Plaquenil : rappels sur sa cardiotoxicité cardiaque et la surveillance à mettre en place

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

31 mars 2020

Paris, France— Des cas de toxicité cardiaque ont été signalés en Nouvelle Aquitaine suite à des prises en automédication d’hydroxychloroquine. Rappels sur la toxicité cardiaque de la molécule et sur la surveillance à mettre en place en cas de prescription.

Surveillance médicale systématique

« Des cas de toxicité cardiaque ont été signalés en Nouvelle Aquitaine suite à des prises en automédication de Plaquenil® (hydroxychloroquine) face à des symptômes évocateurs du Covid-19, ayant parfois nécessité une hospitalisation en réanimation », a indiqué l’ARS Nouvelle-Aquitaine dans un communiqué publié samedi[1].

L’agence a lancé l’alerte et rappelle que « l’hydroxychloroquine est indiquée aux personnes souffrant de lupus, de polyarthrite rhumatoïde ou encore, à titre préventif, pour les allergies au soleil (lucite), sur prescription médicale obligatoire uniquement. Cette molécule n’est pas anodine car elle peut provoquer des troubles du rythme cardiaque graves pouvant être fatals. La prescription de cette molécule est systématiquement accompagnée d’une surveillance médicale (notamment par monitoring cardiaque) permettant d’adapter son dosage et de limiter ainsi les risques. Associée à d’autres médicaments (ex : neuroleptiques, antidépresseurs, diurétiques, anti-arythmiques, macrolides dont l’azithromycine…) ou si le patient souffre d’une baisse de potassium dans le sang, ce risque est fortement majoré ».

Il est primordial que le décret encadrant la prescription de cette molécule  soit respecté « pour éviter la survenue d’événements indésirables graves mais aussi des hospitalisations en réanimation qui sont actuellement précieuses », conclut l’ARS qui souligne l’importance de déclarer tous les effets indésirables suspectés pour permettre une surveillance continue du rapport bénéfice/risque du médicament.

Les effets indésirables sont à transmettre au centre régional de pharmacovigilance territorialement compétent ou sur le portail de signalement des événements sanitaires indésirables.

Chloroquine, l’hydroxychloroquine : quelle toxicité cardiaque ?

Le réseau des centres régionaux de pharmacovigilance a réalisé un point d’information spécifique à la chloroquine sur son site internet. Il revient précisément sur la possible toxicité cardiaque de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine et sur la conduite à tenir en cas de prescription.

La chloroquine, l’hydroxychloroquine (mais aussi l’azithromycine et le lopinavir, à un moindre degré) bloquent les canaux potassiques hERG. Les patients recevant concomitamment ces traitements sont exposés à des prolongations possibles de l’intervalle QT corrigé (QTc) de l’électrocardiogramme de surface, indique le réseau qui ajoute que « la toxicité cardiaque de l’hydroxychloroquine et de la chloroquine est dose-dépendante et des cas d’arythmies graves ont été rapportés lors de surdosage mais aussi à dose thérapeutique. »

L’allongement du QTc peut être associé à la survenue d’arythmies ventriculaires polymorphes à type de torsades de pointes. Ce risque est plus important à partir d’un QTc >500 ms. Il est majoré par l’hypokaliémie et par l’association de plusieurs médicaments allongeant le QTc, facteurs de risque souvent présents chez les patients infectés par le SARS-CoV-2. Le risque est également majoré par une fréquence cardiaque lente (<55 bpm).

Les patients infectés par le SARS-CoV-2 ont une activation du système rénine-angiotensine-aldostérone et peuvent avoir des hypokaliémies profondes (<3,0 mmol/L). Il est essentiel de corriger toute hypokaliémie avant d’administrer hydroxychloroquine et/ou azithromycine ou, si le temps ne le permet pas de monitorer l’ECG en attendant l’effet des traitements permettant d’augmenter la kaliémie.

Quelle surveillance ?

En cas de co-prescription de chloroquine ou d’hydroxychloroquine avec l’azithromycine, une surveillance cardiaque du patient est donc nécessaire :

Avant instauration du traitement  (si possible) par un ECG qui doit être d’excellente qualité. Le QTc de base donné automatiquement par l’appareil, qui est le plus souvent le QT corrigé par la formule de Bazett, est acceptable si le tracé est de qualité correcte et la fréquence cardiaque < 80 bpm. En cas de doute ne pas hésiter à demander un avis spécialisé.

Durant le traitement  :

  • Un premier ECG doit être réalisé dans les 3 à 4h suivant la première administration (au Cmax supposé de l’hydroxychloroquine ± azithromycine), pour vérifier que le QTc demeure dans des limites correctes (≤480 ms)

  • Puis un ECG est recommandé 2 fois par semaine pendant la durée du traitement et en cas de symptôme pouvant faire évoquer un trouble du rythme cardiaque (palpitations brusques et brèves, syncope, crise comitiale, …)

Interprétation du risque  :

  • L’intervalle QTc doit rester ≤ 480ms en l’absence de surveillance continue de l’ECG.

  • Si 480ms < QTc < 500ms, le patient doit être plus étroitement surveillé (d’autant plus si une bradycardie ou des extrasystoles ventriculaires monomorphes surviennent régulièrement)

  • Si le QTc est ≥ 500ms, cette valeur doit être confirmée par un nouvel ECG, par l’utilisation d’autres formules de correction (par exemple formule de Fridericia) et, idéalement, par l’avis d’un spécialiste. Le traitement doit être diminué ou arrêté en fonction de la décision du clinicien, et un monitoring cardiaque continu mis en place jusqu’à normalisation de l’ECG.

Il est important de vérifier que la kaliémie ne soit pas < 3.5 mmol/l (idéalement elle doit être entre 4.0 et 4.4 mmol/L), et de prescrire, si nécessaire, une supplémentation K+, voire des épargnants potassiques (chlorhydrate d’amiloride (Modamide®)).

Le réseau indique enfin que l’association avec les autres médicaments susceptibles d’allonger l’intervalle QT, outre le lopinavir ou l’azithromycine, expose le patient à un risque supplémentaire de torsades de pointes qui devra être pris en compte. La liste de ces traitements comporte notamment la plupart des autres macrolides mais aussi le citalopram et l’escitalopram, certains antipsychotiques (quétiapine, etc.), l’hydroxyzine, les diurétiques, etc.

 

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