Antibiothérapie sous-cutanée : pour quels patients ?

Dr Hugues Michelon, Dr Benjamin Davido

Auteurs et déclarations

24 mars 2020

Les voies d’administration antibiotique actuellement recommandées ne sont pas toujours possibles chez certains patients. Dans quelles conditions et avec quelles molécules peut-on envisager l’abord sous-cutané ?

TRANSCRIPTION

Benjamin Davido — Bonjour à tous, je suis Benjamin Davido, médecin infectiologue à l’hôpital Raymond Poincaré, à Garches. J’ai le plaisir de recevoir le Dr Hugues Michelon avec qui nous allons parler d’antibiothérapie sous-cutanée.

L’antibiothérapie est un problème en termes de posologie, de bon usage, de juste prescription, avec une émergence de la résistance, mais on parle rarement des voies d’administration. Je pense que c’est quelque chose que les gens ne connaissent pas bien. Hugues, peux-tu te présenter et nous faire un rappel l’historique de cette antibiothérapie sous-cutanée ?

Hugues Michelon — Bonjour, je suis pharmacien et praticien hospitalier à l’Assistance Publique/Hôpitaux de Paris, je travaille à l’hôpital Raymond Poincaré, à Garches, qui est un hôpital spécialisé dans le handicap et également dans l’infectiologie, mais également à l’hôpital Sainte-Perrine, dans le 16e arrondissement de Paris, qui est un hôpital de 500 lits de gériatrie.

La voie sous-cutanée est effectivement une voie qui connaît un véritable regain d’intérêt depuis quelques années, notamment dans le domaine des soins palliatifs et de la gériatrie. Pourquoi ? Tout simplement parce que c’est une voie d’administration qui présente un intérêt particulier, notamment lorsque les voies d’administration conventionnelles, qu’elles soient per os ou parentérales de type IM/IV, ne vont plus pouvoir être accessibles chez le patient.

Benjamin Davido — Donc par exemple chez un patient qui a du mal à déglutir ou qui est difficilement perfusable.

Hugues Michelon — Exactement. Un patient qui est difficilement perfusable, qui a des problèmes d’agitation, un trouble du comportement, et notamment lorsqu’il a des réseaux veineux très médiocres, et des problèmes de sarcopénie qu’on trouve très souvent en gériatrie.

Benjamin Davido — D’accord. Il y a eu récemment, en octobre 2019, une actualité avec l’ANSM qui a expliqué qu’il ne fallait plus utiliser la voie sous-cutanée pour un des antibiotiques largement prescrits en infectiologie et en gériatrie, qui est la ceftriaxone, la rocéphine. Peux-tu nous en dire un peu plus ?

Hugues Michelon — Si on fait un rappel historique, cela a commencé en 2014 avec l’agence européenne du médicament (EMA) qui a décidé de réviser complètement et d’harmoniser les RCP des spécialités à base de ceftriaxone, et notamment de restreindre l’administration de ces médicaments uniquement à la voie IV et à la voie IM.

Benjamin Davido — Et pour quelle raison ?

Hugues Michelon — En l’absence de données suffisantes pour justifier de l’administration par voie sous-cutanée. En fait, il s’agissait d’une pratique purement franco-française en raison de l’absence de données fondées sur les preuves et pour des problèmes de tolérance.

Benjamin Davido — Et aussi peut-être avec une peur des dosages, c’est ça ? Qu’on ne soit pas à l’efficacité identique d’une voie intraveineuse ou intramusculaire, c’était ça ?

Hugues Michelon — Exactement. Et problèmes de tolérance, notamment au niveau des sites d’injection avec des problèmes d’œdème, de rash, parfois même des nécroses cutanées.

