorragiques qu’avant. Donc on a l’impression de gagner sur tous les tableaux.
Michel Zeitouni — C’est la 4e étude randomisée sur l’arrêt de l’aspirine précoce : pensez-vous que ces stratégies vont être implémentées dans de futurs guidelines ?
Gilles Montalescot — Je pense qu’il va falloir, en effet, se rendre à l’évidence que cette recommandation, qui est là depuis très longtemps, d’un traitement antiplaquettaire double pour un an après un syndrome coronaire aigu, voire après un stent actif, même si cette recommandation a un peu bougé, il faut la reconsidérer.
Les recommandations avaient été bâties sur des données relativement limitées depuis quasiment 20 ans. C’est CURE qui avait enclenché cette année de traitement antiplaquettaire double. Rappelons quand même que CURE avait une durée moyenne de traitement de 9 mois — on l’avait arrondi à 1 an. Donc là on a quand même des données qui nous disent « ce n’est peut-être pas 9 mois, ce n’est peut-être pas 1 an, mais c’est peut-être plus court, peut-être 6 mois, 3 mois, 1 mois... » Donc oui, les guidelines devront en tenir compte.
VOYAGER-PAD : bénéfice du rivaroxaban en plus de l’aspirine chez les patients avec AOMI
Michel Zeitouni — L’ACC nous a aussi apporté des nouvelles pour les patients qui souffrent d’artérite oblitérante des membres inférieurs (AOMI) avec l’étude VOYAGER PAD [Vascular Outcomes Study of Acetylsalicylic Acid Along With Rivaroxaban in Endovascular or Surgical Limb Revascularization for Peripheral Artery Disease]. C’est vrai que depuis l’étude EUCLID, qui avait évalué le ticagrelor chez ces patients artéritiques et qui était revenue négative, on n’avait plus beaucoup d’essais. Là, VOYAGER PAD montre un bénéfice du rivaroxaban 2,5 mg en plus de l’aspirine chez ces patients, avec une réduction des événements ischémiques et une réduction des amputations. Qu’en pensez-vous?
Gilles Montalescot — Premièrement, VOYAGER était très attendue parce qu’on a connu une évolution de cette microdose de rivaroxaban un peu houleuse dans l’acceptation des résultats des grosses études antérieures – rappelons-nous ATLAS ACS – dans les syndromes coronaires aigus avec des réductions de mortalité et des autorités qui acceptaient relativement mal ce nouveau message, et des pays où cela n’a même pas été commercialisé dans cette indication. Rappelons-nous COMPASS, qui est arrivé derrière et où, bien évidemment, on avait un très bel effet de cette association aspirine/rivaroxaban 2,5 mg x 2 par jour dans la prévention secondaire avec un profil de sécurité qui était très acceptable pour le bénéfice sur les événements ischémiques, voire même sur la mortalité.
VOYAGER est là un peu le juge de paix pour dire « attendez : si on a une 3e étude indépendante, positive, avec cette même association, il faudra quand même arrêter les atermoiements et les discussions sur cette association. » Alors que si elle est négative, à l’inverse, on aurait pu imaginer repartir dans des discussions sans fin sur le bénéfice de l’association. Or l’étude est non seulement positive, mais elle est très positive.
Ce sont donc des patients qui ont une artériopathie périphérique des membres inférieurs, souvent hospitalisés pour une ischémie critique – on sait que ces patients sont exposés à des risques considérables d’amputation, mais aussi des risques coronaires, qu’ils ont des durées d’hospitalisation longues – tous ces patients ont été revascularisés, soit par angioplastie soit par chirurgie, ils ont été suivis en moyenne presque 30 mois. Les chercheurs ont regardé ce qui se passe avec l’association rivaroxaban/aspirine contre le traitement standard antiplaquettaire, en sachant que pour ces patients-là, on ne sait pas vraiment ce qu’est le bon traitement standard, puisqu’on a des études qui montrent que l’aspirine ne fait pas mieux que les AVK, et que le clopidogrel ne fait pas mieux que pas de clopidogrel sur l’aspirine, donc le traitement standard est très discutable. Là on a une belle étude qui nous montre que sur un critère combiné (de mortalité cardiovasculaire, d’infarctus, d’accidents vasculaires cérébraux, d’ischémie critique de jambes, amputations), on a un très bel effet, qui est très consistant à travers tous les paramètres de ce critère composite, et qu’en dehors de la mortalité, où on ne voit pas d’effet, sur tous les autres critères de ce critère combiné à cinq événements ; on a un effet qui est remarquable autour de 15 % de réduction de ces événements.
Je pense donc que c’est une bonne nouvelle, cela montre que cela marche, ce d’autant que la sécurité, une fois de plus, est très acceptable. Le critère primaire de jugement qui était ce critère ischémique, un critère de sécurité, était les hémorragies majeures TIMI — ce n’est pas anodin, c’est un critère très conservateur — et il y a un petit excès [hémorragique], mais qui n’est pas très significatif. Quand on prend les définitions ISTH, qui sont un critère secondaire de safety, un critère plus sensible d’hémorragie, on a une différence qui est significative. Donc il ne faut pas se leurrer : il y a un surrisque hémorragique. Mais je pense que l’enjeu, clairement, c’est la prévention des événements coronaires graves et des amputations, et que cela marche. Et je pense que la plupart des patients sont d’accord pour prendre ce surrisque hémorragique pour éviter une amputation qui est, quand même, un drame dans la vie d’un patient.
Michel Zeitouni — Ce qui va inciter à implémenter l’utilisation du rivaroxaban 2,5 mg, c’est qu’ici il est vraiment évalué et a montré des bénéfices dans une indication — l’AOMI — où il n’y a pas beaucoup d’autres médicaments qui ont montré un bénéfice. Et contrairement aux coronaires, où le rivaroxaban a été utilisé en plus d’autres thérapies efficaces, là on a véritablement une nouvelle arme thérapeutique pour les patients avec une AOMI.
Gilles Montalescot — Je pense que globalement, c’est une association qui va trouver sa place dans le traitement chronique, à long terme, peut-être à vie, des patients les plus à risque en termes vasculaires, que ce soient ceux de VOYAGER qui sont des patients avec une artériopathie revascularisée, mais aussi chez les artériopathes non revascularisés comme cela a été le cas dans COMPASS, mais aussi chez les patients multitronculaires (comme dans COMPASS), ou chez des patients avec des facteurs de risque, et les diabétiques en particulier. Donc ces populations vasculaires à haut risque semblent bénéficier de ce type de traitement à condition que les patients n’aient pas un surrisque hémorragique évident, évalué en particulier sur l’âge très avancé, des antécédents d’hémorragie, et parfois d’autres facteurs comme l’insuffisance rénale.
Michel Zeitouni — Très bien. Je vous remercie pour ces explications importantes sur ses essais de l’ACC qu’on n’a pas toujours eu le temps de suivre, au vu du contexte [de l’épidémie de Covid-19]. Vous êtes, vous-même, très occupé, alors on retourne au service des malades et merci encore.
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Citer cet article: ACC 2020 : l’actualité des coronaires et des AOMI - Medscape - 6 avr 2020.
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