COVID-19 : quel est le rôle des récepteurs du système rénine-angiotensine ?

Heather Boerner

Auteurs et déclarations

17 mars 2020

Boston, Etats-Unis – Le SARS-CoV2, le virus à l'origine du COVID-19, pénètre dans les poumons par les récepteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (ACE2), et les personnes avec une hypertension artérielle présentent une forme plus sévère de l'infection. De quoi s'interroger sur la relation entre le COVID-19 et l'hypertension. Celle-ci a d'ailleurs fait l’objet d'une session spéciale de la Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections (CROI). A noter que La Société européenne de cardiologie (ESC) a réagi vendredi dernier à cette "théorie" en rassurant sur les antihypertenseurs et en incitant en poursuivre les traitements (Lire COVID-19 : l’ESC conseille de continuer les antihypertenseurs en dépit des inquiétudes).

 

Cette CROI 2020 s'est déroulée de façon inédite : pour cause de COVID-19, elle s'est en effet tenue de façon virtuelle avec des diffusions en direct sur Internet. D'autres congrès médicaux sont, eux, purement et simplement annulés.

 

Théorie sortie tout droit de l'imagination

Chercheurs et médecins essayent de déterminer si le pic de gravité de la maladie chez les individus présentant une hypertension est une coïncidence liée à l'âge et à l'état général ou si on peut l'expliquer par le rôle des récepteurs ACE2 à la fois dans l'hypertension et dans l'infection au coronavirus SARS-CoV2. Si association il y a, alors la question est de savoir si des inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine pourraient améliorer ou empirer les individus à plus haut risque d'une forme sévère du COVID-19. Lors de la session spéciale de la CROI sur le COVID-19, le Pr Ralph Baric (UNC Gillings School of Global Public Health, Chapel Hill, Caroline du Nord), spécialiste des coronavirus, s’est exprimé sur cet aspect.

« Il est vraiment important de souligner qu'il s'agit d’hypothèses sorties tout droit de l’imagination » explique le Dr Chris Longenecker (Case Western Reserve University School of Medicine, Cleveland, Etats-Unis). « Autant que je sache, il n'y a pas de preuve aujourd'hui qu'ils (ndlr : les inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine) aient des bénéfices cliniques (ndlr : sur le COVID-19) » considère le Dr Longenecker dans un entretien avec Medscape Medical News.

 
Plus de 40 % des individus atteint d'une forme sévère de l'infection ont une hypertension. Dr Zunyou Wu
 

Au cours de la même session, le Dr Zunyou Wu (épidémiologiste, Chinese Center for Disease Controle and Prevention) a présenté des données montrant que plus de 40 % des individus atteint d'une forme sévère de l'infection ont une hypertension. La deuxième comorbidité la plus fréquente est le diabète avec environ 20 % des cas. Des données similaires ont déjà été rapportées récemment.

Le SARS-CoV2 utilise les récepteurs ACE2

Il semble que le virus SARS-CoV2 soit taillé pour infecter le corps humain. Bien qu'ils émergent, semble-t-il, des chauves-souris ou d'une espèce dont les chauves-souris se nourrissent, beaucoup de coronavirus utilisent les récepteurs ACE 2 pour pénétrer dans les cellules. Ces récepteurs existent dans de nombreuses espèces.

Présents au niveau du cœur et des poumons, ils ont un rôle dans le développement de l'hypertension et du diabète dans l'espèce humaine. Ils sont d’ailleurs plus nombreux chez les patients avec une maladie cardiovasculaire.

En général, pour qu'un virus passe d'une espèce à une autre, il faut plusieurs séries de mutations. De même, il faut généralement du temps pour passer d'une infection relativement bénigne à une épidémie.

Mais le Pr Baric ainsi que d'autres chercheurs qui ont séquencé les coronavirus des chauve-souris considèrent maintenant que les populations de chauve-souris « sont porteuses de virus qui utilisent différents récepteurs ACE2. Par hasard, certains de ces virus peuvent directement s'introduire chez l'être humain ou un autre réservoir secondaire ».

