Paris, France -- Vendredi 13 mars, à l'heure où la France ne vivait pas encore la situation dramatique de saturations des hôpitaux italiens quand des médecins ont dû « trier » les patients susceptibles de recevoir des soins, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) publiait sa contribution sur les « enjeux éthiques face à une pandémie »[1].
« Dans une situation de pénurie de ressources, écrit-il, les choix médicaux, toujours difficiles, seront guidés par une réflexion éthique qui prendra en compte le respect de la dignité des personnes et le principe d’équité ».
Il anticipait, par ailleurs, que les pouvoirs publics prennent « des mesures contraignantes, telles que la réquisition ou le confinement de certaines catégories de citoyens, ou des restrictions à la circulation » mais, rappellait que « tous les droits et libertés qui n’auront pas été spécifiquement écartés devront continuer à être appliqués ».
Cellules éthiques de soutien
Vendredi, le CCNE envisageait clairement un scénario à l’italienne. Pour son président, le Pr Jean-François Delfraissy : « l’Italie est dans une situation complexe qui peut nous arriver en France. Il faut sortir de l’idée que nous avons un système de soins qui serait meilleur que les Italiens. Les équipes italiennes sont des spécialistes de ces défaillances respiratoires aiguës ».
Mais « est-ce que notre système de soins déjà meurtri aura suffisamment de ressources pour faire face à tous les cas graves ? » s'interrogeait-il. La question est effectivement sur toutes les lèvres, surtout depuis l’afflux de cas graves que connait la France ces derniers jours. Avant de poursuivre : « la question de la limitation des ressources pose la question des choix difficiles à faire pour les soignants ».
Dans ce contexte, « la place d’une réflexion éthique dans la prise en charge des patients graves, dans les choix de réorganisation des services de santé devant faire face à la gestion de ressources rares (lits de réanimation, ventilation mécanique) » devient incontournable. C'est elle, qui a conduit le CCNE à proposer la mise en place de cellules éthiques de soutien « permettant d’accompagner les professionnels de santé au plus près de la définition de leurs priorités en matière de soins ».
Organisées régionalement avec l’appui des agences régionales de santé (ARS), des espaces de réflexion éthiques régionaux (ERER) et des groupes d’éthique clinique des CHU, ces « cellules éthiques de soutien » aurait pour but d’accompagner les professionnels qui peuvent se retrouver à devoir faire face à la gestion de ressources rares.
« Ainsi, lorsque des biens de santé ne peuvent être mis à la disposition de tous du fait de leur rareté, l’équité qui réclame une conduite ajustée aux besoins du sujet se trouve concurrencée par la justice au sens social qui exige l’établissement des priorités, parfois dans de mauvaises conditions et avec des critères toujours contestables : la nécessité d’un « tri » des patients pose alors un questionnement éthique majeur de justice distributive, en l’occurrence pouvant se traduire par un traitement différencié des patients infectés par le COVID-19 et ceux porteurs d’autres pathologies, écrit le CNCE. Ces choix devront toujours être expliqués et respecter les principes de dignité de la personne et d’équité ».
En clair, « sélectionner les personnes à protéger en priorité en fonction de leur seule valeur « économique » immédiate ou future, c’est-à-dire de leur « utilité » sociale n’est pas acceptable : la dignité d’une personne n’est pas tributaire de son utilité » insiste le CCNE.
Effort de communication
Le CCNE recommande également aux pouvoirs publics la mise en place d’une instance mixte d’experts scientifiques de différentes disciplines, incluant les sciences humaines et sociales, conjointement avec des membres de la société civile, « ce qui constituerait une démarche inédite dans notre démocratie ». Il invite le gouvernement à « garder en permanence à l’esprit le devoir fondamental d’expliquer et de rendre intelligibles les décisions contraignantes d’urgence en santé publique, dans la mesure où cela conditionnera leur acceptabilité » Les mesures de confinement en sont la parfaite illustration. Enfin, il incite également à une communication ciblée envers les groupes les plus précaires : personnes en situation de grande pauvreté, SDF, personnes en situation de handicap ou souffrant de maladies psychiatriques, migrants, prisonniers.
En insistant sur les notions de responsabilité et de solidarité collective, le groupe de travail* du CCNE considère que « le moment est déterminant car si, les institutions sanitaires, éthiques, démocratiques franchissent cette épreuve, ce n'est pas seulement la défiance aggravant le mal qui sera évitée, mais la confiance au-delà de cette épreuve qui sera renforcée ».
* Outre le président du CCNE, le Pr Jean-François Delfraissy, le groupe de travail était composé du Dr Sophie Crozier, neurologue à la Pitié-Salpêtrière, du juriste Pierre Delmas-Goyon, de l'agronome Pierre-Henri Duée, de la journaliste Claire Hédon et du philosophe Frédéric Worms.
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Citer cet article: COVID-19 : les enjeux d’une prise en charge éthique par temps de restriction - Medscape - 18 mars 2020.
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