Un escape game pour lutter contre le risque infectieux au Groupe Hospitalier Mutualiste de Grenoble

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

21 mai 2020

Grenoble, France — Pour sensibiliser les soignants à l'antibiorésistance, un médecin hygiéniste du CHU de Grenoble a mis au point un escape game. Ce jeu d'évasion grandeur nature, auquel une cinquantaine d'hospitaliers issus des différents métiers ont participé tour à tour, a permis d'améliorer de façon « pérenne » la détection du risque lié aux bactéries hautement résistantes aux antibiotiques émergentes (BHRe) aux urgences.

A l’origine du projet, le Dr Sébastien Ducki, revient pour Medscape édition française sur les tenants et les aboutissants de cette initiative originale, présentée le 16 décembre dernier à la Réunion interdisciplinaire de chimiothérapie anti-infectieuse (Ricai) [1].

Cette stratégie mise en point hors Covid-19 pourrait se voir adaptée à l'apprentissage de nouveaux gestes de protection dans le contexte pandémique actuel.

Un escape game consiste à proposer à une équipe une série de défis et énigmes dont la résolution permet de progresser dans un scénario et de sortir du lieu où se déroule l'action du jeu.

Constat : un taux de détection du risque BHRe aux urgences très insuffisant

Tout commence en octobre 2016, lorsque à l'occasion d'une visite de certification du groupe hospitalier mutualiste (GHM) de Grenoble, un expert visiteur relève que « la détection du risque BHRe dès l'entrée du patient aux urgences ou en service de soins n'était pas effectuée », explique Sébastien Ducki du CHU de Grenoble.

Bien que l'établissement dispose des logiciels adaptés aux urgences, dans les services de soins, qui incluent les critères du risque BHRe, la traçabilité n’était pas efficiente, continue-t-il.

« Ce constat nous conduit alors à réitérer les séances de sensibilisation et d’information auprès des personnels infirmiers organisateurs de l'accueil (IOA) et des médecins, suivis d’audits réguliers tous les 3 mois. Mais, malgré tous nos efforts, le taux de détection du risque BHRe aux urgences reste insuffisant.

De 27% en mai 2017, il passe à 40% en décembre 2017 et à 56% en mai 2018... pour finir à un taux « catastrophique » de 10% en septembre 2018 – comme si tout avait été « oublié pendant les vacances », se rappelle le Dr Ducki.

Changer de paradigme

Il y a alors nécessité à changer la donne, à savoir, penser la formation des soignants autrement et surtout de façon plus efficace car l’antibiorésistance, et les BHRe en particulier, constitue une vraie menace dans les hôpitaux. C’est alors qu’émerge l’idée d’un escape game. « Il en existe sur des scénarios catastrophes   type variole– qui n’est pas la thématique du jour –, pourquoi ne pas en créer un sur le risque infectieux ? » propose l’hygiéniste de Grenoble. Le concept plait, il est adopté et sa mise en place prévue à l’occasion de la semaine sécurité patient (du 26 au 30 novembre 2018).

« Mon intention est alors de faire porter les questions – les énigmes à résoudre – sur les principales problématiques que rencontre l’établissement pour en faire l’objectif du jeu » explique l’hygiéniste. Celles-ci tournent essentiellement autour de trois points :

  • Les définitions, dans la mesure où beaucoup de termes sont « des acronymes qui ne parlent pas aux équipes », comme BHRe, EPC (entérobactéries productrices de carbapénémases), ERG (entérocoques résistants aux glycopeptides), etc.

  • La réalisation des dépistages (avec de nombreux types d'écouvillon différents et des modalités spécifiques).

  • La proposition (délicate) d’un dépistage rectal à la population ciblée.

Une suite d’énigmes et 30 min pour sauver un patient

Le jeu voit alors le jour. En pratique, l'escape game a été réalisé dans une salle de formation simulant un patient (mannequin) dans une chambre. Après 5 minutes de briefing, une cinquantaine d'hospitaliers issus des différents métiers du bloc opératoire ont, tour à tour, 30 minutes pour investiguer la mort d'un patient, avant 5 minutes de débriefing.

Ils doivent d’abord, à partir d’une somme d’indices et de la fiche patient trouver les différentes définitions et les facteurs de risque BHRe, ce qui leur ouvre la clé vers une gamme d’écouvillons. Il s’agit ensuite pour les équipes de choisir le bon et de réaliser le geste sur le mannequin après s’être équipé en conséquence. A chaque moment, l'équipe d’hygiénistes formateurs peut, grâce à une caméra embarquée, suivre les participants et les guider si nécessaire, l'objectif étant la réalisation du geste.

Succès et effet pérenne

Grand succès pour le jeu, qui voit se succéder des équipes de 6 à 8 personnes, tout au long d’une journée (de 10h du matin à 23h). « Les gens étaient demandeurs, les groupes pleins, le fait de n’avoir jamais fait d’escape game dans la vie n’a pas constitué un écueil, sachant que les groupes étaient mixtes, avec des personnes qui avaient déjà pratiqué ce type de jeu et d’autres pas » considère Sébastien Ducki. « Au final, c’est un peu chronophage, mais cela marche et surtout, l'effet est pérenne. Le personnel a véritablement été sensibilisé à la problématique BHRe et sur comment réaliser le prélèvement correctement après avoir ciblé les patients à risque ». En témoignent des audits réalisés à la suite de l'escape game, qui ont révélé une détection du risque BHRe de 82% en décembre 2018 et de 90% trois mois plus tard, en mars 2019. « Des chiffres jamais obtenus précédemment ».

En conclusion, si ce type de formation nécessite une bonne préparation du thème afin d'obtenir un maximum de succès dans les messages véhiculés – on ne s’improvise pas formateur, rappelle le Dr Ducki –, il représente un moyen de formation didactique et efficace sur un format court. « Tous les sujets ne s’y prêtent pas », précise l’hygiéniste qui reconnait tout de même en être à la création de son quatrième escape game, sur d’autres problématique comme le port de gants en EPHAD, ou encore la iatrogénie médicamenteuse, et avec toujours le même succès.

« Reste à conforter ces conclusions par des études, reconnait Sébastien Ducki, avec la difficulté inhérente au turn over très important des personnels de santé ». Mais dès à présent, tous les internes de l’établissement pourraient bénéficier de la « formation » à l’issue de la journée d’accueil, et d’autres thématiques pourraient être envisagées.

Voir la vidéo de l'"escape game"

 

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