Autrement dit, le virus peut passer directement de la chauve-souris à l'être humain. « Et dans certains cas, ces virus seraient capables d'être programmés pour atteindre d'emblée le niveau épidémique » a-t-il expliqué.

 
Les hommes sont aujourd'hui touchés plus sévèrement que les femmes. Dr Zunyou Wu
 

Le fait que le SARS-CoV2 cible directement les récepteurs ACE2 pourrait être important. Par exemple, on sait que les femmes expriment plus ces récepteurs. Mais d'après les données présentées par le Dr Wu, les hommes sont aujourd'hui touchés plus sévèrement que les femmes.

Quid des patients sous traitement antihypertenseur ?

Les inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone, qui comprennent les inhibiteurs ACE, sont à l'origine d'une augmentation de l'expression des récepteurs ACE2, d'après un récent commentaire publié dans Nature Reviews Cardiology [1].

« La sécurité et les effets potentiels d'un traitement antihypertenseur avec des inhibiteurs ACE ou des antagonistes des récepteurs de l'angiotensine chez des patients atteints de COVID-19 devraient être pris en compte avec prudence » écrivent les chercheurs chinois. « Savoir si des patients atteints de COVID-19, d'hypertension et sous inhibiteur ACE ou sous un antagoniste des récepteurs de l'angiotensine devraient changer de traitement antihypertenseur reste controversé, et nécessite plus de preuves. »

L'augmentation de l'expression des récepteurs ACE a été discutée récemment dans une lettre publiée dans le BMJ par des chercheurs suisses qui y soulignaient le besoin urgent «  d'études précliniques et épidémiologiques afin de clarifier cette relation » [2].

S'il y a une association entre les inhibiteurs ACE et le virus, « nous devrions être en mesure de réduire le risque d'un COVID-19 à l'issue fatale chez beaucoup de patients en remplaçant temporairement ces médicaments par d'autres », écrivent-ils.

Cependant, il a été montré aussi que l'enzyme de conversion de l'angiotensine II (ACE2) joue un rôle protecteur dans les syndromes de détresse respiratoire causés par la grippe, et avec l'âge, l'expression de l'ACE2 décline, a expliqué Ralph Baric. Des travaux de recherche supplémentaires sont indispensables avant d'avancer des préconisations cliniques.

« Il y a probablement une relation directe entre le niveau d'expression d'ACE2 et la sévérité de la maladie » a-t-il dit. « Et cela joue certainement sur la sévérité liée à l'âge » constatée chez les patients COVID-19.

Des petites molécules développées pour se lier à l'ACE2 et qui pourraient empêcher l'infection par le virus SARS-CoV2 ont été évaluées dans une étude de 2013 [3]. « C'est une très bonne idée d'explorer à nouveau l'utilisation de ces médicaments à la fois in vitro et sur des modèles animaux ».

Des questions sans réponse

Lors de la CROI, le sujet de l'hypertension et du COVID-19 a soulevé plus de questions que de réponses.

Dans l'étude du Dr Wu, on ne connaît pas par exemple le nombre de fumeurs ni le nombre d'individus sous traitement antihypertenseur.

Le Dr Longenecker se demande, lui, si la relation entre l'hypertension et des formes sévères de COVID-19 ne serait pas liée à une sur-représentation chez les personnes âgées.

« Les personnes âgées ont des taux plus importants d'hypertension, de maladies cardiovasculaires » a-t-il expliqué à Medscape Medical News. « Cela peut être une explication, et cela n'aurait rien à voir avec le récepteur à angiotensine. Ceci est à explorer ».

Cet article a été initialement publié en anglais le 11 février 2020 sous le titre « Scientists Seek Answers to Hypertension–COVID-19 Link » sur Medscape US, traduit et adapté par Marine Cygler pour Medscape édition française.

Retrouvez les dernières informations sur le COVID-19 dans le Centre de ressource Medscape dédié au coronavirus.

 

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