Benjamin Davido — Personnellement, en tant qu’infectiologue, je suis souvent sollicité pour des avis à distance — plusieurs fois j’ai eu des collègues qui m’ont dit « mais non, on ne peut pas prescrire la ceftriaxone que vous préconisez parce que, justement, en gériatrie, typiquement, le malade n’est pas perfusable. » Et j’avoue que je l’ai un peu su sur le tas. Si on ne peut plus faire ces voies sous-cutanées, quelle est l’alternative ? C’est de ne pas mettre d’antibiotique ? De faire de l’intramusculaire (IM) ?

Hugues Michelon — Effectivement, la voie intramusculaire pourrait être une très bonne alternative dans ce cas de figure. D’autant plus que d’un point de vue pharmacologique, la voie IM et la voie sous-cutanée sont deux voies relativement proches… Parce qu’elles correspondent toutes les deux à une administration parentérale dans le secteur extra-vasculaire avec les mêmes limites liées aux propriétés physico-chimiques des médicaments… On est très limité, aussi, au niveau des quantités et des volumes qu’on peut administrer. Et le souci est qu’en gériatrie, la voie IM est par contre très difficile à pratiquer pour différentes raisons, notamment la sarcopénie, qu’on trouve très fréquemment… et qui va limiter l’absorption des médicaments et des antibiotiques… mais il y a également les anticoagulants. C’est le risque hémorragique, puisqu’on est fortement exposé avec une population qui est sous anticoagulants et antithrombotiques, donc qui contre-indique finalement cette voie intramusculaire. C’est pour cela qu’on ne peut pas se passer de la voie sous-cutanée en gériatrie, malheureusement.

Benjamin Davido — Justement, à l’issue de cette note d’information de l’ANSM, il y a eu une levée de boucliers des infectiologues, de la SPILF — la société savante — et si j’ai bien compris, on a le droit de le faire, tout de même, si on juge que le bénéfice est supérieur au risque sous réserve d’une prescription hors AMM.

Hugues Michelon — Exactement. C’est vrai que cette note a créé un véritable tollé dans la communauté médicale des gériatres et des infectiologues. Les sociétés savantes — la SPILF et la SFGG — sont montées au créneau et cela a valu d’ailleurs un addendum quelques semaines plus tard de l’ANSM pour dire que dans certaines situations cliniques, le médecin pouvait juger indispensable de pratiquer cette voie sous-cutanée sous réserve, bien sûr, d’en avoir informé son patient et d’avoir évalué le bénéfice-risque dans le cas d’une hors AMM.

Benjamin Davido — Donc, ouf ! On est sauvé. On va pouvoir parler justement de l’aspect réglementaire. Donc cette prescription, elle se fait hors AMM. Peux-tu nous expliquer le côté réglementaire, toi qui es pharmacien et qui connais bien cela ? Comment fait-on une prescription hors AMM, dans le cas présent ?

Hugues Michelon — Si on voulait définir une prescription hors AMM au sens strict, cela pourrait se définir comme toute prescription d’un antibiotique, en dehors de son RCP, y compris toutes les indications et toutes les posologies qui vont être en dehors de l’AMM. C’est vrai que cale fait l’objet d’un cadre juridique qui s’est vraiment durci depuis l’affaire du Mediator en 2008. Toutes les règles sont maintenant définies, ont été publiées dans la Loi Bertrand de décembre 2011, qui précise bien les conditions pour prescrire hors AMM, à savoir que : toute prescription ne peut être possible que s’il n’y a pas d’alternative thérapeutique qui bénéficie déjà d’une AMM ou d’une autorisation temporaire d’utilisation…

Benjamin Davido — Ce qui est souvent le cas, finalement, lorsqu’on fait du sous-cutané.

Hugues Michelon — Exactement. Et il faut qu’à tout moment le clinicien soit en mesure de prouver que la thérapeutique utilisée est reconnue comme efficace et jugée non dangereuse au regard des dernières données de la littérature. Il faut également que le traitement prescrit hors AMM soit jugé comme indispensable au regard de l’état clinique du patient, et également que le prescripteur en ait évalué le bénéfice-risque et en ait bien sûr informé son patient.

