Paris, France – A l’invitation du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), des cellules éthiques de soutien ont été mises place par les Espaces de réflexion éthique régionaux (ERER) pour répondre au mieux aux questionnements qui vont émerger à l’occasion de l’épidémie de Covid-19. Qui hospitaliser en réanimation, comment assurer le confinement de personnes démentes en EHPAD, de populations vulnérables (sans-abris, migrants, en situation de handicap) ? Focus sur trois régions qui ont chacune, sur la base de leur spécificité, opter pour une organisation et une approche différente.
Région Centre Val-de-Loire
Le Dr Béatrice Birmelé, médecin au CHU de Tours, qui dirige l’Espace de réflexion éthique de la région Centre Val-de-Loire (EREC) a organisé cet accompagnement éthique autour de la structure déjà existante dans l’établissement. « Nous avons élargi la structure éthique du CHU aux établissements, aux EHPAD et aux professionnels libéraux du département en créant un groupe de travail spécifique pour traiter des questions posées par la situation, alors que nous étions encore préservés sur le plan épidémique par rapport à d’autres régions » explique-t-elle. Cette cellule est composée de médecins, psychologues et infirmiers qui peuvent aller à la rencontre des équipes dans les services. Au niveau de la région, la Dr Birmelé a contacté les structures éthiques des autres établissements pour mettre en place des échanges par visio-conférences auxquels participent également un philosophe, un juriste et une historienne.
Devoir faire des choix en raison d’une limitation des moyens
Voilà pour la forme, sur le fond, cette cellule se prépare à répondre à des questionnements éthiques très en lien avec la pratique médicale. « En médecine, on fait toujours des choix en dehors des situations de crise et on essaye de délimiter ce qui est raisonnable d’entreprendre, rappelle la Dr Birmelé. Ce que l’épidémie risque d’imposer, comme on l’a vu en Italie, est de devoir faire des choix en raison d’une limitation des moyens matériels et humains. C’est quelque chose de particulièrement lourd et c’est pour cela qu’on peut avoir besoin d’une réflexion éthique ».
Dans une réflexion éthique, toutes les paroles ont la même valeur
En pratique, « les équipes peuvent nous solliciter pour les accompagner sur des situations singulières comme nous le faisons déjà en temps normal, décrit-elle. La décision médicale leur appartiendra toujours. L’accompagnement consiste à les soutenir et à faire un chemin avec eux pour les aider à exprimer les arguments qui fondent leur décision, en écoutant tout le monde. Dans une réflexion éthique, toutes les paroles ont la même valeur du chef de service à l’aide-soignante même si in fine c’est le médecin qui prend une décision ». Bien évidemment, ces décisions médicales se basent également sur des critères objectifs que les médecins notamment les réanimateurs connaissent bien.
Le Dr Birmelé est également particulièrement préoccupée par la situation des EHPAD où les malades du Covid-19 sont très âgées et souvent dans un état général qui rend déraisonnable l’entrée en réanimation. « Soit ces patients réussissent à passer le cap et à surmonter l’infection soit ils tombent en détresse respiratoire, rappelle-t-elle. Ce qui veut dire qu’il faut pouvoir les apaiser par une sédation pour qu’ils ne s’asphyxient pas. Les équipes des EHPAD peuvent ainsi se trouver dans des situations d’accompagnement douloureux de patients qu’ils connaissent parfois depuis longtemps et sans que la famille puisse être présente ».
Normandie
Le Pr Grégoire Moutel, professeur de médecine légale au CHU de Caen, qui dirige l’Espace de réflexion éthique de Normandie (EREN) a mis en place une organisation un peu différente de sa consœur de Tours, en lien avec les spécificités de son territoire. « Le CCNE a eu raison de vouloir s’appuyer sur les espaces éthiques régionaux, souligne-t-il. En effet, tous les territoires n’ont pas les mêmes caractéristiques et les parcours d’organisations des soins sont différents d’une région à l’autre. L’idée est de coller à la demande locale et aussi de pouvoir transmettre au CCNE et à la cellule de crise de la Direction générale de l’offre de soins les questionnements des soignants ». La cellule éthique mise en place en Normandie a pris la forme d’un groupe de travail resserré de 12 personnes comprenant des spécialistes de l’éthique et des cliniciens en première ligne dans le contexte épidémique (infectiologues, urgentistes, réanimateurs, professionnels des soins palliatifs et des EHPAD).
Décisions compliquées de fin de vie ou de non admission hospitalière
« Nous sommes là pour répondre à leurs questions et à les aider concrètement dans les processus d’organisation et de décisions compliquées notamment de fin de vie ou de non admission hospitalière, explique le Pr Moutel. On ne s’interdit pas non plus d’ouvrir notre réflexion aux familles et aux proches car on part du principe que notre action constitue aussi une soupape de démocratie sanitaire ». La cellule répond par téléphone et par mail aux demandes et produit une note de synthèse.
