Paris, France—Alors que le ministre de la Santé Olivier Véran a autorisé par décret l'utilisation de l'hydroxychloroquine (Plaquenil® sous sa forme commerciale) pour le traitement du Covid-19 dans des conditions extrêmement limitées, une requête déposée devant le Conseil d'État par deux requérantes a demandé la suspension du décret mais surtout d'enjoindre le gouvernement à saisir sans plus attendre l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour accorder une autorisation temporaire d'utilisation (ATU) de l'hydroxychloroquine.
Prescrire en ville « sans attendre le développement d'une détresse respiratoire » ?
Une demande qui pourrait paraitre hors de propos si l'on considère que le ministère de la Santé a déjà accordé par décret l'utilisation du Plaquenil® pour traiter le Covid-19.
Mais la demande des requérantes va au-delà des recommandations du ministère de la Santé qui a suivi, pour rédiger ces décrets d'autorisation, l'avis du Haut conseil en santé publique (HCSP) .
Les requérantes ont demandé en effet que le Plaquenil® dans le traitement du Covid-19 puisse être prescrit en ville « sans attendre le développement d'une détresse respiratoire ».
Or le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 indique que «l'hydroxychloroquine et l'association lopinavir/ ritonavir peuvent être prescrits, dispensés et administrés sous la responsabilité d'un médecin aux patients atteints par le Covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile ».
Par ailleurs, le décret du 26 mars 2020-337 précise la nature des prescriptions d'hydroxychloroquine en établissements de santé : « Ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut conseil de la santé publique et, en particulier, de l'indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d'une défaillance d'organe. »
Ce sont contre ces prescriptions restrictives que les requérantes ont déposé leur requête devant le conseil d'État et demander la censure du décret du 23 mars.
Les requérantes demandaient aussi que le gouvernement prenne des mesures pour garantir la production et le stock d'hydroxychloroquine et d'azythromycine.
Argumentation du Conseil d’État
En réponses à ces demandes, le Conseil d'État, en préambule, rappelle que l'hydroxychloroquine est commercialisé par le laboratoire Sanofi sous le nom de marque Plaquenil® lequel a reçu une autorisation de mise sur le marché pour le « traitement symptomatique d’action lente de la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux discoïde, le lupus érythémateux subaigu, le traitement d'appoint ou prévention des rechutes des lupus systémiques et la prévention des lucites ».
Le Conseil d'État fait aussi le bilan des différentes études publiées ou en cours sur l'efficacité du Plaquenil® (associé ou non à l'azithromycine) dans le traitement du Covid-19 : « Une étude chinoise publiée au début du mois de mars 2020 a documenté l’activité in vitro de l’hydroxychloroquine sur le virus qui en est responsable. Une recherche a ensuite été conduite, du 5 au 16 mars 2020, par une équipe de l’institut hospitalo-universitaire de Marseille en utilisant l’hydroxychloroquine en association avec un antibiotique, l’azithromycine, chez vingt-six patients, dont les auteurs déduisent que le traitement par hydroxychloroquine est associé à une réduction ou une disparition de la charge virale chez des patients atteints du covid-19 et que cet effet est renforcé par l’azithromycine.
Le 22 mars 2020 a été lancé un essai clinique européen « Discovery pour tester l’efficacité et la sécurité de cinq molécules, dont l’hydroxychloroquine, dans le traitement du covid-19, incluant 3 200 patients européens, dont au moins 800 patients français hospitalisés pour une infection due au covid-19, inclus à compter du 24 mars, les premiers résultats étant attendus quinze jours après le démarrage de l’essai.»
Le Conseil d'État rappelle également que le HCSP a rendu un avis le 23 mars 2020 sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19. Il considère que les conclusions de l'étude de l'IHU Méditerranée menée par les équipe du professeur Didier Raoult « doivent être considérés avec prudence en vertu de certaines faiblesses », et propose que « l’hydroxychloroquine puisse être utilisée, d’une part, en cas de pneumonie oxygéno- requérante, après discussion, au cas par cas, de manière collégiale, et à défaut de l’association entre lopinavir et ritonavir, identifié comme médicament candidat potentiel à évaluer en essai clinique par l’Organisation mondiale de la santé, et, d’autre part, en cas de pneumonie avec défaillance d’organe mais sans défaillance respiratoire ». Cette recommandation, rappelle le Conseil d'État, a été à l'origine des décrets des 25 et 26 mars derniers.
Faiblesse de l’étude de l’IHU Méditerranées
Ainsi, répondant à la demande des requérantes, le Conseil d'État considère que l'étude clinique menée par l'IHU Méditerranée souffre d'insuffisances méthodologiques, et que les résultats d'une deuxième étude chinoise réalisée entre les 6 et 25 février n'a pas permis de conclure à l'efficacité clinique de l'hydroxychloroquine.
Le Conseil d'État indique également que les premiers résultats de l'essai clinique européen Discovery, doivent être connus dans une dizaine de jours, et permettront de recueillir des résultats plus significatifs.
Il rappelle également que la prescription d'ydroxychloroquine n'est pas sans danger et peut provoquer des «hypoglycémies sévères et entraîner des anomalies ou une irrégularité du rythme cardiaque susceptibles d’engager le pronostic vital».
Les précautions prises par le gouvernement et les travaux engagés ne peuvent donc, aux yeux du conseil d'État, constituer "une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie et au droit de recevoir, sous réserve de son consentement libre et éclairé, les traitements et les soins appropriés ».
Il rappelle également que le gouvernement a décidé de l'interdiction d'exportation du Plaquenil®. Pour ces raisons, le Conseil d'État rejette la requête demandant une ATU pour le Plaquenil®.
Le tribunal administratif de Guadeloupe ordonne la commande de Plaquenil®
Si le conseil d'État n'a pas accordé d'ATU pour le Plaquenil® dans le traitement du Covid-19,le tribunal administratif de Guadeloupe, dans un jugement rendu le 27 mars dernier, enjoint le CHU de Guadeloupe et l'agence régionale de santé de Guadeloupe de « passer commande des doses nécessaires au traitement de l'épidémie de Covid-19 par l'hydroxychloroquine et l'azithromycine, comme défini par l'IHU méditerranée infection, et de tests de dépistage du Covid-19, le tout en nombre suffisant pour couvrir les besoins présents et à venir de l'archipel guadeloupéen ». Le tribunal administratif de Guadeloupe a pris cette décision à la demande du syndicat Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG).
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Citer cet article: Le Conseil d'État s'oppose à la prescription de Plaquenil® en ville dans le traitement du COVID-19 - Medscape - 2 avr 2020.
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