Benjamin Davido — Donc clairement, c’est quelque chose qu’on ne fera pas en routine. C’est à réserver à des situations de sauvetage, compliquées, et comme tu le dis, soit dans du palliatif, soit dans du gériatrique, soit dans des difficultés d’abord.

Hugues Michelon — Exactement. Une condition quand même, sine qua non, c’est de tracer cette prescription hors AMM à la fois dans le dossier médical du patient et sur la prescription.

Benjamin Davido — Absolument. Si je ne dis pas de bêtises, lorsque c’est fait en ville, pour les médecins généralistes qui nous regardent, lorsqu’il y a une prescription qui est prescrite hors AMM, normalement le pharmacien est dans le droit de ne pas rembourser le patient, puisqu’il n’y a pas de prise en charge.

Hugues Michelon — Exactement.

Benjamin Davido — Peut-on citer quelques exemples d’antibiotiques qu’on peut faire en voie sous-cutanée, et a contrario, certains qu’on ne peut pas faire ― on parle de la ceftriaxon parce que c’est l’actualité, mais est-ce qu’il y en a d’autres ?

Hugues Michelon — C’est vrai qu’actuellement on n’a quasiment plus aucun antibiotique, malheureusement, qui dispose d’une AMM pour la voie sous-cutanée mis à part le fameux thiamphénicol, mais dont l’usage reste anecdotique. Pendant longtemps, on a eu la ceftriaxone et les aminosides. Il faut savoir que, maintenant, pour les aminosides, l’usage est à proscrire et n’est plus recommandé pour différentes raisons, notamment suite à la publication de différentes études qui ont montré une diminution des pics de concentration, une diminution des Cmax, qui pouvait être à l’origine, justement, d’une perte d’efficacité et d’une sélection de mutants résistants. Je rappelle que les aminosides sont des molécules qui ont une bactéricidie concentration-dépendante. Et effectivement, pour des raisons purement de sécurité — il y a eu des nécroses sur les sites de ponction avec les aminosides.

Actuellement, on dispose de beaucoup plus de données rassurantes PK/PD en ce qui concerne l’ertapénem —je fais référence aux travaux de l’équipe d’Emmanuel Forestier dans les traitements des infections urinaires à entérobactéries BLSE — et il y a également des données dans la littérature sur l’usage de la téicoplanine par voie sous-cutanée, et bien sûr les céphalosporines avec la ceftriaxone, et dernièrement la céfépime.

Benjamin Davido — Très bien. Alors l’infectiologue se permet de rebondir — il faut utiliser avec parcimonie l’ertapénem, qui est une carbapénème et qui doit être réservé à des situations de multirésistance, et maintenant de toute façon les aminosides sont utilisés exceptionnellement hors choc septique. Et en choc septique, on est souvent en réanimation et sous cathéter, donc finalement, pour le clinicien, ce n’est pas tellement un problème.

Quelles sont les modalités d’administration de la ceftriaxone ou de la téicoplanine en sous-cutané ? Est-ce de la perfusion directe ? De la perfusion avec reconstitution en soluté ?

Hugues Michelon — Première règle : d’une façon générale, il sera toujours conseillé de varier les sites d’injection, que ce soit la face supéro-externe des cuisses, que ce soit l’abdomen, la face externe des bras, ou voire même l’omoplate. Pour un meilleur confort du patient, il sera toujours conseillé de faire ce qu’on appelle de la mini-perfusion sur 15–30 minutes, plutôt que du bolus, puisque le facteur limitant la douleur est lié au volume injecté.

Benjamin Davido — C’est logique.

Hugues Michelon — Donc si on prend l’exemple de la ceftriaxone, une fois reconstitué le produit, on le diluera dans une poche de soluté isotonique de 50 ml qu’on perfusera sur 15 à 30 minutes.

Benjamin Davido — Et pas besoin de lidocaïne, comme dans l’IM ?

Hugues Michelon — Pour l’injection directe, on pourra utiliser et reconstituer le médicament, effectivement, avec de la lidocaïne 1 %.

