
Dr Jean-Pierre Houppe
France – S’il a commencé par un parcours de cardiologue classique, passant par la chirurgie cardiaque et la cardiologie interventionnelle, le Dr Jean-Pierre Houppe a rapidement pris conscience, de la nécessité d’une prise charge globale du patient.
Insatisfait de certains aspects de sa pratique cardiologique – comme la difficulté à faire changer des comportements quand il s’agit de prévention, par exemple –, le cardiologue se rend compte rapidement que « la santé n’est pas que le résultat de phénomènes biologiques, elle est aussi intimement liée à des composantes psychologiques et sociales », comme il l’écrit dans son dernier livre « Le cœur du bonheur » (voir encadré). Une prise de conscience qui va le conduire à s’orienter vers la prévention cardiaque holistique. Après un chemin personnel psychanalytique, il se forme à la psychologie et à la sophrologie. Hésitant un moment à devenir psychothérapeute, il choisit plutôt de développer la « psychocardiologie », ce qui revient à réaliser un pont entre la cardiologie avec ses aspects les plus modernes et les plus scientifiques (qu’il revendique haut et fort) et d’autres approches relevant du domaine de la psychologie.
Tout en étant associé dans un cabinet médical avec d’autres cardiologues de Thionville, dont le Dr Serge Kownator, il développe alors sa propre voie, correspondant à une vision à la fois plus personnelle et plus large de la cardiologie, « où la recherche du bonheur devient la clé de voûte d’un bien-être cardiologique ».
Nous avons profité des Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie et de sa présence pour une présentation intitulée à son image, « l’infarctus : premier jour de ma nouvelle vie », pour en savoir plus sur cette démarche hors-norme dans le paysage de la cardiologie française.
Medscape édition française : Vous dites que ce sont notamment les insatisfactions dans votre pratique de la cardiologie « classique » qui vous ont amené à vouloir modifier cette pratique. Expliquez-nous.
Dr Jean-Pierre Houppe : Je me suis, par exemple, rendu compte qu’en matière de prévention, la connaissance n’est pas synonyme de changement. Typiquement, c’est la personne qui continue à fumer après un infarctus, tout en connaissant les risques de son geste. Je me suis interrogé pour savoir ce qui va être garant de changement chez un individu ? Par ailleurs, nous savons désormais qu’il y a 30% de stress post-traumatique après une opération du cœur, un chiffre important qui nécessite une prise en charge spécifique. On voit bien qu’il y a deux maladies : celle soignée par le médecin et celle vécue par le patient, et qu’elles n’ont souvent rien à voir. La psychocardiologie est une façon de reconnecter l’une et l’autre.
Medscape édition française : Dispose-t-on de preuves cliniques de la cardiologie positive ?
Dr Jean-Pierre Houppe : Oui. D’ailleurs, si c’est en cardiologie que les effets du mal-être sont le mieux prouvés, c’est aussi dans ce domaine que les conséquences du bonheur sont le plus confirmées. Les premiers travaux du Pr John Barefoot datent du début des années 2000. En 2001, la chercheuse en psychologie Laura Kubzansky démontre que l’optimisme est associé à une diminution de la fréquence des infarctus. En 2010, l’équipe de Karina Davidson, à l’Université de Columbia de New York, montre, dans un article intitulé « Don’t worry, be happy » que la pratique de la psychologie positive baisse le risque d’infarctus de 22%. Mais l’acte de naissance de la cardiologie positive date de 2016 lorsque quatre personnalités scientifiques reconnues dans leur spécialité, Darwin Labarthe, Laura Kubzansky, Julia Boehm et Martin Seligman signent un article, dans lequel ils affirment qu’il est temps de faire converger les intérêts de la psychologie positive et de la cardiologie pour créer une santé cardiovasculaire positive [1]. L’importance d’une cardiologie positive vient d’être confirmée par une méta-analyse très récente qui a démontré que l’optimisme entraîne une réduction de 35% du risque coronarien [2].
Medscape édition française : Avez-vous testé vous-même à grande échelle les effets positifs d’une prise en charge faisant intervenir des paramètres psychologiques ?
