Paris , France --- Le dépistage du cancer du poumon par scanner à faible dose est-il suffisamment pertinent pour être mis en place au niveau national ? Pour le Pr Marie-Pierre Revel (Hôpital Universitaire Paris Centre Cochin, AP-HP), en charge du programme européen de formation au dépistage du cancer du poumon de la Société européenne de radiologie thoracique (ESTI), il n’y a plus de doutes à avoir. Reste à savoir comment l’organiser. En attendant, les radiologues peuvent déjà se former.
Après l’étude américaine National Lung Screening Trial (NLST), l’essai européen NELSON est venu confirmer la baisse de mortalité spécifique avec l’utilisation du scanner basse dose pour dépister le cancer du poumon chez les sujets à risque (Lire Cancer du poumon : la publication de l’essai Nelson confirme l’intérêt du dépistage par scanner faible dose). Après un suivi de dix ans, le taux de décès par cancer du poumon a été réduit de 24% chez les hommes et de 33% chez les femmes [1].
Si les résultats concernant la baisse de mortalité par cancer du poumon sont assez similaires entre les deux études (-20% dans NLST), l’essai NELSON a fait beaucoup mieux concernant la spécificité de ce dépistage. Et ce, grâce à une méthodologie qui s’appuie sur le volume et le temps de doublement des nodules pulmonaires détectés. Le taux de faux positif est ainsi passé de 24,1% dans NLST, avec une technique basée uniquement sur la taille des nodules, à 1,2% dans l’essai NELSON. Un changement majeur qui a relancé l’intérêt pour cette approche préventive.
Alors que le dépistage du cancer du poumon est remboursé aux Etats-Unis depuis 2013 pour les fumeurs de plus de 55 ans, les pays européens se montrent plus réservés. Interrogée par Medscape édition française, le Pr Revel explique pourquoi, lorsqu’elle était à la tête de l’ESTI, elle n’a pas hésité à lancer un programme de formation destinée aux radiologues pour se préparer au dépistage du cancer du poumon. Elle souligne également la nécessité d’adapter le message de prévention pour convaincre les sujets à risque de se faire dépister.
En France, la mise en place de ce dépistage et son organisation vont dépendre des résultats d’une étude de faisabilité, dont le lancement implique un financement sollicité auprès des autorités sanitaires, qui se sont montrées jusque-là réticentes.
Medscape édition française : En 2019, lorsque vous étiez présidente de la Société européenne d’imagerie thoracique (ESTI), vous avez initié un programme pour former les radiologues au dépistage du cancer du poumon alors qu’aucun pays européen n’a encore validé ce mode de prévention. Pour quelles raisons ?
Pr Marie-Pierre Revel : Depuis la publication, en 2011, des résultats de l’étude américaine NLST favorables au dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose, on attendait une confirmation de la baisse de mortalité obtenue avec cette approche.
L’étude NLST était en effet la seule étude montrant une diminution de 20% de la mortalité par cancer du poumon et une diminution de 6,7% de la mortalité globale chez des fumeurs ou anciens fumeurs de plus de 55 ans dépistés par scanner.
Les résultats de l’étude NELSON présentés en congrès en Septembre 2018 ont confirmé la réduction de mortalité par cancer du poumon chez les sujets dépistés. Il fallait donc anticiper la perspective d’un dépistage en population et commencer à former les radiologues à la méthode de détection utilisée dans NELSON qui a l’avantage de réduire fortement le taux de faux positifs. D’autres études européennes de plus faible effectif (MILD et LUSI) publiées en 2019 ont également fait écho de ce bénéfice.
Ces résultats font pourtant débat. Malgré la baisse de mortalité spécifique affichée dans NELSON, certains experts remarquent qu’il n’y pas d’impact sur la mortalité globale et doutent du réel intérêt de ce dépistage. Qu’en pensez-vous ?
Pr Revel : L’essai NELSON n’avait pas pour objectif d’évaluer l’effet sur la mortalité globale. Il faudrait, pour cela, un effectif beaucoup plus important. La baisse de mortalité globale a déjà été observée dans l’essai NLST avec une cohorte de près de 50 000 participants. De son côté, NELSON en a inclus 15 000 environ. Ce n’est pas suffisant pour démontrer une réduction de mortalité toutes causes confondues. L’effectif de l’étude NELSON a été calculé pour évaluer l’effet sur la mortalité spécifique liée au cancer du poumon. Et, sur ce point, le bénéfice du dépistage est clair et n’est plus contestable.
Il faut changer le regard que l’on porte sur ce dépistage. Il est difficile de l’exclure
alors que le scanner faible dose, un examen rapide et indolore, permet de détecter des cas de cancer du poumon à un stade opérable, réduisant ainsi la mortalité. Pour autant, ce dépistage ne devrait pas éclipser la nécessité d’une prévention primaire grâce au sevrage tabagique, qui doit rester le principal objectif. Avant d’avoir une future génération sans tabac, il faut se pencher sur les moyens d’organiser un dépistage pour les sujets ayant un risque constitué et évaluer les coûts associés. Et, en attendant, les radiologues qui le souhaitent peuvent se former à ce type d’imagerie.
