Montréal, QC ― La colchicine, anti-inflammatoire peu coûteux et globalement bien toléré, est couramment utilisé en rhumatologie, notamment dans le traitement de la goutte, mais aussi dans les péricardites virales. Il est à l’essai dans COLCORONA, une étude randomisée en double-aveugle, menée à l’Institut de Cardiologie de Montréal qui tente actuellement de recruter près de 6000 patients, au Canada et à travers le monde. L’idée est d’évaluer l’efficacité de la colchicine pour prévenir la « tempête inflammatoire » provoquée par la libération massive de cytokines, notamment les interleukines 1 et 6 durant le Covid -19. Le médicament ou un placebo sera administré quotidiennement pendant un mois, en ambulatoire, chez les patients positifs au SARS-CoV-2 présentant au moins un facteur de risque de complications de la maladie (70 ans et plus, hypertension, diabète, BPCO/asthme, insuffisance cardiaque, maladie coronarienne, combinaison de neutrophiles élevés avec lymphocytes bas, bicytopénie ou pancytopénie). Le critère primaire comprend l’hospitalisation ou le décès, et le critère secondaire le besoin de ventilation mécanique.

Dr Jean-Claude Tardif
Le Dr Jean-Claude Tardif, directeur du centre de recherche de l’Institut de Cardiologie de Montréal et investigateur principal de COLCORONA, détaille pour Medscape le rationnel de l’étude. L’occasion également de faire un point sur l’épidémie au Québec.
Medscape : Pourquoi tester la colchicine dans le Covid-19?
JC Tardif : Un des points communs entre la pandémie actuelle et celle de la grippe espagnole de 1918, est que les enfants présentent rarement des complications. Cela pourrait être dû au fait que la réponse inflammatoire serait rapidement freinée via un mécanisme médié par l’interleukine 10. De plus, chez l’animal infecté par le virus de l’influenza, la survie est améliorée lorsqu’on bloque la voie pro-inflammatoire de l’interleukine 1. Nous posons donc l’hypothèse que moduler la réponse inflammatoire et immunitaire chez les patients Covid pourrait prévenir les complications. Notre expérience avec la colchicine, en particulier dans l’étude COLCOT qui a montré une efficacité et une sécurité de cet anti-inflammatoire dans la prévention des complications cardiovasculaires, nous incite à tenter l’expérience. Ultimement, le meilleur traitement ou moyen de prévention est la vaccination, mais à mon avis il faudra au moins 9 mois avant de voir un vaccin efficace et sécuritaire utilisable à large échelle.
Comment se passe le recrutement actuellement ?
JC Tardif : Il devrait être complété d’ici 3 semaines. Nous recrutons des patients au Canada, mais également dans des centres aux États-Unis, comme à New York [NYU Grossman] et en Californie [UCSF]. Nous avons des contacts avec des centres à Philadelphie, Boston et Miami. Nous travaillons aussi avec des centres en Espagne. Pas de centres en France pour l’instant.
Le défi est de recruter 6000 individus SARS-CoV-2 positifs à la vitesse de l’éclair, et de mener l’étude sans faire venir les patients à l’Institut. Ils restent chez eux, toutes les visites se font par téléphone ou électroniquement, et le médicament est livré à domicile en respectant les gestes barrières. L’organisation est assez nouvelle pour nous, mais jusqu’à présent cela se passe bien.
Vous avez obtenu l'autorisation des autorités de régulation canadiennes (Santé Canada) en quelques jours. La crise actuelle du Covid change-t-elle la donne pour la mise en place des essais cliniques ?
JC Tardif : Oui. D’ailleurs notre protocole a été autorisé très rapidement non seulement par Santé Canada, mais aussi par la FDA et l’EMA. Compte tenu de la mortalité et de la morbidité associées au Covid-19 dans le monde, on ne peut effectivement pas se permettre de prendre 30 jours pour évaluer un protocole, d’autant plus que la colchicine est un médicament bien connu.
Les patients recrutés doivent présenter au moins un facteur de risque et suivent donc probablement un traitement. Quid du risque de toxicité de la colchicine majorée par d’autres médicaments (sartans, diurétiques…) ?
