France — L’essai clinique européen DISCOVERY dont l’objectif est d’évaluer les meilleures pistes de traitements expérimentaux contre le Covid-19 a inclus ses premiers patients dimanche 22 mars, a annoncé l’Inserm, coordinateur de l’essai, dans un communiqué de presse [1].
Aux trois modalités de traitements initialement prévues dans l’étude, il a été décidé d’ajouter, après d’âpres débats entre scientifiques, un nouveau bras testant l’hydroxy-chloroquine, une molécule bien connue pour lutter contre le paludisme et certaines maladies rhumatismales. (Lire COVID-19 : et si la piste de l’hydroxycholoroquine était bonne ?).
"Dès qu'une molécule génère un buzz scientifique assez robuste, il est tout a fait logique de l'intégrer dans l'étude comme molécule candidate", a commenté le Dr Florence Ader, infectiologue au CHU de Lyon et chercheuse au Centre international de recherche en infectiologie CIRI (Inserm/CNRS /Université Claude Bernard Lyon 1) qui pilote l’essai, lors d'une conférence de presse online.
« Nous avons analysé les données issues de la littérature scientifique concernant les coronavirus SARS et MERS ainsi que les premières publications sur le SARS-COV2 émanant de la Chine pour aboutir à une liste de molécules antivirales à tester : le remdesivir, le lopinavir en combinaison avec le ritonavir, ce dernier traitement étant associé ou non à l’interféron bêta, et l’hyroxychloroquine. La liste de ces médicaments potentiels est par ailleurs basée sur la liste des traitements expérimentaux classés comme prioritaires par l’Organisation Mondiale de la Santé », a précisé le Dr Ader.
• soins standards
• soins standards plus remdesivir (traitement contre Ebola, Gilead),
• soins standards plus lopinavir et ritonavir (anti VIH Kaletra, AbbVie),
• soins standards plus lopinavir, ritonavir et interféron beta
• soins standards plus hydroxy-chloroquine (Plaquenil, Sanofi).
Il est prévu d’inclure 3200 patients européens de différents pays comme la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Royaume uni, l’Allemagne et l’Espagne, et peut-être d’autres encore dont au moins 800 en France hospitalisés pour une infection COVID-19 dans un service de médecine ou directement en réanimation.
L’urgence d’une réponse rapide
L’essai randomisé, mais réalisé en ouvert, tentera de répondre au plus vite à la question du rapport bénéfice-risque de ces différentes molécules. « L’analyse de l’efficacité et de la sécurité du traitement sera évaluée 15 jours après l’inclusion de chaque patient », indique l’Inserm. Or, les patients hospitalisés recevront les traitements très rapidement. Les résultats pourraient donc être connus dans quelques semaines.
Une rapidité essentielle alors que, face aux situations dramatiques auxquelles ils sont confrontés, des médecins en France, comme ailleurs, donnent déjà certaines de ces molécules, notamment la chloroquine et l’hydroxychloroquine, à leurs patients, hors AMM et hors essais cliniques. Notons que l’option « hydroxychloroquine » est intégrée dans les recommandations de traitement actuelles en Belgique, en Lombardie, aux Pays-Bas ou en Jordanie. "En France, le Haut Conseil de la Santé Publique est en train de statuer sur la possibilité d'utiliser ou pas ces molécules en dehors du contexte de l'essai clinique", a commenté le Pr Bruno Lina (infectiologue, Hospices civiles de Lyon) lors de la conférence de presse online organisée ce jour (voir questions-réponses en page 3).
Dans leurs recommandations, les belges rappellent toutefois que cette molécule, tout comme la chloroquine, est a utiliser avec prudence et est contre-indiquée en cas de : QTc > 500 msec, de possibles interactions médicamenteuses, de myasthénie, de porphyrie, de rétinopathie et d’épilepsie.
Un essai adaptatif
Autre caractéristique inhabituelle pour un essai clinique, Discovery sera « adaptatif ». Très rapidement les traitements expérimentaux inefficaces pourront être abandonnés et remplacés par d’autres molécules qui émergeront de la recherche.