Qu’est-il prévu dans ce programme de formation ?
Pr Revel : Le programme a été finalisé début 2019. Il propose de prendre en main les outils informatiques utilisés dans l’essai NELSON pour évaluer le volume et le temps de doublement des nodules pulmonaires détectés avec un scanner à faible dose. L’objectif est d’avoir un faible taux de faux positif, proche de celui à 1,2% rapporté dans NELSON et d’éviter un sur-diagnostic. Il faut aussi analyser les images en tenant compte de l’âge du patient et des comorbidités. Rappelons que près d’un fumeur sur deux de plus de 50 ans a au moins un nodule pulmonaire, dont seule une minorité se développe en cancer. Il faut pouvoir éviter un traitement invasif non justifié. Nous avons désormais suffisamment de connaissances pour limiter le risque de faux positifs et de sur-diagnostic.
Les premiers certificats vont être délivrés après les sessions de formation du congrès de l’ESTI, prévues en juin 2020 à Oxford (Royaume-Uni). Des formations seront, au préalable, proposées lors du prochain congrès de la Société européenne de radiologie (ESR). L’intérêt des radiologues est réel puisque les sessions sont complètes. En France, la Société française de radiologie (SFR) travaille sur un programme d’accréditation pour le dépistage du cancer du poumon. Il faut, pour cela, des radiologues formés, collaborant avec une structure pluridisciplinaire pour pouvoir articuler le dépistage avec la prise en charge en cas de détection de lésions cancéreuses.
A l’inverse des Etats-Unis, les pays européens semblent encore réticents par rapport à ce dépistage. Quelle est la situation aujourd’hui?
Pr Revel : En novembre 2019, des représentants de la ESR (European Society of Radiology) et de l’ERS (European Respiratory Society) se sont rendus au Parlement européen pour une mission d’information mettant en avant les dernières données sur le dépistage, dans le but d’inciter les Etats membres à lancer des études pilotes. Pour l’instant, aucun dépistage en population n’est organisé, y compris aux Pays-Bas, où a été mené l’essai NELSON. Les autorités néerlandaises soulignent que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reste réservée sur ce dépistage dans son dernier rapport, rendu public début 2019. Les dernières études publiées devraient faire évoluer cette position.
Plusieurs programmes régionaux ont été lancés, notamment en Angleterre, avec des résultats très intéressants pour certains. C’est le cas d’une étude pilote anglaise, menée au niveau local à Manchester, qui a pu avoir un taux de participation au dépistage de 97%, ce qui est exceptionnel [2].
Alors qu’aux Etats-Unis, la participation extrêmement faible amène à s’interroger sur le succès d’une telle stratégie… Quelles sont les solutions?
Pr Revel : Dans cette étude anglaise justement, on a présenté le dépistage comme un bilan de santé pulmonaire, sans utiliser le terme négatif et anxiogène de dépistage du cancer du poumon. Il a été démontré que le cancer du poumon est perçu différemment des autres cancers et est associé à un sentiment de culpabilité chez les fumeurs. Il va falloir réfléchir sur la manière de communiquer pour avoir l’adhésion des sujets à risque.
Aux Etats-Unis, le dépistage est remboursé pour les personnes âgées de 55 à 80 ans, ayant fumé au moins deux paquets par jour pendant 15 ans. Seulement 2% de la population cible se sont soumis au dépistage dans les débuts. On est désormais à près de 12% de participation.
Et en France, où en est-on ?
Pr Revel : En France, il est prévu de lancer une étude de faisabilité pour évaluer la méthode de dépistage de l’essai NELSON en condition réelle dans quatre villes : Rennes, Grenoble, Béthune et Paris. Elle devrait inclure 2 400 femmes pour avoir aussi plus de données sur la population féminine, qui semble bénéficier davantage du dépistage que les hommes [33% de réduction de mortalité par cancer du poumon chez les femmes contre 24% chez les hommes, ndr]. Cette étude a reçu un financement partiel par l’Institut national du cancer (InCA) et est en attente d’un financement complémentaire.
Dans cette étude, un dépistage s’appuyant sur une seule lecture de l’imagerie assistée par un logiciel de détection des nodules sera comparé à un dépistage nécessitant une double lecture par deux experts, comme dans l’étude NELSON.
Il faut profiter des progrès apportés par l’intelligence artificielle. Il s’agira de vérifier si le recours à des algorithmes permet d’avoir de meilleures performances en termes de coût et d’efficacité comparativement à la double lecture par expert. Ce sera décisif pour la mise en place du dépistage du cancer du poumon en France.
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Citer cet article: Cancer du poumon : « le bénéfice du dépistage n’est plus contestable » - Medscape - 4 mars 2020.
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