Compiègne, France — Au service de dialyse de la polyclinique Saint Côme, à Compiègne, sur les 110 patients pris en charge, 15 ont été infectés par le Covid-19, dont certains au centre ou lors du trajet pour s’y rendre. Parmi eux, sept sont décédés ont annoncé les trois médecins néphrologues du service dans un message d’alerte publié sur le site de la Société francophone de néphrologie dialyse et transplantation (SFNDT). Ils suggèrent d’appliquer sans attendre des mesures préventives renforcées pour protéger ces patients particulièrement vulnérables, obligés de sortir du confinement pour être traités, ainsi que le personnel soignant.
« Il nous paraît indispensable de vous conseiller d’anticiper l’arrivée du virus dans vos unités de dialyse et de ne pas attendre le premier cas pour mettre en place des mesures préventives et de modifications de vos organisations », précisent les Drs Anthony Corchia, Eléonore Désert et Ayman Sarraj dans leur message, en s’adressant aux autres équipes de néphrologie avec lesquelles ils souhaitent partager leur expérience.
« Il s’agit de faire prendre conscience des risques pour les patients dialysés et les soignants. Les mesures mises en place dans notre centre permettent notamment d’orienter directement les patients suspects venant en dialyse vers un secteur dédié. Les cas d’infection suivent désormais la tendance en population générale et plus aucun soignant n’a depuis été contaminé », a précisé le Dr Sarraj, auprès de Medscape édition française.
Le centre de néphrologie et de dialyse de Compiègne est situé dans le département de l’Oise, où est apparu le premier cluster français d’infections par le Covid-19. « Nous avons probablement 7 à 10 jours d’avance sur le reste de la France. Nous souhaitons vous alerter sur le risque de propagation rapide du virus parmi les patients dialysés », poursuivent les médecins.
Transmission entre patients
Ils précisent que sur les 110 patients dialysés pris en charge dans le service, 15 ont été infectés par le Covid-19. Parmi eux, sept sont décédés et un patient est toujours en réanimation. Par ailleurs, trois soignants ont également été infectés. Leur état n’était pas inquiétant et ils ont depuis repris le travail, a précisé le Dr Sarraj.
Le centre de Compiègne a pu identifier quelques modes de contamination. Cinq patients dialysés ont ainsi été infectés au centre, après avoir été en contact avec le premier cas positif. Ce premier patient infecté était symptomatique le 24 février 2020. Les mesures de prévention renforcées ont été appliquées à partir du 3 mars. « Les soignants et patients infectés dans le centre ont été testés positifs entre ces deux dates », souligne le néphrologue.
Par ailleurs, deux patients ont été contaminés lors de leur transport par le même chauffeur de taxi testé positif et trois autres ont été contaminés en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).
Les patients atteints sont en majorité des hommes de plus de 60 ans avec des antécédents vasculaires, précisent les médecins. De plus, « la lymphopénie est quasi constante ». Certains patients ont présenté un syndrome confusionnel. « Les patients décédés se sont présentés avec une fièvre dépassant parfois 39°C et un syndrome inflammatoire biologique élevé, contrairement aux cas non sévères. »
« Notre expérience semble clairement montrer que les unités de dialyses sont des lieux à hauts risques de diffusion du virus. Au-delà, nous alertons sur le probable sur-risque de mortalité chez ces patients », indiquent les néphrologues, qui suggèrent des mesures préventives supplémentaires afin de limiter la transmission du virus dans le contexte de la dialyse.
Surveiller la température des patients
En dehors des mesures recommandées par les autorités, ils proposent notamment de prendre la température des patients à leur arrivée au centre, de les interroger sur leur état et, comme pour les soignants, de les équiper systématiquement d’un masque pendant toute la séance. Ils sont également invités à surveiller leur température à domicile « matin et soir » et à prévenir le centre en cas de fièvre et/ou de syndrome pseudo-grippal.
Les spécialistes recommandent également d’« informer chaque EHPAD de chaque cas positif ou suspect » et de surveiller l’évolution d’une éventuelle épidémie survenant chez les résidents de l’un de ces établissements. Les patients positifs ou fortement suspects sont à isoler en box, « avec personnel dédié » ou, si possible, dans un secteur spécifique selon le nombre de cas et les possibilités du centre.
« Connaissant le délai d’incubation de 14 jours ou plus, nos mesures ont probablement permis de ralentir la propagation intra-centre du virus », précisent les néphrologues. Selon le Dr Sarraj, le centre reçoit régulièrement des appels de patients signalant des symptômes suspects avant la séance de dialyse. Ils sont alors orientés vers le secteur spécifique mis en place.
