VIH et greffe de moelle: le patient londonien toujours en rémission à 30 mois

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

20 mars 2020

Paris, France—L’année dernière, l’annonce de la guérison d’un patient londonien fonctionnellement atteint du VIH par une greffe de moelle- dix ans après le succès obtenu chez un patient berlinois[1]- avait fait grand bruit lors du congrès de la CROI (Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections) [2].

Ces résultats obtenus 18 mois après l’arrêt de la thérapie antirétrovirale  viennent d’être confirmés à 30 mois. Ils ont été présentés lors de la CROI 2020 par le Pr Ravindra Kumar Gupta (Université de Cambridge, Royaume-Uni) et publiés simultanément dans le Lancet [3].

« Cette période [de 30 mois] est en effet très longue pour rester avirémique sans thérapie antirétrovirale, étant donné que le délai médian de rebond viral après l'arrêt des traitements antirétroviraux est de 2 à 3 semaines », a commenté Jennifer Zerbato (Université de Melbourne, Royal Melbourne Hospital, Australie) dans un éditorial accompagnant l’article [4].

La portée de ces résultats est toutefois à modérer puisqu’il « est important de noter que ce traitement curatif est à haut risque et n'est utilisé qu'en dernier recours pour les patients infectés par le VIH qui présentent également des tumeurs malignes hématologiques potentiellement mortelles. Par conséquent, il ne s'agit pas d'un traitement qui serait largement proposé aux patients séropositifs qui suivent un traitement antirétroviral réussi », a rappelé le Pr Gupta.

Dans le cas présent, le patient séropositif était atteint d’un lymphome hodgkinien.

Ce patient a bénéficié de protocoles de chimiothérapie adaptés associés à une procédure de transplantation allogénique de cellules souches hématopoïétiques (allo-HSCT) sans irradiation corporelle totale.

Il a reçu une allogreffe de moelle provenant d’un donneur homozygote delta 32 (gène de résistance au VIH). Cette double délétion prive les cellules du récepteur CCR5, un des récepteurs d’entrée du VIH dans les cellules.

Pas de détection virale dans le sang, le LCR, le sperme, l’intestin…

Trente mois après l'arrêt de la thérapie antirétrovirale, aucune infection virale active n'a été détectée dans les échantillons de sang du patient. De même, à 29 mois, aucune trace du virus n’a été retrouvée dans le liquide céphalorachidien, le sperme, le tissu intestinal et le tissu lymphoïde. En revanche, un signal positif très faible a été détecté dans les LT CD4 mémoires et dans les ganglions lymphatiques. Mais, il s’agissait de fragments d’ADN, incapables de se répliquer.

Plus précisément, la charge virale du VIH-1 dans le plasma est restée indétectable chez le patient londonien jusqu'à 30 mois (dernier test le 4 mars 2020), en utilisant un test avec une limite de détection de 1 copie par ml.

Le nombre de CD4 du patient était de 430 cellules par μL (23,5% du total des cellules T) à 28 mois.

Un signal positif de très bas niveau pour l'ADN du VIH-1 a été enregistré dans les cellules de mémoire CD4 périphériques à 28 mois.

La charge virale dans le sperme était indétectable à la fois dans le plasma (limite inférieure de détection [LLD] <12 copies par ml) et dans les cellules (LLD 10 copies pour 106 cellules) à 21 mois.

Le LCR était dans les paramètres normaux à 25 mois, avec l'ARN du VIH-1 inférieur à la limite de détection (LLD 1 copie par ml).

L'ADN du VIH-1 (détecté par PCR digitale en émulsion) était absent dans le rectum, le caecum et le côlon sigmoïde et les échantillons de tissu de l'iléon terminal à 22 mois.

Une faible quantité d’ADN du VIH-1 a été détectée dans les ganglions lymphatiques.

Les réponses des lymphocytes T CD4 et CD8 spécifiques au VIH-1 étaient absentes à 27 mois.

Les anticorps anti-enveloppe de faible avidité ont continué de baisser.

Enfin, à 21 mois et après interruption surveillée du traitement antirétroviral (analytical treatment interruption ou ATI), le patient a présenté une réactivation du virus d'Epstein-Barr (EBV) mais pas d'infections opportunistes.

Un risque négligeable de rebond ?

Pour prédire le risque de rebond viral après l'arrêt de la thérapie antirétrovirale, Gupta et ses collègues ont développé un modèle mathématique basé sur le nombre de cellules infectées (la taille du réservoir) et le nombre de cellules cibles sensibles, estimé par le degré de chimérisme ou la proportion de cellules donneuses par rapport aux cellules receveuses. Le patient londonien ayant un chimérisme supérieur à 90% de ses cellules T circulantes (99%), ils en ont conclu que les risques de rebond viral étaient négligeables.

Par rapport au traitement utilisé sur le patient berlinois, les auteurs soulignent que leur approche de traitement est moins invasive, montrant que la rémission à long terme du VIH peut être obtenue en utilisant des schémas thérapeutiques moins intensifs, avec une greffe de cellules souches (plutôt que deux) et sans irradiation corporelle totale.

Des résultats à interpréter avec prudence

Dans l’éditorial accompagnant l’article du Lancet, Jennifer Zerbato remarque qu’il faudra cependant « plus qu’une poignée de patients guéris du VIH pour vraiment comprendre la durée du suivi nécessaire et le risque de rebond tardif de la réplication du virus ».

Dans un blog posté l’année dernière sur Medscape , le Pr Gilles Pialoux (infectiologue, hôpital Tenon, Paris) se montrait lui aussi très prudent quant à l’importance à accorder à ces résultats : « Qui va avoir une irradiation corporelle, comme le patient de Berlin, une immunosuppression très sévère pour l’acceptation de la greffe de moelle pour le patient de Londres pour arriver à contrôler son VIH ? Il s'agit purement de la recherche pour la recherche, soyons très clairs », expliquait-il.

Il avait alors rappelé qu’en dehors du patient de Berlin et du patient de Londres, des expériences aux Pays-Bas, en Allemagne, à Minneapolis, au Chili, s’étaient soldées par le décès de la personne qui avait à la fois VIH et une hémopathie maligne.
 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....