Paris, France-- Au cœur de la tempête, le Pr Gilles Pialoux, professeur de maladies infectieuses à l’université Paris-Sorbonne et à l’hôpital Tenon décrit une situation critique, avec des formes de Covid-19 de plus en plus sévères, mais salue la grande solidarité entre régions et entre soignants pour porter secours aux malades.
Lueurs d’espoir, il mentionne également quelques pistes de recherches intéressantes.
TRANSCRIPTION/ADAPTATION
Gilles Pialloux — Bonjour. Gilles Pialloux — je suis professeur de maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon et aussi à l’université Paris-Sorbonne. Je suis content de vous retrouver, malgré la tension, sur ce petit point que j’espère plus régulier sur la crise du coronavirus, vue de l’intérieur.
La crise du coronavirus vue de l’intérieur
Nous étions, à Tenon, censés être site de niveau 3 — évidemment, le coronavirus en a décidé autrement et, depuis le 27 février, nous sommes extrêmement impactés, comme d’autres centres parisiens, d’Île-de-France, du Haut-Rhin, des Hauts-de-France. Donc pour entrer dans les chiffres – et on parlera un peu science, après – dans les chiffres, la situation est extrêmement tendue en Île-de-France sur les lits de soins critiques, c’est-à-dire réanimation et unité de soins intensifs, avec un pic que l’on attendait pour la semaine prochaine, mais il semble que les prévisions qui prévoyaient un pic de 2400 patients en soins critiques soient déjà dépassées en Île-de-France et qu’on soit, plutôt, non pas dans un pic, mais dans une asymptote qui pourrait atteindre 3000 patients en unité de soins intensifs sur l’Île-de-France où je rappelle qu’avant la crise du COVID-19 il y avait 2000 places.
Donc c’est dire, si on a poussé les murs, pour fixer un chiffre, à l’hôpital Tenon, nous avons 42 patients en réanimation classique, dans une réanimation qui avait, avant, 20 lits, nous avons 113 patients COVID+ dans les services de médecine, une trentaine en attente et — chiffre assez particulier pour notre centre — nous avons 147 personnels soignants contaminés par le COVID, dont aucun n’étant dans les formes graves, même si dans l’Assistance Publique il y a trois patients COVID+ en réanimation et déjà plusieurs décès.
Une solidarité régionale
Donc une situation très tendue pour ce qui est de la réanimation avec deux objectifs, que vous suivez sur les différents sites d’information, dont Medscape : le fait d’avoir des transports vers les zones de France les moins touchées. Nous avons eu des départs en hélicoptère, en TGV, en ambulance spécialisée pour la grande couronne, mais jusqu’à Rouen — le CHU d’Avicenne, par exemple, transférait à Rouen — nous, nous avons transféré, aussi, en Bretagne, à Tours, et, donc, il y a une solidarité régionale qui se fait en plus de la solidarité à l’intérieur de l’hôpital.
Solidarité des soignants dans un contexte de guerre
Cette solidarité, elle est aussi assez étonnante à l’intérieur de l’hôpital. Maintenant, toutes les spécialités ont compris qu’elles étaient au combat. Les chirurgiens, par exemple, se sont mis à avoir des activités totalement différentes de leur corps de métier puisque l’activité opératoire a été réduite considérablement, à la fois par déprogrammation, mais aussi pour garder des places de salle de réveil transformables en lits de réanimation, ce qui est le cas à Tenon — on en a déjà trois sur six qui sont occupés par des patients COVID qu’on essaie d’exfiltrer vers d’autres centres pour garder de la réserve.
Nous sommes vraiment dans une situation tendue, de guerre — je dis de guerre parce que sans cesse on fait de la place, on vide et ça se remplit, en commençant, d’ailleurs, par les réanimations. Et le point, aujourd’hui, en ce 1er avril, qu’on a l’impression que les formes qui arrivent au SAU, aux urgences sont de plus en plus sévères, avec des patients qui ne suivent pas l’histoire naturelle de la maladie que l’on avait apprise des publications chinoises, notamment sur les 47 000 premiers patients, avec des formes qui s’aggravent à J7 et J10.