Dr Jean-Pierre Houppe : Nous avons monté en 2007 avec le Collège National des Cardiologues Français (CNCF) un projet d’éducation thérapeutique sur la gestion du stress du patient coronarien. Nous avons tout d’abord dépisté en une semaine près de 1000 patients « tout venant » pour évaluer leur niveau de stress psychosocial. Le résultat – qui a fait l’objet de plusieurs posters au Printemps de la Cardiologie en 2008 [3,4,5] – a montré que beaucoup d’entre eux étaient anxieux, stressés, déprimés, et qu’ils consommaient beaucoup de psychotropes (anxiolytiques et antidépresseurs), mais qu‘en revanche ils ne bénéficiaient d’aucune prise en charge psychologique. A la suite de cette observation, nous avons alors formé les cardiologues et les psychologues autour de nous. Nous avons ensuite organisé une session de formation auprès d’une centaine de patients volontaires et motivés, autant d’hommes que de femmes, à qui on a expliqué les effets du cerveau sur le cœur et enfin nous avons mis en place une prise en charge de ces patients à haut risque par différentes techniques : respiration consciente, relaxation, cohérence cardiaque, méditation de pleine présence. Nous les avons ensuite suivis pendant 1 an. Nous avons montré que les patients avaient amélioré de façon phénoménale tous les paramètres psychologiques. Les comportements de santé avaient également changé : alimentation, activité physique…S’ils n’avaient pas arrêté le tabac, le test de Prochaska montrait néanmoins que les patients étaient dans une dynamique de changement. Cela confirme bien l’impact que peut avoir une session unique de 4 heures quand s’instaure une vraie relation humaine avec beaucoup d’empathie et d’écoute, et de motivation de part et d’autre.
Medscape édition française : A titre individuel, comment mener une consultation de psychocardiologie ?
Dr Jean-Pierre Houppe : Il faut d’abord préciser que toutes mes consultations ne relèvent pas de la psychocardiologie, je mène aussi beaucoup de consultations « standards ». Mais l’idée est ne pas hésiter, face à un patient donné, dans une situation donnée, à improviser quand on en ressent l’envie, le « feeling », de faire confiance à son intuition. Cela suppose d’être connecté à ses émotions, c’est à dire à son corps – et non seulement à son mental – mais sans pour autant quitter le monde scientifique. Aujourd’hui, en France, la maladie est très bien traitée mais le malade, en tant qu’être humain à part entière, est souvent un peu délaissé.
Medscape édition française : Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?
Dr Jean-Pierre Houppe : Je pense, par exemple, à ce patient, qui présentait de nombreux de facteurs de risque mais qui était dans un déni complet, sans volonté de changer quoi que ce soit à son mode de vie, et à qui j’ai fini par dire : « Expliquez-moi pourquoi vous avez autant de mal à vous aimer ? » Et là, sous l’impact de la question, le patient a ouvert les vannes et m’a fait le récit de son histoire d’enfant abandonné, avec toutes les conséquences que son passé a pu avoir sur sa santé. Les médecins ignorent trop la fréquence des ravages médicaux que provoquent les violences subies dans l’enfance. Autre exemple : un homme de 43 ans qui vient de subir un double pontage. Il va bien, son épreuve d’effort est bonne mais, au moment du bilan, je vais aussi lui demander « Comment cela se passe-t-il psychologiquement pour vous et votre entourage ? Comment avez-vous traversé cette épreuve ? ». Nous savons aujourd’hui qu’après une intervention cardiaque (chirurgie ou angioplastie) la mortalité est nettement augmentée en cas d’anxiété, de stress post-traumatique et de dépression, Il faut donc tenir compte de cet aspect, car si on ne le fait pas, cela aura des conséquences majeures sur le pronostic. De même, devant un problème de suivi thérapeutique ou d’inobservance, il est possible aussi demander avec tact, dans une vraie relation empathique, « avez-vous été victime de violences ? ». Sachant que 40% des adultes ont subi des violences physiques, sexuelles ou verbales pendant l’enfance, la recherche d’un traumatisme précoce s’avère souvent fructueux. Mais nous n’avons pas été pas initié à cette approche du patient et cela ne peut donc se faire qu’après une formation à ce type de relation empathique et sous réserve de disposer d’un réseau de psychologues susceptibles de prendre en charge le patient.
Medscape édition française : Tous les cardiologues devraient-ils pratiquer la psychocardiologie ?
Dr Jean-Pierre Houppe : Tous les cardiologues ne vont pas devenir psychologues ou psychothérapeutes car ils n’ont pas été formés à cela, mais au moins peuvent-ils prendre en compte cette dimension empathique, interroger leurs patients et les orienter vers une prise en charge psychologique, si nécessaire. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à y être sensibilisés.
Medscape édition française : Est-ce en opposition à la cardiologie conventionnelle ?
