Faut-il renommer la schizophrénie pour la déstigmatiser ?

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

6 mars 2020

Dr Sarah Smadja

Paris, France — Faut-il renommer la schizophrénie ? La stigmatisation dont font l’objet les patients de cette pathologie psychiatrique, mal connue du grand public, voire même des psychiatres, aurait-elle à gagner d’un changement de dénomination, comme l’on fait les Japonais en 1993 ? Ce sujet a fait l’objet d’une présentation par le Dr Sarah Smadja (Département de psychiatrie, Hôpital Saint-Anne, Paris) lors du congrès de l’Encéphale 2020.

Stigmates

Premier constat : la pathologie est mal connue. Le Grand baromètre de la schizophrénie, première enquête confrontant le point de vue de plus de 4000 français, patients, aidants, médecins et décideurs publics sur le sujet de la schizophrénie en France, montre que ce manque d’information fait que la schizophrénie est d’abord perçue comme une maladie dangereuse par 83% des Français, par 77% des médecins généralistes et même 90% les pharmaciens. Autre exemple de cette méconnaissance, 81% des Français pensent que le dédoublement de la personnalité fait partie du diagnostic de la schizophrénie, ce qui est faux. Et au sein des psychiatres interrogés, il y en a tout de même plus de 50% qui sont d’accord avec cette affirmation. « Ce qui est relativement inquiétant » commente le Dr Smadja.

Usage dévoyé

Deuxième constat : l’usage du terme « schizophrénie » est souvent dévoyé, avec une connotation fortement négative. Une autre étude réalisée par la Fondation Pierre Deniker (#schizo), qui s’est intéressée à l’occurrence et à l’usage du terme schizophrénie sur les réseaux sociaux, a montré une utilisation dévoyée et infamante dans l’espace politique. Si le sens est aussi dévoyé par les artistes et les critiques d’art dans le domaine culturel, la signification est en revanche là plutôt positive avec une notion de militantisme, de dualité, d’originalité.

« Bilan de ces deux études, la schizophrénie, on ne sait pas trop ce que c’est, que ce soit dans le grand public et chez les soignants. Et l’usage du terme récupéré par le grand public est largement dévoyé » résume la psychiatre.

Comment agir contre la stigmatisation ?

Plusieurs types d’actions en faveur d’une déstigmatisation peuvent être proposées. « Les campagnes de masse sont une façon d’agir, mais malgré leur répétition depuis les années 90, on note assez peu d’effets, constate le Dr Smadja. Les actions locales (type Semaine d’’intervention de la santé mentale ou les Journées de la schizophrénie) sont, elles, en revanche, beaucoup plus efficaces, avec les rencontres avec les usagers, qui fonctionnent très bien. La psycho-éducation et la réhabilitation sont utiles pour lutter contre l’auto-stigmatisation des patients et de leurs familles. Et puis, il y a le changement de nom. »

L’expérience japonaise

C’est cette dernière option qu’ont mis en place les Japonais en 1993, à l’initiative est venue de familles de patients face à une vague importante de stigmatisation qui conduisait les psychiatres eux-mêmes à ralentir le diagnostic à cette époque. L’Association japonaise de psychiatrie a ainsi renommé en 2002 la schizophrénie. L’ancien terme (Seishin Bunretu Byo – littéralement maladie de la scission de l’esprit) – est devenu Togo Shitcho Sho, soit trouble de l’intégration. « Ce changement de dénomination s’est accompagné d’une reconceptualisation de la schizophrénie. Les psychiatres évoquant désormais un syndrome plutôt qu’une maladie, avec une étiologie liée à une dysrégulation du système de neurotransmission, une gravité globale moindre qu’auparavant et avec une récupération dans plus de la moitié des cas » explique l’oratrice.

Une aura importante

Quels en ont été les effets ? « Ce changement de nom s’est traduit par un doublement du taux d’annonce de diagnostics entre 2002 et 2004 [2], une diminution de la stigmatisation chez un groupe de sujets jeunes étudiants [3], avec un effet mitigé sur les médias avec une diminution du nombre d’articles évoquant la violence et les stéréotypes liés à cette pathologie mais la persistance de tabloïds et de presse à sensations sur les homicides commis par ces patients []», synthétise le Dr Smadja.

« L’aura de l’expérience japonaise a été importante en Asie du Sud-Est, ajoute-t-elle, puisque la Corée du Sud, elle aussi, adopté la dénomination de trouble de l’intégration, Taiwan a renommé la schizophrénie en dysrégulation des pensées et des perceptions, et les choses évoluent du côté de la Chine, Singapour, Hong-Kong… »

Renommer versus d’autres mesures dont le coming-out des artistes

Au final, ces considérations posent la question du concept même de schizophrénie : est-il dépassé ? interroge l’oratrice. Les détracteurs du concept déplorent que l’on évoque la schizophrènie alors qu’il ne s’agit pas d’un groupe homogène et qu’il faudrait parler des schizophrénies. Y aurait-il des risques à changer de nom ? Une unique publication au Royaume-Uni a considéré que « trouble de l’intégration » était un concept flou qui provoquait plus de distance sociale et était plus stigmatisant que le terme de schizophrénie [5]. Le Dr Smadja se pose, quant à elle, la question de la répartition des moyens : « renommer la schizophrénie, trouver un terme adapté demanderait de gros efforts, considère-t-elle, et il ne faudrait que cette initiative se fasse au profit d’autres mesures de déstigmatisation qui peuvent être tout aussi efficaces, comme les interventions de proximité ». Et enfin, quid du coming-out des artistes à l’instar du trouble bipolaire pour lequel cela a très bien fonctionné ? « Même si cela reste discret, des rappeurs comme Gringe ou Lomepal parlent de la schizophrénie de leurs proches » indique-t-elle, ajoutant en conclusion : « c’est à travers tous ces changements que nous arriverons à déstigmatiser la schizophrénie ».

Le Dr Sarah Smadja a déclaré des liens d’intérêt avec Jansen, Servier, Otsuka et Lunbeck.

 

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