France – Le nombre de décès liés au Covid-19 est élevé, et de nombreux autres morts sont attendus dans les deux semaines à venir. Dans le même temps, les restrictions drastiques de visites dans les services de réanimation, de contacts avec le corps, de possibilités de rassemblement, et de tenue habituelle des rites funéraires compliquent sérieusement l’entrée dans le deuil des proches. S’y ajoutent les règles de confinement strict qui compromettent le renforcement du tissu social qui vient habituellement en soutien des endeuillés ce qui laisse présager un risque accru de deuil compliqué, voire pathologique. Le Dr Charles-Edouard Notredame, psychiatre et responsable du dispositif d’accompagnement et de soutien aux endeuillés de la Covid-19 du CH de Lille, donne son éclairage sur la question du deuil dans cette situation hors-norme. Il rappelle à cette occasion que « prendre soin de nos endeuillés, c’est prendre soin de notre société de manière plus large surtout dans des temps aussi tumultueux que ceux que l’on vit ».
Medscape édition française : Comment les personnes vivent-elles le fait d’être tenu à l’écart des leurs proches mourants dans les établissements hospitaliers ?
Dr Charles-Edouard Notredame : On est un peu sur la corde raide quand il s’agit du deuil, surtout dans un contexte aussi exceptionnel que celui-ci. Il s’agit à la fois d’apaiser et de respecter une certaine forme de douleur qui est compréhensible et légitime. C’est vrai que le fait d’être tenu à l’écart des proches peut susciter de la culpabilité, mais pas seulement, il peut aussi y avoir de la colère, ou un sentiment d’injustice vis-à-vis d’un deuil qui est en partie empêché pour des raisons sociales ou sociétales, lesquelles ne sont pas toujours perceptibles.
Medscape édition française : Les proches des mourants comprennent-ils l’impératif sanitaire ?
Dr Charles-Edouard Notredame : Quand l’impératif sanitaire vient se plaquer sur des besoins humains très profonds et existentiels, cela crée des formes d’incompréhension qui rendent certains deuils douloureux. Cependant, les gens que l’on a pu contacter disent comprendre la situation. C’est pénible de ne pas pouvoir accéder, de ne pas pouvoir rencontrer leurs proches mourants autant qu’on l’on voudrait, mais en même temps, ils comprennent pourquoi ils ne peuvent pas le faire. Par ailleurs, il y a aussi des dispositions qui sont mises en place au maximum – notamment dans notre établissement (le CHU de Lille, ndlr) – pour faire en sorte que la famille proche puisse rencontrer la personne en fin de vie ou le défunt avant la fermeture de la housse et l’envoi du corps en chambre mortuaire. Il y a vraiment une attention collective pour aménager, quand même, un espace de recueillement et d’attention humaine au sein de cette épidémie.
Medscape édition française : Comment les établissements de soins gèrent-ils cette difficulté à accompagner les mourants ?
Dr Notredame : Les consignes n’arrêtent pas de changer et les directives locales varient beaucoup, mais en tout cas il y a une conscience collective de cette difficulté au niveau des établissements sanitaires et la question émerge dans le débat public. Le problème, c’est que lorsqu’on parle de guerre – et le président Macron a parlé de guerre – cela donne peut-être moins envie de se préoccuper des morts que de penser à la victoire. Et c’est vrai que les gens qui se battent au quotidien pour sauver des vies n’ont parfois pas envie de penser que certains patients vont mourir. En même temps, je pense que les soignants dans les établissements font preuve de beaucoup d’humanité et que ce travail-là d’accompagnement à la mort et d’accompagnement après la mort, c’est aussi une recherche de sens, autant que de sauver des vies.
Medscape édition française : Comment cela se passe-t-il en pratique aujourd’hui dans les établissements de soins quand une personne décède du Covid ?
Dr Notredame : Aujourd’hui, quand une personne décède dans un service, il ne doit, en théorie, pas y avoir de visites. En pratique, on essaie d’aménager des visites pour les très proches, et ensuite le corps va en chambre mortuaire. Normalement, les visites en chambre mortuaire ne sont plus autorisées mais cela peut différer d’un endroit à l’autre.
Pour ce qui est des rites, il n’y a plus du tout de toilette funéraire (ou thanatopraxie), en revanche quelques toilettes rituelles peuvent être autorisées (voir encadré en fin de texte).
La mise en bière immédiate avait été décrétée, mais a quelque peu été assouplie, notamment du fait que les pompes funèbres sont débordées.
Les rassemblements dans les lieux de culte ne sont pas autorisés, quant aux crémations et inhumations, elles peuvent avoir lieu, mais dans le cadre restreint de 20 personnes.
A ma connaissance, sont suspendues aussi les possibilités de rapatriement des corps.
Medscape édition française : Certaines personnes endeuillées souffrent de l’absence des rites habituels autour du deuil. Qu’en est-il?
Dr Notredame : La ritualité profane ou religieuse sert à faire du sens autour du décès, afin qu’il ne soit pas anodin, anecdotique ou immédiatement passé à l’oubli. Elle est aussi là pour respecter les codes religieux qui permettent, dans la plupart des cultes, le passage du défunt vers un au-delà.
Des aménagements sont cependant possibles, Le Conseil français du culte musulman a d’ailleurs émis un avis en ce sens le 17 mars, précisant qu’exceptionnellement, il était possible de surseoir aux différents rituels que sont la toilette, l’ensevelissement et la prière (intégralité de l’avis du CFCM disponible ici).
Medscape édition française : Peut-on envisager de différer ces rituels ?
Dr Notredame : Même si c’est inhabituel, on peut tout-à-fait réaliser des rites tels que des prières et des moments de recueillement chez soi. Il peut aussi y avoir des ritualisations différées dans le temps. C’est intéressant car cela suppose un temps de suspens entre la mort et la possibilité d’acter symboliquement cette mort à travers les rituels.
