Shanghai, Chine--Le Dr Nathanael Goldman est un pédiatre d’origine belge qui travaille en Chine depuis de nombreuses années. Actuellement à Shanghai où il consulte au sein d’un groupe médical privé (Parkway Pantai Limited), il a accepté de partager avec nous l’expérience qu’il a vécue sur place depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Isolé de sa famille, partie à Bruxelles depuis plusieurs semaines, il se dit préoccupé par le retard pris par l’Europe pour limiter la propagation du virus.

Dr Nathanael Goldman
Medscape : Vous étiez à Shanghai au début de l’épidémie de Covid-19 vous y êtes toujours, racontez-nous.
Dr Goldman : Les nouvelles de l’épidémie sont arrivées dès les premiers jours de janvier via les réseaux sociaux, lorsqu’on a appris l’arrestation du Dr Li Wen Liang (mort le 6 février de covid-19) qui avait partagé sur WeChat l’existence de cas de SRAS à Wuhan.
La vie a continué normalement ensuite, alors que l’on entendait des nouvelles de plus en plus inquiétantes sur la situation à Wuhan.
Les événements ont commencé à se corser lorsque trois semaines plus tard, à l’avant-veille du nouvel an chinois, la ville de Wuhan, ainsi que plusieurs villes de la même province du Hubei ont été coupées du reste de la Chine.
Je me trouvais alors dans ma belle-famille, à côté de la province du Hubei. En quelques jours, nous avons appris le barrage des routes, parfois avec de la terre ou des pierres, l’arrêt des transports par train, avion, bus et voiture du Hubei vers les autres provinces.
Lorsqu’après le nouvel an, j’ai voulu regagner l’aéroport pour rentrer de la province du Jiangxi vers Shanghai, la liaison par bus était arrêtée. Il semblait probable que les mouvements en Chine deviendraient rapidement plus difficiles et que l’on risquait de se retrouver coincé loin de chez soi.
D’ailleurs, beaucoup de ceux qui ont transité par Wuhan ou qui ont quitté la ville en préparation du nouvel an ont été bloqués loin de chez eux, parfois dans des conditions difficiles, en particulier pour ceux restés à Wuhan.
En fait, depuis le retour des vacances du nouvel an chinois le 28 janvier, je n’ai travaillé qu’une journée pour contrôler le flux des malades vers des hôpitaux désignés pour s’occuper des cas suspects. La clinique a été fermée rapidement. Elle n’a rouvert que mardi dernier, le 3 mars.
Certains de mes collègues dans d’autres cliniques du même groupe ont continué à travailler au ralenti dans les centres autorisés à rester ouverts. Ce dernier mois, une grande partie des entreprises à mis ses employés en chômage technique ou en télétravail.
Nous avons tous reçus la consigne de rester chez soi autant que possible, les prises de températures ont été généralisées à l’entrée de tous les lieux publics et des résidences. Les entrées et sorties du lieu de résidence sont contrôlées par un ticket. Par ailleurs, au début du mois de février, une quarantaine de 14 jours à la maison a été imposée à tous ceux qui revenaient à Shanghai d’une autre province de Chine ou de l’étranger. Un système de suivi, notamment via les téléphones mobiles, a été mis en place pour s’assurer que personne n’enfreignait la règle.
En termes de soins, outre les cliniques temporairement fermées, toute situation de fièvre ou de signe d’infection respiratoire ne peut être prise en charge hors des cliniques désignées par le gouvernement. Cela complique bien sûr la vie de ceux qui veulent justement éviter le système public et ses longues files d’attente, en plus du risque infectieux que l’on encoure pendant l’attente.
Medscape : Avez-vous pensé à rentrer en Europe ?
Comme pour beaucoup d’expatriés, la question de rentrer au pays s’est rapidement posée. Nous ne savions pas combien de temps prendrait le contrôle progressif de l’épidémie. Les vols internationaux devenaient de plus en plus rares, d’abord pour des raisons économiques des compagnies aériennes qui volaient à perte avec des avions vides, puis à cause du risque infectieux.