« Nous pourrons donc réagir en temps réel, en cohérence avec les données scientifiques les plus récentes, afin de mettre en évidence le meilleur traitement pour nos malades », explique Florence Ader.
Au départ, en France, cinq hôpitaux français participeront (Paris - hôpital Bichat-AP-HP, Lille, Nantes, Strasbourg, Lyon) puis d’autres centres seront inclus pour arriver au moins à une vingtaine d’établissements participants.
« Notre stratégie d’ouverture de centre suivra la réalité épidémiologique de l’épidémie avec une priorisation à l’ouverture de l’essai dans des hôpitaux sous forte pression », précise l’infectiologue.
« Cet essai est conçu de façon pragmatique et adaptative. Il a pour but d’analyser l’efficacité et la tolérance des options thérapeutiques pour les patients dans un temps limité. C’est une démarche de recherche résolument proactive contre la maladie », conclut-elle.
Cet essai va par ailleurs complémenter les données qui seront recueillies au cours d’un autre essai clinique international qui va bientôt commencer sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la Santé, baptisé « Solidarity ».
A quel stade de la maladie faut-il inclure les patients ?
Bruno Lina : Nous allons faire des inclusions avec des patients hospitalisés mais, à un stade très précoce de la maladie, parce que c'est important en termes d'action antivirale.
Pourquoi maintenir le bras Kaletra® alors que des résultats récents présentés dans le NEJM semblent décevants ?
Bruno Lina : Le bras Kaletra ® est maintenu pour deux raisons. La première est que le premier essai - qui a été réalisé en Chine et qui montre un résultat mitigé - a été fait sur un effectif de patients qui n'était probablement pas la puissance nécessaire pour que l'on puisse voir un effet. Aussi, des patients ont parfois été inclus très tardivement, au-delà du 10ème jour de la maladie. Or, dans ces conditions, la présence du virus est beaucoup moins importante qu'au tout début. Si on veut espérer mettre en évidence un effet antiviral de cette molécule, il faut qu'on le donne très tôt. Nous pensons être plus en mesure de montrer un effet potentiel de cette association avec notre essai.
La deuxième raison est que ce groupe va constituer un bras contrôle comparé au bras qui va contenir aussi contenir l'interféron beta. Cela va nous permettre de comprendre si l'ajout de cet interféron beta est un levier dans la prise en charge de ces patients.
Pourquoi ne pas avoir ajouté l'azithromycine au bras hydroxychloroquine comme dans l'essai du Pr Raoult ?
Bruno Lina : Cette association d'un antibiotique et d'un anti-paludéen a été proposée dans d'autres schémas thérapeutiques d'infections virales, comme dans le cadre de la grippe, pour son effet anti-inflammatoire et immunomodulateur. Mais en pratique, aujourd'hui nous sommes prudents sur la combinaison de ces produits car il est possible qu'il y ait une toxicité associée. Pour l'instant, il me semble très prématuré d'avoir un bras qui contienne cette association. Nous avons besoin d'avoir des données de tolérance, d'absence de toxicité, avant de pouvoir proposer cette association dans la durée.
Propos recueillis lors de la conférence de presse online
Quand les politiques s’en mêlent
Plusieurs Etats dans le monde ont décidé d’aller plus vite que la science en mettant en avant l’hydroxychloroquine comme traitement du Covid-19.
En France, le ministre de la santé Olivier Véran a annoncé jeudi dernier qu’il avait interdit toute exportation d’hydroxychloroquine depuis deux semaines afin de réserver les stocks à la France.
Vendredi dernier, lors d'un long briefing à la Maison Blanche, le président Trump a promu avec enthousiasme et à plusieurs reprises la chloroquine et l’hydroxychloroquine contre le coronavirus, bien que le rapport bénéfice-risque de ces molécules ne soit pas encore validé par de grandes études randomisées.
Enfin, au Maroc, le gouvernement a également décidé de passer outre les confirmations scientifiques en achetant tous les stocks de l'usine Sanofi de Casablanca pour traiter les malades.
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Citer cet article: COVID-19 : l’hydroxycholoroquine intégrée dans l’essai Discovery - Medscape - 23 mars 2020.
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