Nous voyons actuellement des patients qui sont asymptomatiques et qui au bout de 48 heures ou 72 heures peuvent être dans une forme grave qui nécessite une ventilation.
Donc les chirurgiens, dont je parlais pour citer cet exemple de solidarité, ils font toutes les tâches, ils participent à la permanence de réponse aux familles, puisque les familles qui n’ont pas accès aux malades, sont extrêmement démunies pour obtenir des informations médicales. Ils participent aux équipes qui, en réanimation, doivent retourner les patients pour la ventilation ventrale, qui est une technique — pour les réanimateurs vous connaissez — qui nécessite au moins quatre ou cinq personnes pour les fortes corpulences et qui prend beaucoup de temps et beaucoup d’énergie dans les réanimations.
Ils participent aussi aux consultations du SAU, qui ont été détournées quand elles ne sont pas COVID suspects. Voilà pour les chiffres.
Nous sommes dans une situation critique, on ne voit pas arriver ce fameux pic, ou cette asymptote, et la situation est très critique, comme je le répète.
La science, lueur d’espoir
Alors, bien sûr il y a des éléments positifs. On essaie de garder un temps pour la science — on a beaucoup d’essais qui arrivent, dans le désordre. Il y a deux grands essais, notamment en Île-de-France pour l’un et en national, pour l’autre. L’’essai DISCOVERY, qui est un essai à cinq bras avec un bras, bien sûr, à hydroxychloroquine, puisqu’on est bien obligé, et un bras standard of care, un bras avec Kaletra et interféron gamma, un bras avec remdésivir, donc la molécule anti-Ebola, qui a l’air très prometteuse, et l’interféron gamma.
Il y a aussi un autre essai qui est, en fait, une cohorte nichée avec plusieurs molécules à visée, cette fois-ci, immunologique, qui s’appelle CORE-IMMUNO. Cet essai AP-HP a commencé, actuellement, avec deux types d’interleukines-1 qui sont administrées contre le standard of care en randomisation. Donc ces essais sont actifs dans plusieurs centres et amènent un souffle de recherche clinique qui est important.
Susceptibilité diminuée des personnes 0+
Sur la recherche clinique, je terminerai sur un point qui nous a beaucoup agités. Je ne parle pas de l’hydroxychloroquine, mais je parle de groupe ABO, de la susceptibilité, je dirais, diminuée des personnes qui seraient O+, du groupe sanguin O+. C’est une donnée qui avait déjà été décrite par une équipe nantaise sur le modèle du MERS et puis qui a été décrit, effectivement, avec le SRAS avec, probablement, le fait que les anticorps anti-A, anti-B chez les gens O+ auraient une activité bloquante au niveau de l’élément-clé de la pénétration du COVID à l’intérieur de la cellule qui, comme vous le savez, utilise un récepteur de l’inhibiteur de l’enzyme de conversion de type 2.
La piste des IEC
Là aussi, il y a une piste très importante avec cette molécule inhibiteur de l’enzyme de conversion pour essayer de bloquer le récepteur d’entrée dans la cellule. Et cette piste de la CE2 est probablement une piste très importante et probablement celle, aussi, qui explique qu’il y ait une régulation hormonale qui fait que dans ces réanimations on trouve majoritairement des hommes (70 %), selon les chiffres de Santé Publique France, par rapport aux femmes. Cela serait en rapport avec le gène codant pour la CE2, qui est porté par le chromosome X.
Nous allons suivre ces données scientifiques qui sont très importantes, mais j’aurai l’occasion de revenir vers vous avec d’autres publications plus précises. Merci à vous.
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Citer cet article: Situation critique mais une solidarité inédite - Medscape - 3 avr 2020.
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