
Pr Francis Berenbaum
France -- Après l’annonce par le ministre de la santé, Olivier Véran d’éviter la prise d’AINS en raison du risque d’aggravation de COVID-19, de nombreux médecins, en particulier étrangers, ont réagi sur les réseaux sociaux en indiquant que les preuves étaient actuellement insuffisantes pour une telle recommandation. Qu’en est-il en pratique ? Que faut-il communiquer aux patients qui sont actuellement sous traitement anti-inflammatoire ? Quid des IPP ? Le point avec le Pr Francis Berenbaum, rhumatologue à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris.
Medscape édition française : Que pensez-vous de l’annonce du ministre d’éviter les anti-inflammatoires?
Pr Francis Berenbaum : C’est une bonne chose d’avoir évoqué ce problème. Ce sont des recommandations que l’on donne déjà pour d’autres infections virales, comme la grippe. Sur le site de l’Assurance maladie figure déjà une recommandation de ne pas utiliser les AINS. Dans le cas présent, pour le COVID-19, il semblerait que beaucoup de patients en réanimation étaient sous AINS ou sous corticoïdes. Il faut donc éviter les antiinflammatoires en cas d’infection non contrôlée.
Quel est le mécanisme associé au surrisque de COVID-19 avec les anti-inflammatoires?
Il existe une hypothèse, qui a été soulevée dans une lettre publiée dans le Lancet , et qui est que, pour pouvoir s’accrocher aux cellules, le virus a besoin de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE-2). Or, il a été montré que l’ibuprofène augmentait la production d’ACE-2, ce qui faciliterait l’accroche du virus. On peut alors imaginer que cela aggrave la maladie. L’autre point est qu’on sait que la prise d’anti-inflammatoires augmente le risque de surinfection.
Quelles sont les recommandations pour les patients qui suivent actuellement un traitement antiinflammatoire?
Il faut effectivement éviter de prendre de AINS actuellement sauf si on a une spondylarthrite bien équilibrée avec des anti-inflammatoires au long court. Si le patient n’a ni fièvre, ni symptôme de syndrome grippal, il peut continuer à prendre des AINS. Mais en-dehors de cette situation de spondylarthrite, on devrait arrêter les anti-inflammatoires.
Mais attention, il est très important de rappeler qu’on ne peut pas arrêter brutalement la cortisone. Même si on développe des symptômes grippaux ou de la fièvre, il ne faut pas stopper son traitement. Les conséquences d’arrêter brutalement la cortisone sont en effet plus importantes que le fait de la poursuivre. Si le traitement est arrêté brutalement, il y a aura un risque de décompenser le rhumatisme inflammatoire et il sera plus difficile après pour gérer une infection si elle doit survenir.
On a beaucoup parlé des groupes à risque de COVID-19 : les patients avec antécédents cardiovasculaires , diabète, cancer etc. Les patients avec des pathologies rhumatologiques ont-ils été oubliés ?
Le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) a maintenant mieux précisé [le 14 mars] ces personnes fragiles, incluant les patients qui sont sous immunosuppresseurs, biothérapie, et corticoïdes à doses immunosuppressives. C’est désormais plus clair, et nous sommes nous-mêmes en train de modifier notre fiche d’information destinée aux patients suite à la mise à jour du HCSP. Nos patients en rhumatologie font donc partie des personnes à risque, comme on pouvait s’y attendre d’ailleurs puisque l’immunité est diminuée, en plus évidement d’être souvent des personnes âgées.
Il faut donc diffuser le message aux patients avec un rhumatisme inflammatoire de poursuivre leur traitement de fond (cortisone, biothérapie…) et surtout de suivre les précautions sanitaires contre le COVID-19 (confinement maximal, restez chez soi !).
Comment se déroulent actuellement vos consultations dans le contexte de COVID-19?
J’ai ce matin fait des consultations uniquement par téléphone. Tous les patients avaient été appelés en leur disant que je les joindrais. Plus tard dans la journée, nous allons mettre en place un vrai système de téléconsultation. Je ne fais plus de consultations programmées à l’hôpital.
Le ministre recommande la prise de paracétamol. Des observations actuelles, indiquent qu’il existe, tel qu’observé précédemment avec le MERS et le SARS, des risques d’insuffisance hépatique importants. Ne faudrait-il finalement rien prendre?
Lorsqu’il y a déjà des anomalies du bilan hépatique, il vaut mieux effectivement ne pas prendre de paracétamol. La contre-indication à la prise de paracétamol est cependant réservée à la présence d’une insuffisance hépatique ou d’une pathologie hépatique chronique connue.
Toujours d’un point de vue gastro-entérologique, vous avez vous-même évoqué, sur votre compte twitter , des observations selon lesquelles dans certains cas, les premiers symptômes de COVID-19 seraient digestifs. Que sait-on aujourd’hui [16 mars]?
Absolument. La Société américaine de gastro-entérologie s’appuie sur un article de Gut, selon lequel 10% des patients pourraient avoir des signes de type diarrhée, vomissements, nausées, et peut-être même que certains d’entre eux ne feraient que ces signes-là, avec de la fièvre, mais sans les signes pulmonaires. Mais cela reste encore à démontrer. Il paraît cependant clair que la maladie peut débuter par ces signes digestifs. Il y aurait une hypothèse, comme l’a décrite le Dr Brennan Spiegel (directeur de recherche au Centre médical Cedars-Sinai et rédacteur en chef du American Journal of Gastroenterology), dans une vidéo, selon laquelle on retrouverait le virus dans les selles. le Dr Spiegel se pose aussi la question : compte-tenu que le virus, qui peut se retrouver dans la salive, serait détruit au niveau de l’estomac par l’acidité gastrique, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), en diminuant cette acidité, pourraient-ils faciliter le passage digestif du virus ?
Faut-il alors également déconseiller la prise d’IPP dans le contexte épidémique actuel?
Non, pas encore. Il s’agit d’une hypothèse d’un expert [Brennan Spiegel]. D’autres experts sont en désaccord et insistent sur le fait que le COVID-19 ne commence pas par une diarrhée. Cela est donc controversé, mais à mon avis, il faut être vigilant. Aujourd’hui [16 mars], il est trop tôt pour dire qu’il ne faut pas prendre d’IPP, car il ne faudrait pas, en enlevant les IPP, augmenter le risque d’hémorragies digestives. À suivre donc….
Retrouvez les dernières informations sur le COVID-19 dans le Centre de ressource Medscape dédié au coronavirus.
Medscape © 2020 WebMD, LLC
Les opinions exprimées dans cet article ou cette vidéo n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement celles de WebMD ou Medscape.
Citer cet article: COVID-19 : que recommander aux patients traités par anti-inflammatoires ? - Medscape - 16 mars 2020.
Commenter