La mesure de fermeture des écoles a été annoncée pendant les vacances du nouvel an chinois, d’abord jusqu’au 17 février, puis jusqu’au deux mars, et désormais pour une période indéterminée avec un enseignement en ligne généralisé.
Dans ces conditions, beaucoup d’entre nous avons décidé de rester mais d’envoyer nos familles au pays. L’enfermement imposé devient très vite inconfortable, surtout pour les jeunes enfants. Les parcs par exemple sont fermés et il n’y a guère que chez soi que l’on peut jouer. Pour ma part, mon épouse est partie à Bruxelles avec notre petit dernier qui a vraiment besoin d’une activité physique quotidienne. Quelques jours enfermé, c’est supportable mais ici on parle en mois.
Aussi, mon employeur m’a demandé de rester, au cas où les autorités donneraient le feu vert pour la réouverture de la clinique et aussi à cause des incertitudes en termes de liaisons aériennes et des besoins de quarantaine au retour. Cela m’a permis de lire les informations publiées sur covid-19, de produire quelques vidéos et d’interagir sur les réseaux sociaux, soit pour répondre aux questions des non-professionnels, soit pour défendre l’importance d’une préparation des régions du monde encore non touchées par le virus - une vision qui jusque très récemment était très peu partagée parmi mes collègues qui voyaient dans covid-19 une mauvaise grippe fauchant certes les plus fragiles mais aussi une minorité.
Medscape : Pouvez-vous nous décrire l’ambiance à Shanghai ?
Jusque récemment vers la mi-février, il n’y avait pratiquement pas de circulation des voitures et seuls les bus, souvent vides, circulaient, ce qui rendait la circulation à vélo bien agréable. J’ai eu l’occasion de voir le Bund [quai du vieux Shanghai qui s'étend sur plus de 1,6km le long du fleuve Huangpu], habituellement noir de monde, complètement vide de ses visiteurs.
Les rues s’animent cependant progressivement, les piétons sont revenus mais nous sommes loin de la foule habituelle à Shanghai. Beaucoup de restaurants et autres magasins restent fermés. Il est probable qu’une grande partie du personnel n’a pu encore revenir à Shanghai et aussi qu’il soit nécessaire d’être en règle en matière d’hygiène, ce qui demande une série de démarches administratives.
Au fil des jours, la pression monte pour que l’économie redémarre et que les gens puissent payer leur loyer et manger. Il existe des lois qui assurent que les gens soient payés alors qu’ils sont mis en chômage technique, mais ces règles ont leur limite : il faut bien que l’argent vienne de quelque part.
De mon côté, la clinique a rouvert mais je n’ai pas eu de patients aujourd’hui.
Légende : Le Bund vidé de sa foule habituelle, Shanghai
Medscape : Avez-vous connu des pénuries ?
Oui, de solutions hydroalcooliques, de masques…Au début les pharmacies ont été dévalisées. Des gardiens ont été placés devant les entrées et les masques n’ont été délivrés que sur ordre de l’administration de la communauté locale, après présentation du passeport et du contrat de bail. De même, le paracétamol n’a plus été disponible que sur prescription.
En revanche, concernant l’accès à la nourriture, à Shanghai les magasins d’alimentations sont restés ouverts et bien approvisionnés et l’on a pu librement en ville faire ses courses.
L’épidémie ralentit en Chine et les mesures prises par la Chine sont saluées par l’OMS. Qu’en pensez-vous ?
Les mesures prises en Chine pour lutter contre l’épidémie sont, de l’avis de beaucoup, extraordinaires et en fait, simplement, n’ont jamais été mises en place dans l’histoire récente.
À Wuhan, les gens ne peuvent plus sortir de chez eux depuis quelques temps avec une participation active de la police et de l’armée pour s’assurer que les instructions soient bien respectées.
Les chiffres montrent une décrue de l’épidémie partout dans le pays et semblent justifier a posteriori ces mesures historiquement extrêmes qui sont par ailleurs basées sur ce que l’on sait efficace pour réduire la transmission d’une infection dans une population. En réalité, depuis un mois, l’économie chinoise est pratiquement à l’arrêt et commence à repartir timidement depuis une dizaine de jour.