Mais ce qui est très important au-delà des rituels, c’est la question de l’isolement social. Car, ce qui permet, depuis toujours, d’accompagner le deuil, d’apporter un soutien, c’est de renforcer le tissu social auprès des personnes endeuillées, comme un témoignage de la collectivité auprès de ces personnes. Et habituellement, la ritualité, qu’elle soit religieuse ou non, sert aux symboles mais aussi à ce témoignage d’un souci collectif. Alors là avec le confinement, il y a un empêchement au niveau de ce tissu social. Avec les personnes que l’on a pu suivre au CHU, on se rend compte qu’il y a quand même une socialité qui s’exprime, beaucoup par téléphone, parfois par Skype. Mais, dans cette situation, il y a toujours quelque chose qui est empêché, entravé, et c’est pour cela qu’il faut être attentif.
Medscape édition française : Comment les endeuillés peuvent-ils trouver du soutien dans cette période doublement compliquée ?
Dr Notredame : Il faut, avant tout, rappeler que le deuil en soi n’est pas un phénomène médical et ne doit donc pas être indûment médicalisé. Le deuil, c’est d’abord une expérience existentielle, personnelle et sociale, sur laquelle les médecins n’ont pas forcément à donner leur point de vue. Ce n’est, en revanche, plus le cas quand le deuil devient pathologique, qu’il s’exprime par une dépression profonde ou encore des idées suicidaires.
Cela étant dit, sans que le médecin intervienne, il y a deux possibilités de soutien. Soit on s’oriente vers un soutien non-professionnel, de nombreuses associations proposent des espaces de verbalisation, encadrés par des bénévoles qui font de l’accompagnement de personnes endeuillées, notamment au téléphone. Soit on fait appel à un soutien professionnel, comme celui que nous avons mis en place au CHU de Lille. Nous avons considéré que les circonstances étaient tellement exceptionnelles et tellement à risque, que l’on a pris l’initiative de contacter les familles ou proches qui perdent quelqu’un ici au CHU. Les psychologues les rappellent 1 à 2 jours après le décès pour signifier notre présence, notre disponibilité et proposer éventuellement un rendez-vous un peu plus tard. Notre expérience montre, qu’alors que l’on pourrait craindre que cette attitude soit intrusive, les gens sont toujours très touchés de l’attention qu’on leur porte. Ils expriment à cette occasion des besoins qu’ils n’exprimeraient pas autrement car on n’est pas dans une temporalité leur permettant de demander de l’aide. Certains se saisissent aussi de l’appel pour être attentifs à leurs proches en disant « moi, ça va, en revanche, mon neveu n’a pas l’air d’aller très bien ». Et puis, il y a aussi des gens à qui on peut apporter de l’aide, non seulement sur le plan psychologique mais aussi au niveau social car dans ce moment de sidération très particulier, les démarches qu’elles soient financières, administratives et funéraires sont très difficiles à entreprendre.
Medscape édition française : Quelle est la bonne attitude vis-à-vis des personnes endeuillées quand on est médecin ?
Dr Notredame : Quand on est médecin, il faut être attentif à prévenir le deuil pathologique mais ne pas sur-médicaliser. La bonne position, c’est une position d’ouverture et d’empathie. Le deuil est très particulier en cela que c’est un problème sur lequel on ne peut pas agir avec des leviers d’action habituels. L’idée est de ne pas être normatif, avec des idées préconçues comme : il faut faire son deuil, le deuil dure 1 an, il faut passer par les différentes étapes du deuil. Le moins normatif on est, le plus et le mieux on sera attentif aux besoins des personnes et des familles, lesquelles réagissent d’ailleurs de façon très différente les unes des autres. Cela demande un effort de lâcher prise, dont on n’a pas toujours l’habitude en médecine, et qui est, à mon avis, très salutaire. Sachant que le lâcher-prise ne veut pas dire inactif mais être là, présent, soutenir, accompagner.
Medscape édition française : Pourquoi est-il si important de prendre soin des endeuillés ?
Dr Notredame : Venir en soutien des endeuillés, c’est avoir une utilité sociale. Prendre soin de nos endeuillés, c’est prendre soin de notre société de manière plus large surtout dans des temps aussi tumultueux que ceux que l’on vit avec une fragilisation du tissu social du fait du confinement. Témoigner d’une sollicitude pour les endeuillés, c’est finalement témoigner d’une sollicitude plus globale.
Contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit ça et là, les corps des défunts peuvent bénéficier de certains soins mortuaires. Si les actes de thanatopraxie sont proscrits (car considérés comme trop risqués pour les agents), la toilette mortuaire reste possible et réalisée avant le transport du corps (en veillant à prendre des précautions supplémentaires). Ainsi en a décidé le Haut Conseil de Santé publique (HCSP). Tenant compte des dernières évolutions de l’épidémie, celui-ci a actualisé le 24 mars son avis relatif à la prise en charge du corps d’un patient cas probable ou confirmé COVID-19. Avant d’établir un certain nombre de recommandations, il rappelle que, « dans la prise en charge des personnes décédées, il convient de respecter la stricte observance des règles d’hygiène et de mesures de distance physique, mais aussi de respecter dans leur diversité les pratiques culturelles et sociales autour du corps d’une personne décédée, notamment en ce qui concerne la toilette rituelle du corps par les personnes désignées par les proches, ainsi que la possibilité pour ceux-ci de voir le visage de la personne décédée avant la fermeture définitive du cercueil ».
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Citer cet article: Deuil en période d’épidémie : quel soutien apporter ? - Medscape - 3 avr 2020.
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