Antirétroviraux ou transplantation fécale : les chercheurs tentent de combattre le Covid-19 par des stratégies connues

Michael van der Heuvel

Auteurs et déclarations

24 février 2020

Allemagne – Alors que les chiffres, continuellement mis à jour par le Center for Systems Science and Engineering de l’Université John Hopkins à Baltimore, montrent qu’il y a de plus en plus de malades hors de Chine, et notamment désormais en Italie avec plus de 130 cas, on ne dispose toujours d’aucun vaccin ou traitement ciblé. Pour autant, le secteur de la recherche tourne à plein régime, avec plus d’une vingtaine d’études enregistrées sur le site ClinicalTrials.gov en quelques semaines. L’OMS a, par ailleurs, organisé les 11 et 12 février dernier une rencontre entre experts (plus précisément des scientifiques, les autorités publiques, des gestionnaires et des financeurs de la recherche) pour discuter de la situation sur le plan diagnostique, thérapeutique et préventif.

Pour gagner du temps, la stratégie actuelle est de tester des médicaments déjà connus et utilisés, par exemple, contre le VIH, la grippe ou d’autres coronavirus, ce qui permet de brûler les étapes habituelles.

Passage en revue des différentes potentialités thérapeutiques.

Un nouvel éclairage sur des produits connus

Les chercheurs doivent affronter plusieurs défis. Aucun modèle animal n’a été clairement défini pour étudier les infections par le Covid-19 ou les substances susceptibles de les combattre. De plus, la famille des coronavirus est hétérogène, et les produits potentiellement inhibiteurs sont loin de fonctionner dans tous les cas. Comme le temps presse, les scientifiques ont adopté une autre stratégie : ils testent des produits virostatiques connus pour être actifs contre le VIH, le virus Ebola, le MERS-CoV ou le SARS-CoV. Dans la plupart des cas, les données abondent sur leur sécurité et leur tolérance.

La phase 1 des études cliniques n’est pas nécessaire chez les participants en bonne santé. L’efficacité des médicaments contre les infections dues au nouveau coronavirus sera donc directement évaluée en phase 2. Les critères d’évaluation ne porteront pas uniquement sur la symptomatologie mais également sur la charge virale mesurée par amplification d’acides nucléiques (PCR).

Voici les substances pour lesquelles les études sont les plus avancées :

1. Lopinavir-ritonavir et umifénovir

L’association fixe lopinavir-ritonavir (LPV/RTV, Kaletra®) est autorisée dans l’Union Européenne dans le traitement des infections par le VIH chez les adultes et chez les enfants âgés d’au moins 14 jours. Les deux produits agissent en tant qu’inhibiteurs de protéase et empêchent ainsi la réplication virale.

En Chine, une étude devrait être lancée dans une population de 160 patients infectés par le Covid-19. Les détails de cette étude peuvent être consultés dans le Chinese Trial Register, ID 48684. Quatre-vingts participants randomisés recevront un traitement à base de lopinavir-ritonavir et d’interféron-α2b, tandis que les autres suivront un traitement conventionnel (autrement dit, purement symptomatique). Tous les participants doivent être âgés d’au moins 18 ans, et le délai écoulé entre les premiers symptômes et l’inclusion est fixé à 10 jours.

Une autre étude, dont on peut consulter les caractéristiques sur le site ClinicalTrials.gov sous l’appellation NCT04252885, s’intéresse également à cette association de produits actifs. 125 patients seront randomisés dans une proportion 2-2-1. Ils bénéficieront soit de l’association LPV/RTV, soit de l’umifénovir (Arbidol®), soit du traitement symptomatique standard. L’umifénovir est connu pour inhiber la fusion de la capside virale et de la membrane de la cellule-cible du virus de la grippe. Cette inhibition empêche le virus d’entrer dans la cellule et la protège donc contre les infections. D’après le journal allemand Handelsblatt, la société AbbVie, qui produit le Kaletra®, finance cette étude.

L’umifénovir sera également testé isolément (ID 49165). 190 patients prendront ce produit, tandis que 190 autres suivront un traitement symptomatique (groupe contrôle).