Beaucoup ont été surpris par la mise en place brutale de ces mesures d’arrêt des transports, de l’enseignement sur site, de l’industrie. Il n’y pas en Chine de réelles discussions dans la société civile lorsqu’une décision doit être prise, contrairement à nos sociétés occidentales.
Dans le cas de cette épidémie, il me semble évident que c’est précisément ce mode de fonctionnement autoritaire qui a permis de mettre en place si rapidement l’ensemble des mesures qui ont mené à un meilleur contrôle de l’épidémie.
Bien sûr, c’est une expérience sans comparateur et par ailleurs, il n’y a pas d’audit indépendant des chiffres que l’on nous montre.
Pensez-vous que ce type de mesures drastiques soit possible en Europe et notamment en France ?
En voyant la lourdeur de la prise en charge de cette épidémie en Chine, je suggérais récemment dans une de mes vidéos que nos démocraties occidentales commencent à se préparer, justement parce qu’il n’y a pas, chez nous un pouvoir exécutif qui puisse seul décider de l’établissement de nouvelles règles affectant l’ensemble de la société telles qu’on les voit en Chine.
Il ne sera, par ailleurs, très probablement pas envisageable d’aller aussi loin dans les mesures de quarantaines à cause, entre autres, du respect des droits des individus dans nos sociétés et d’une presse indépendante.
Il me semblait que se préparer prendrait du temps et qu’on avait plus de chance d’être efficace en commençant tôt. Et pourtant, il a fallu observer une situation préoccupante en Italie pour que certains pays commencent à se préparer.
Medscape : comment peut expliquer ce retard de mise en place des mesures ?
C’est en observant les premiers morts locaux que l’on a vraiment commencé à s’inquiéter. Mais les morts représentent très vraisemblablement la partie émergée d’un gros iceberg de gens infectés nettement moins symptomatiques. Les complications arrivent chez une minorité de gens et donc il faut statistiquement suffisamment de gens infectés dans la population pour qu’on commence à voir apparaître cette minorité.

Par ailleurs, la maladie a une incubation qu’on estime entre 2 et 14 jours, peut-être même 27 jours selon certaines sources. C’est un premier décalage dans le temps. Enfin, lorsqu’un malade développe une complication, celle-ci apparait après 8 à 10 jours de maladie, ce qui représente un deuxième décalage dans le temps.
En d’autres termes, les cas graves retrouvés dans une population sont très probablement le signe que le virus a déjà eu le temps de bien circuler dans la population. Prendre les choses en main à ce stade seulement ne rend pas les choses plus faciles. D’où l’appel à une préparation précoce.
Il est impératif à mon sens que nos responsables de santé publique qui ont l’attention de nos gouvernants soient convaincus que cette épidémie représente un défi logistique important, notamment pour notre système de santé qui se trouve encore saturé par l’épidémie de grippe saisonnière. D’après mon expérience de ces dernières semaines, au vu des minimisations rapportées dans la presse par plusieurs de ces spécialistes ainsi que pas mal de mes collègues européens, je doute que cette épidémie soit actuellement prise avec tout le sérieux qu’elle mérite.
Quel est le taux de létalité du coronavirus ? Quels traitements ont été testés en Chine ? Que sait-on vraiment de la transmission asymptomatique du virus ? En sait-on plus en Chine qu’ailleurs ? Retrouvez les réponses du Dr Goldman dans un deuxième entretien. (A découvrir ici)
Les vidéos du Dr Goldman sur le Covid-19
Covid-19 (SARS-Cov-2) : effets possibles sur les systèmes de santé... toujours à vélo à Shanghai.
Coronavirus (2019-nCoV) : récapitulatif au 9 février 2020, sur une promenade à vélo à Shanghai
Covid-19 (SARS-CoV-2) : dater l'origine de l'épidémie & évaluer le nombre de cas... encore à vélo
Coronavirus de Wuhan : évolution
2019-nCoV : interprétation des chiffres basée sur un article de presse paru récemment en Chine.
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Citer cet article: Covid-19 en Chine : un médecin belge témoigne de la situation sur place - Medscape - 5 mars 2020.
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