Benjamin Davido — Puisqu’on a parlé de la ceftriaxone et de la téicoplanine, est-ce qu’on a d’autres antibiotiques plus récents, notamment les anti-Pseudomonas par exemple, qu’on peut faire en sous-cutané avec d’autres bêtalactamines ?

Hugues Michelon — Effectivement, les bêtalactamines, de par leurs différentes propriétés physico-chimiques, sont des molécules qui seraient d’excellents candidats à cette voie sous-cutanée. Pourquoi ? Parce que ce sont des molécules qui ont, là encore, une bactéricidie qui va être temps-dépendante, ce qui permet d’avoir des niveaux d’exposition suffisants pour dépasser les CMI. Et effectivement, à titre d’exemple, on a récemment traité une patiente de 90 ans en traitement de sauvetage pour une infection urinaire compliquée à Pseudomonas qui a une évolution tout à fait favorable à j30 après l’arrêt du traitement. On a pu confirmer cela avec des dosages qui montrent que les concentrations observées étaient dans les mêmes range qu’on peut retrouver dans le cas d’une administration intraveineuse pour lutter, justement, contre 100 % des Pseudomonas.

Benjamin Davido — Donc c’est plutôt rassurant pour penser qu’il y a possiblement un effet de classe sur les bêtalactamines.

Hugues Michelon — Exactement.

Benjamin Davido — On a donc parlé principalement d’antibiotiques à action contre les Gram–, comme la ceftriaxone, un peu de la téicoplanine. En France, les anti-staphylococciques, ce sont rarement des anti-SARM, mais dans les infections nosocomiales, dans les infections compliquées, on a parfois besoin de ces antibiotiques anti-SARM. Que peut-on faire ? A-t-on des solutions ?

Hugues Michelon — Il est vrai que dans le cas de la voie sous-cutanée, à part malheureusement la téicoplanine, on n’a pas grand-chose « à se mettre sous la dent ». L’idée, chez ces patients qui sont difficilement applicables et perfusables, serait de pouvoir simplifier la thérapeutique, simplifier les administrations intraveineuses en utilisant des anti-SARM qui présentent des demi-vies d’élimination très longues, de l’ordre de 10 à 15 jours…

Benjamin Davido — C’est l’avenir ou c’est l’actualité ?

Hugues Michelon — C’est l’actualité, parce qu’effectivement, je pense notamment à deux molécules qui sont sorties récemment avec la dalbavancine et l’oritavancine, qui ont toutes les deux des demi-vies d’élimination, l’une de 10 jours, l’autre de 14 jours, qui permettent de faire une cure entière en une seule, voire, deux perfusions…

Benjamin Davido — Mais en intraveineux.

Hugues Michelon — Exactement, en intraveineux.

Benjamin Davido — D’accord. Donc cela veut dire qu’en gros cela reste d’excellents candidats, mais que la voie sous-cutanée, c’est vraiment avec du recul sur certaines molécules et pas toutes les classes d’antibiotiques.

Hugues Michelon — Effectivement. L’idée n’est pas de substituer la voie sous-cutanée à la voie IV. La voie IV reste la principale, mais cela reste une voie de sauvetage, en tout cas pour la gériatrie.

Benjamin Davido — Merci beaucoup, c’était extrêmement clair. Peut-être aura-t-on l’occasion de rediscuter de données en cours. Je crois qu’il y a une cohorte qui est en train de colliger tous les antibiotiques en France, en sous-cutané. Peux-tu nous dire un mot ?

Hugues Michelon — Oui, dans le cas de l’intergroupe SPILF/SFGG, il y a une étude qui est toujours en cours pour évaluer les données de cinétique et de tolérance de certains antibiotiques, notamment la ceftriaxone, la pipéracilline-tazobactam ; donc on attend avec impatience les résultats de cette étude.

Benjamin Davido — Merci beaucoup, et bonne journée à tous.

Enregistré le 13 février 2020, à Paris

 

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