2. Remdésivir

Le remdésivir (GS-5734) n’est pas nouveau non plus : produit par Gilead Sciences, il a d’abord été développé comme virostatique contre les virus d’Ebola et de Marburg. Il bloque l’ARN polymérase du virus et empêche ainsi sa réplication dans la cellule infectée. Actuellement, les données existantes sur son efficacité contre le MERS-CoV sont tirées d’études in vitro et chez la souris. Le remdésivir s’est montré plus efficace, sur le plan prophylactique et thérapeutique, que l’association fixe LPV/RTV. Son pouvoir inhibiteur sur la réplication virale est plus important. D’après le Wall Street Journal, Gilead prévoirait de réaliser une étude en Chine.

3. Darunavir-cobicistat

L’association fixe darunavir-cobicistat (Rezolsta®, Prezcobix®) fait partie de l’arsenal thérapeutique contre le VIH. Son autorisation de mise sur le marché de l’UE remonte à 2014. Le darunavir est un inhibiteur de protéase tandis que le cobicistat inhibe le cytochrome P450 CYP3A, ce qui ralentit la métabolisation du darunavir.

Johnson & Johnson a fait savoir qu’il allait fournir du Prezcobix® à plusieurs organismes de recherche en Chine.

4. Les stéroïdes

Les chercheurs s’intéressent aussi aux stéroïdes, en vertu de leurs effets anti-inflammatoires et immunosuppresseurs. Dans le cadre d’une étude multicentrique (NCT04244591), des patients randomisés en mode 1-1 bénéficieront soit d’un traitement par méthylprednisolone, soit d’un traitement symptomatique.

Les attentes sont cependant très modérées : les essais réalisés dans le traitement du SARS en 2006 n’ont montré aucun bénéfice clair – mais, en revanche, des effets indésirables notables.

5. Les cellules souches

La piste des cellules souches est aussi explorée mais une étude chinoise portant sur l’injection de cellules souches mésenchymateuses chez 40 patients. La moitié d’entre eux bénéficieront de 3 injections de cellules souches, les autres étant traités symptomatiquement. Les signes cliniques, l’imagerie pulmonaire, la mortalité à 28 jours ainsi que les caractéristiques immunologiques et les effets indésirables seront évalués pendant les 90 jours du suivi.

L’hypothèse avancée serait que les cellules souches pourraient accélérer la régénération pulmonaire.

6. La transplantation fécale

Le microbiome intestinal fait également l’objet d’une étude clinique (NCT04251767). « Il existe un lien important entre le tractus intestinal et le tractus respiratoire, qui se traduit par des complications intestinales en cas de maladie des voies respiratoires et inversement », expliquent les auteurs dans le protocole de leur étude. Ils voient dans les antibiothérapies précoces un facteur déclencheur d’une aggravation de la symptomatologie, avec des conséquences néfastes pour le microbiote intestinal. Dans leur expérimentation, 40 patients randomisés en mode 1-1 recevront par sonde nasale un microbiote intestinal traité ou un placebo.

 

La chloroquine, active contre le Covid-19

D'après des chercheurs de l'université belge KULeuven, la chloroquine, remède utilisé contre la malaria et mise sur le marché mondial en 1934, serait active contre le coronavirus COVID-19, Il ressort de tests menés dans dix hôpitaux chinois - plus spécifiquement à Pékin, Hunan et Guangdong - que les patients qui se sont vus administrer de la chloroquine durant une semaine, présentaient moins de fièvre. Leurs fonctions pulmonaires s'étaient également améliorées plus rapidement. Ils étaient en outre plus rapidement guéris et débarrassés du virus.

 L'activité antivirale de la chloroquine, disponible dans le monde entier et très bon marché, avait déjà été mise en évidence par les chercheurs belges en 2004 lors de l'épidémie du SRAS.

 

Des résultats attendus pour bientôt

Tous ces protocoles d’études témoignent de l’urgence à trouver une parade contre le virus. De nombreux résultats sont attendus pour la période allant d’avril à juillet de cette année. On nous promet une publication accélérée au travers de portails comme ClinicalTrial.gov, sans évaluation par les pairs. Les médecins peuvent donc compter sur des données rapidement disponibles, mais sans que personne ne soit en mesure de prévoir quand l’épidémie de Covid-19 se terminera.

 

Cet article a été initialement publié le 11 février sur Medscape édition allemande sous l’intitulé : HIV-Arznei oder Stuhltransplantation: Forscher testen bekannte Strategien bei Covid-19 – diese Ansätze haben Potenzial, traduit et adapté par le Dr Claude Leroy pour Medscape édition française.

 

 

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