POINT DE VUE

De la crise de la réanimation pédiatrique à l’épidémie de COVID-19: le Pr Dauger s'exprime

Philippe Anaton

24 mars 2020

France -- Chef du service de réanimation pédiatrique de l’hôpital Robert-Debré (Paris, APHP), membre du collectif inter-hôpitaux, et chef de service démissionnaire dans le cadre de la crise de l’hôpital public, le Pr Stéphane Dauger commente pour Medscape le rapport de l’Igas sur la crise de la réanimation pédiatrique en Ile-de-France, en insistant sur la nécessité de mieux payer le personnel infirmier et de le fidéliser. A cette occasion, il décrit l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur son service et les efforts de tous pour participer à la lutte contre le virus. Enfin, il évoque le gel des démissions administratives en cette période de crise qui nécessite la présence d’intermédiaires pour relayer les informations mais précise que le combat mené au sein du collectif inter-hôpitaux reprendra dès que l’urgence sera gérée.

Medscape édition française : Comment jugez-vous ce rapport sur la situation de la réanimation pédiatrique en Ile-de-France ?

Pr Stéphane Dauger : Sur le constat de la mission [pas de problème de capacité de lits mais un manque de personnels, ndlr – Lire Crise de la réanimation pédiatrique en Ile-de-France : l’analyse de l’Igas], je suis tout à fait d’accord. Mais c’est sur les préconisations que le bât blesse. Encore une fois, on évoque des mesures organisationnelles, alors que le problème principal n’est pas évoqué, à savoir le salaire des infirmières. Il faut absolument augmenter les infirmières en réanimation pédiatrique, nous n’avons pas le choix ! Il faut aussi les sanctuariser, faire en sorte que deux à trois infirmières soient mises en réserve, en attendant des périodes de crise. Je sais que cela peut paraitre bizarre de demander d’avoir des infirmières qui ne seraient pas employées à plein temps, mais comparez la situation des paramédicaux avec celle des gendarmes du GIGN. Ils ne font pas des interventions tous les jours, pourtant ils sont en poste en permanence, et payés en conséquence. Bien évidemment, il faut rester raisonnable, tenir compte du bien public, savoir que l’argent n’est pas magique, comme le dirait notre président, mais on ne peut pas faire autrement. Nous sommes contents de ce rapport rédigé par des personnalités indépendantes, mais les solutions proposées ne semblent pas à la hauteur de ce que l’on avait demandé.

Il faut absolument augmenter [le salaire] les infirmières en réanimation pédiatrique, nous n’avons pas le choix !

 

Medscape édition française : Avez-vous une idée de la hausse de la rémunération des infirmières en réa pédiatrique qu’il faudrait leur proposer ?

Pr Stéphane Dauger : Je ne sais pas vous répondre. Le jour venu, après la crise que nous vivons actuellement [épidémie de Covid-19], il faudra rentrer dans une négociation avec des augmentations progressives. Il faut que ce soit global pour l’ensemble des personnels. Il faut sortir de ce système où l’on gratifie celui qui réclame, sans penser revaloriser l’ensemble du personnel. Il faut que cette revalorisation soit collective et accompagnée d’une réflexion globale. Toujours est-il que lorsque l’on fait de la réanimation pédiatrique, on devrait avoir un « plus » qui reconnaisse les spécificités de cet exercice. Si l’on veut fidéliser les personnels qui s’engagent dans cette spécialité, il faut en effet une organisation correcte, que les congés maternité soient remplacés. Pour former en deux mois une infirmière apte, je ne connais pas d’autre solution que d’avoir une réserve d’infirmières. Je n’ai pas travaillé sur les ratios. Mais par exemple sur 45 infirmières il en faudrait 3 ou 4 qui seraient là en supplément, qui travailleraient sur les protocoles, feraient de la recherche, et seraient prêtes à rentrer dans les soins si besoin.

Il faut que cette revalorisation soit collective et accompagnée d’une réflexion globale.

 

Medscape édition française : Quel est l’impact de la pandémie Covid-19 sur la réanimation pédiatrique ?

Pr Stéphane Dauger : Aujourd’hui aucun enfant n’est atteint, ou en tous les cas, très peu sont hospitalisés en secteur intensif critique avec des Covid-19 documentés. Il y en a très peu sur toute la France et, en général, ces enfants sont peu malades. Si bien que les services de réanimation pédiatrique sur l’Ile-de-France ont été mis à contribution pour aider les équipes adultes. Nous sommes en train de monter en une semaine un service pour accueillir des patients adultes avec une partie de notre équipe, aidée par des collègues d’anesthésie-réanimation qui ont fait de l’adulte, ainsi que d’autre seniors qui ont une expérience adulte. D’autres ont libéré du matériel, ou envoyer des médecins pour aider les équipes adultes.

 

Medscape édition française : Êtes-vous optimiste quant à la capacité d’accueil en réanimation en Ile-de-France ?

Pr Stéphane Dauger : Je suis mal placé pour vous répondre. Vous savez tout comme moi que, depuis quelques jours, les services de réanimation des cliniques privées sont sur le front, ouverts en permanence. À l’AP-HP, il y a eu beaucoup d’efforts faits pour libérer du personnel, et du matériel. Il faut aussi évoquer le travail des personnels non soignants, les ouvriers, les techniciens… Je peux vous parler de ce jardinier qui a ouvert un accès Samu dans notre service, par exemple. On les oublie trop souvent et c’est regrettable. Les informaticiens sont aussi sur le pont de manière très impressionnante depuis plusieurs semaines.

 

Medscape édition française : Certains médecins ont également mis entre parenthèse leur démission de leurs postes administratifs ?

Pr Stéphane Dauger : Cela dépend des secteurs et des hôpitaux. Certains hôpitaux du sud de Paris ont en effet envoyé ce message à leurs directions. Par l’exemple, nous démontrons le besoin d’un chef d’orchestre dans chaque unité, surtout dans une période de crise exceptionnelle. Avoir quelqu’un qui fait le lien, fait remonter et redescendre les informations parait nécessaire, indispensable, dans toute organisation. Nous sommes nombreux depuis plusieurs semaines, à avoir repris toutes nos fonctions administratives, sans nous poser la question. Nous avons néanmoins fait passer des messages à nos directions, en signifiant que nous n’avions toujours pas été satisfaits, et que nos revendications pour l’hôpital public restaient entières. Mais la question ne se pose pas actuellement. Nous aurons de nouveau cette situation lorsque l’état général de la population se sera amélioré, cette discussion n’est pas tombée aux oubliettes. Pour l’instant, l’urgence est ailleurs.


Retrouvez les dernières informations sur le COVID-19 dans le Centre de ressource Medscape dédié au coronavirus.    

 

 

 

 

 

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