Dr Jean-Pierre Houppe : Absolument pas. Pour preuve, j’ai été contacté par un organisme pour former des cardiologues libéraux à la psychocardiologie et je fais partie d’une association qui forme des médecins du travail à la prise en charge du stress au travail afin de réduire son impact sur le risque coronarien. L’idée, dans notre médecine actuelle de plus en plus technique, est de ne pas rajouter de la souffrance à la souffrance. C’est sans doute le monde de la réadaptation cardiaque qui l’a le mieux compris et mis en œuvre le plus tôt, en introduisant la cohérence cardiaque, l’EMDR, la méditation ou encore la sophrologie dans les programmes de réhabilitation.
Medscape édition française : Pourquoi avoir intitulé votre présentation aux JESFC « l’infarctus : premier jour de ma nouvelle vie » ?
Dr Jean-Pierre Houppe : Il est très important après l’infarctus de se poser la question du sens de la vie. Pas tant le sens de la vie en général (car elle n’en a peut-être pas) que le sens de sa propre vie. Et ce d’autant que la maladie remet souvent fondamentalement en cause les valeurs de vie d’un individu. Elle peut nous faire prendre conscience que nous avons fait fausse route jusqu’à présent, que nos valeurs n’étaient pas vraiment les nôtres. Je pense à une femme victime d’une embolie pulmonaire qui avait failli lui ôter la vie, et qui m’a dit que, depuis cet épisode, elle voyait le monde différemment. Il y a aussi à tous ces patients qui m’ont exprimé un jour le fait qu’ils étaient paradoxalement heureux d’avoir fait un infarctus, car sans cela ils n’auraient jamais compris combien la vie était précieuse et en quoi ils pouvaient, chacun à leur manière, être utiles au monde.
Medscape édition française : Donner du sens à sa vie est-il bon pour la santé ?
Dr Jean-Pierre Houppe : Oui, il existe une riche littérature scientifique qui le montre. Trouver du sens entraîne une meilleure adaptation et augmente notre potentiel de bonheur. L’équipe japonaise de Megumi Koizumi a ainsi démontré en 2008 sur un suivi de plus de 13 ans, que le fait d’avoir un but dans la vie diminue le risque d’infarctus de plus de 70%, et celui d’accident vasculaire cérébral de 45% [6]. Les mêmes constatations ont été faites pour les individus qui parviennent à retrouver un but de vie après un infarctus.
Mais attention, la psychologie positive, ce n’est pas le monde des bisounours – comme certains le croient –, c’est trois choses : être plutôt optimiste, chercher quelles sont ses propres valeurs et s’engager selon ces valeurs de vie. Cela demande un effort.
Medscape édition française : La psychologie positive change-t-elle la façon de s’adresser aux gens, de communiquer ?
Dr Jean-Pierre Houppe : J’ai fait de la prévention primaire pendant des années, et dressé le constat que ça ne marche pas très bien. Nos messages peuvent parfois être considérés comme trop normatifs par les patients. Donc, désormais je préfère demander aux patients: « souhaitez-vous être heureux ? Bien sûr, tous me répondent positivement… je leur dis « alors c’est simple : Arrêtez le tabac, mangez mieux, soyez actif, relaxez-vous, c’est autant de façons d’augmenter votre mieux être, et accessoirement vous diminuerez votre risque d’infarctus ». Cela revient – de façon un peu provocatrice – à « proposer du bonheur », c’est un message de santé globale qui passe beaucoup mieux.
En consultation, cela suppose d’avoir beaucoup de bienveillance et d’écoute et aussi de savoir laisser du temps au silence, de poser des questions ouvertes : « qu’est-ce qui vous amène ? ». Il s’agit de changer notre regard, sans jamais quitter le côté scientifique. Et cela passe aussi par la reconnaissance modeste qu’il y a des jours où je peux, comme chacun, être énervé, fatigué, un peu moins empathique. Ces jours-là, je n’hésite pas à le dire aux patients, cela les fait sourire et grâce à eux la relation humaine est vite rétablie. La relation médicale est un échange, ou chaque acteur, médecin et patient, peut donner à l’autre.

Le Dr Jean-Pierre Houppe est l’auteur d’un livre intitulé « Le cœur du bonheur » paru aux Editions Dunod en 2019. En partant de l’affirmation de Voltaire « être heureux, c’est bon pour la santé », le cardiologue montre que l’on peut protéger son cœur de façon simple et naturelle en cultivant de petits et des grands moments de bonheur.
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Citer cet article: Le bonheur, nouvel objectif en cardiologie - Medscape - 12 mai 2020.
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