JC Tardif : Très peu de médicaments sont contre-indiqués pour la colchicine. En tant que clinicien, je combine la colchicine avec un sartan sans problème. Les diurétiques ne m’inquiètent pas non plus. Dans COLCOT, nous avons suivi 4745 patients pendant 2 ans, avec comme effet indésirable seulement des nausées et des flatulences.
En raison des risques d'infection secondaire, les patients Covid reçoivent souvent des antibiotiques. Quid de la contre-indication avec les macrolides ?
JC Tardif : ll y a effectivement des contre-indications pour certains macrolides, mais pas tous. C’est le cas de l’érythromycine et de la clarithromycine. Mais l’azythromycine, qui est l’antibiotique qu’on voit le plus utilisé dans le Covid-19, peut être administré avec la colchicine.
Vous ciblez un stade précoce de la maladie ?
JC Tardif : En effet, l’idée étant de prévenir les complications graves associées à la tempête inflammatoire observée dans le Covid-19, nous souhaitons intervenir tôt. Les patients sont recrutés dans les 24 heures après que le diagnostic ait été confirmé par un test PCR. Cela n’a pas été le cas pour l’instant, mais nous prévoyons également d’inclure des patients avec des symptômes avérés du Covid dont on évaluera la sérologie à 2 et 6 mois pour confirmer l’exposition au coronavirus. Par prudence, nous n’incluons pas les femmes enceintes, allaitantes, ou en âge de procréer qui ne sont pas sous contraceptifs.
Les autres études actuellement menées sur la colchicine testent une dose de 1 mg. Pourquoi avec choisi la dose de 0,5 mg dans COLCORONA ?
JC Tardif : L’étude grecque, qui utilise une dose de 1 mg par jour, est très différente de la nôtre. Elle est menée en ouvert, n’est pas contrôlée, ni randomisée, et est de petite taille (180 patients). Nous souhaitions une étude définitive et avec une dose bien tolérée pendant 30 jours. Nous nous sommes basés sur la dose utilisée dans COLCOT, qui a montré à la fois l'efficacité et la sécurité de la colchicine.
Quand aurez-vous les premiers résultats ?
JC Tardif : Nous devrions être en mesure de présenter des résultats début juin.
Quelle est la situation actuellement dans votre hôpital, et au Québec, dans ce contexte de pandémie ?
JC Tardif : La pratique à l’Institut de cardiologie a été modifiée, mais cela se passe bien. Les patients sont inquiets, mais nous utilisons tous les moyens pour les rassurer, pour qu’ils viennent consulter ― il est très important de leur rappeler de ne pas attendre s’ils ont des symptômes de maladie cardiaque ― et pour qu’ils ne soient pas exposés au risque de Covid.
[Avec 1446 décès], le Québec est malheureusement la province la plus touchée par le Covid-19 au Canada, et Montréal est la ville la plus affectée [voir les données en temps réel au Canada]. J’espère que nous avons atteint le pic et que dans les prochaines semaines, cela va diminuer. Aujourd’hui, au Québec, 20% des cas de Covid-19 concerne des personnes qui travaillent dans le domaine de la santé, soit environ 4000 professionnels. Par miracle, dans notre Institut, nous n’avons pas de membres du personnel qui ont été diagnostiqués… mais je ne sais pas s’il y a eu des cas asymptomatiques.
Comment envisagez-vous les prochaines semaines ? Êtes-vous inquiet ?
JC Tardif : Évidement l’inquiétude est vis-à-vis de la situation lorsque les mesures de confinement seront graduellement réduites. Va-t-on voir une recrudescence ? Cela me paraît assez probable, à moins que les Autorités et la population soient extrêmement prudentes et patientes. C’est un risque qui n’est vraiment pas à négliger.
Malgré le fait que le Québec soit très touché, nous avons réussi à garder la situation sous contrôle dans le sens qu’il n’y a pas eu de dépassement du nombre de patients qu’on pouvait recevoir en hôpital. Graduellement, avec les tentatives de faire repartir l’économie et de réduire les mesures de confinement, il y a un risque que les gens ne continuent pas à respecter les mesures comme la distanciation sociale, et il y a donc un risque substantiel de recrudescence des cas. Mais j’espère me tromper...
L’étude COLCORONA est coordonnée par le Centre de coordination des essais cliniques de Montréal et est financée par le gouvernement du Québec.
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Citer cet article: COVID-19 : lancement de l’essai COLCORONA avec la colchicine - Medscape - 26 avr 2020.
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