Dès les premiers jours, des notes ont ainsi pu être rédigées sur l’accompagnement du conjoint dans les maternités, la déambulation et la contention des patients en EHPAD. Celle sur les critères d’admission à l’hôpital est un « travail qui a été réalisé par les réanimateurs mais ces derniers souhaitaient également bénéficier d’un regard éthique en particulier sur la question de l’accompagnement des familles ainsi que celui des professionnels en souffrance ». Un 4e avis sur les rites funéraires est en cours de rédaction afin de répondre notamment aux questions suivantes : qui sont les proches autorisés à voir les corps, peut-on ouvrir les housses, comment organiser les enterrements.
Tirer des enseignements pour l’avenir
L’idée générale est de colliger tous ces avis pour les transmettre ensuite à l’ensemble des professionnels, grâce notamment à l’Agence régionale de santé (ARS), et aussi dans un second temps d’en tirer des enseignements pour l’avenir. « La question du confinement des personnes démentes est particulièrement complexe et douloureuse car le confinement peut avoir pour conséquence des décompensations amenant à des contentions de patients, relate le Pr Moutel. C’est pourquoi, on se dit que peut-être, dans les années à venir, il faudra repenser la manière dont on construit les EHPAD notamment pour permettre des meilleures circulations des personnes et ne pas oublier d’équiper systématiquement les chambres de wifi pour faciliter la communication des résidents avec leur famille ».
Ile-de-France
L’espace éthique d’Ile-de-France est un des plus anciens puisqu’il est une émanation de l’espace éthique de l’APHP fondé en 1995. En 2009, il avait déjà produit une série de réflexions sur la pandémie de grippe A qui retrouvent aujourd’hui toute leur actualité. Il a ainsi pu initier très rapidement de nouveaux travaux en lien avec l’Espace national de réflexion éthique malades neuro-dégénératives et le Département de recherche en éthique des Université Paris-Saclay. « Dès le début de la crise, nous avons créé l’Observatoire COVID, éthique et société, raconte Sébastien Claeys qui est responsable de la médiation au sein de l’Espace éthique d’Ile-de-France. Nous avons mis en place des groupes de travail sur des sujets précis à savoir la vulnérabilité des personnes âgées en EHPAD et à domicile, les situations de handicap, les situations de précarité des migrants et des sans-abris, les pratiques hospitalières de réanimation autour des questions de tri et la question de la fin de vie ».
Réunions téléphoniques et rapports
Ces groupes de 30 à 40 personnes, constitués à l’aide du réseau pré-existant, travaillent sous formes de réunions téléphoniques et rendent des rapports dont le premier publié porte sur la question du grand âge. « Il y a tout type des personnes dans ces groupes de travail : des soignants, des associatifs, des personnes concernées, des aidants, explique Sébastien Claeys. L’idée est de faire un point sur la situation à un moment où on avance encore un peu à l’aveugle et où des mesures comme le confinement ou l’isolement s’imposent à tous. Mais les personnes vulnérables ne peuvent pas être traitées comme l’ensemble de la population. Il faut penser différemment la façon de confiner quelqu’un qui a un handicap psychique ou des troubles cognitifs ».
Appel à témoignage
Afin de traduire la préconisation du CCNE de mettre en place des cellules éthiques de soutien, l’Espace éthique d’Ile-de-France a lancé un appel à témoignages. « Nous avons remarqué que libérer la parole est très important pour pouvoir faire le point, discuter des enjeux, échanger des avis, souligne Sébastien Claeys. Nous recevons beaucoup de questions par mail mais aussi des remarques et parfois des coups de gueule ». Pour répondre aux différentes interrogations, un panel d’expert composé d’un psychologue clinicien, d’un avocat, d’une représentante des usagers et d’une personne concernée par le handicap, a enregistré des podcasts qui sont diffusées à partir de cette semaine sur le site web de l’Espace éthique.
« L’idée n’est pas de donner des leçons ou des réponses définitives mais d’évoquer des cas et de développer des réflexions pour nourrir celles des établissements, note Sébastien Claeys. Nous fournissons également des réponses par mails aux questions ponctuelles mais celles-ci n’ont pas vocation à être rendu publiques ». Beaucoup des questions posées actuellement viennent des EHPAD et elles traduisent l’angoisse des professionnels de transmettre le virus et d’avoir à gérer un nombre important de décès.
Actualités Medscape © 2020 WebMD, LLC
Citer cet article: Comment fonctionnent les cellules éthiques de soutien : 3 régions, 3 approches différentes - Medscape - 1er avr 2020.
Commenter