Ces conseils font écho aux dernières recommandations américaines récemment émises par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) qui détaillent les stratégies à mettre en place dans la prise en charge des patients dialysés, notamment en cas d’infection par le coronavirus. Aux Etats-Unis également, les patients dialysés figurent parmi les premières personnes décédées de l’infection.
Dans ces recommandations, il est notamment précisé que des efforts doivent être menés pour identifier tout symptôme lié à une infection respiratoire avant même l’entrée des patients dans le centre de traitement. Les patients sont ainsi invités à déclarer une fièvre ou une gêne respiratoire avant leur arrivée pour que la prise en charge soit adaptée.
Faire évoluer l’organisation des soins
Les CDC suggèrent également de faire attendre les patients dont l’état de santé est stable dans leur véhicule personnel ou à l’extérieur de l’établissement jusqu’à ce qu’il soit contacté par téléphone lorsque la place en dialyse se libère. Pour ceux qui présentent des symptômes, le traitement doit être fourni, si possible, dans une pièce séparée.
Pour compléter, l’agence américaine met un outil à disposition, accessible en ligne, pour aider les équipes à mettre en place les différentes mesures énumérées, afin de poursuivre le traitement de dialyse en prévenant les risques de transmission, tout en se préparant à l’arrivée de patients infectés par le virus.
De son côté, la SFNDT a aussi émis des recommandations spécifiques pour aider les néphrologues à adapter la prise en charge de ces patients. Elle propose de faire évoluer l’organisation des soins en établissant des stratégies et « des protocoles simples et pratique, qui doivent être facilement accessibles » par un partage en ligne. « Il faut une organisation pour mettre à jour en temps réel les procédures. »
Concernant les patients dialysés, la société recommande de vérifier si les patients ont bien intégré les mesures barrières et utiliser, lors de chaque séance, un questionnaire standardisé pour savoir si le patient est exposé à un risque d’infection dans son quotidien. « Il faut s’assurer que les patients savent ce qu’ils doivent faire en cas de symptômes », ajoute-t-elle.
Dans le cas d’un patient chez qui on suspecte une infection par le coronavirus, « il faut établir une procédure » de prise en charge, en lien avec l’établissement hospitalier. En cas d’infections confirmées, une procédure est nécessaire pour prendre en charge un ou plusieurs patients dialysés infectés, notamment lors de soins en ambulatoire ou d’hospitalisation.
Pour ce qui est de l’équipe médicale, « il faut s’assurer que les soignants savent ce qu’ils doivent faire s’ils présentent des symptômes » ou s’ils ont été en contact avec une personne infectée. Le port du masque est recommandé. Une fois celui-ci mis en place, « il ne faut plus le toucher pendant 4 heures », comme le font les chirurgiens, précise la SFNDT.
Une centaine de transplantés rénaux infectés
Elle indique également que « l’activité de greffe rénale est complètement stoppée » pendant l’épidémie. « Il existe des alternatives sûres (hémodialyse et dialyse péritonéale) qui permettent d’attendre ». Pour les patients transplantés rénaux, il faut « reporter, dans la mesure du possible, les consultations présentielles programmées », « mettre en route la téléconsultation » et « maintenir le suivi des patients », en prévoyant des contacts téléphoniques.
Selon les derniers relevés effectués par les équipes françaises responsables du suivi des patients transplantés rénaux, on comptait au niveau national, à la date du 25 mars 2020, une centaine de patients greffés positifs pour le virus Covid-19, rapporte l’association de patients insuffisants rénaux Renaloo , dans son fil d’actualités.
« Les patients greffés [infectés] ne semblent pas pour le moment avoir une maladie très différente de celle qui affecte l'ensemble de la population française », précise l’association. « L’évolution de la maladie étant souvent assez lente (…) il est encore trop tôt pour avoir une idée précise de la survenue des formes graves chez ces patients et de leur devenir. »
Le confinement total est recommandé pour les patients transplantés. L’association Renaloo rappelle également aux patients insuffisants rénaux les principales règles de prévention. Elle souligne notamment que les traitements, ne doivent être ni modifiés, ni interrompus. Même si les anti-inflammatoires sont un facteur d’aggravation de l’infection, « ne modifiez surtout pas vos traitements par cortisone », précise-t-elle.
En cas de symptômes, l’association invite à contacter sans attendre son néphrologue ou le service de néphrologie en charge du suivi.
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Citer cet article: Un centre de dialyse durement touché par le COVID-19 lance une alerte - Medscape - 27 mars 2020.
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