Arrêter de fumer permet à d’étonnantes cellules saines de recoloniser les poumons

Liam Davenport

Auteurs et déclarations

2 mars 2020

Londres, Royaume-Uni -- Une étude vient d'apporter un nouvel argument, s'il en fallait encore, en faveur de l'arrêt du tabac. Avec une notion-clé : il n'est jamais trop tard pour abandonner la cigarette. Non seulement arrêter de fumer met fin aux dommages sur les poumons, mais il semblerait que cela permette l'émergence de nouvelles cellules saines. D'après les chercheurs, le changement de proportion de cellules saines vs cellules malades expliquerait la réduction du risque de cancer du poumon. Ces résultats ont été publiés en ligne dans Nature [1] .

L'équipe britannique a réalisé un séquençage génome entier de cellules saines tapissant les voies respiratoires de fumeurs, d'anciens fumeurs, ainsi que d'adultes n'ayant jamais fumé et d'enfants.

Comme attendu, les cellules des fumeurs et ex-fumeurs contenaient bien plus de mutations que ceux n'ayant jamais fumé et les enfants. Parmi ces mutations, il y avait notamment un nombre plus élevé de mutations dites « drivers » en cause dans la cancérisation des cellules.

Cependant, les chercheurs ont eu la surprise de mettre en évidence chez les anciens fumeurs, jusqu'à 40 % de cellules quasiment normales avec moins d'altérations génétiques et un faible risque de développer un cancer.

Il n'est jamais trop tard

« Les gens qui ont beaucoup fumé pendant 30, 40 ans ou pendant plus longtemps encore me disent souvent que ce n'est plus la peine pour eux d'arrêter de fumer. Le mal est déjà fait » commente le Pr Peter J.Campbell (Cancer Genome Project, Wellcome Trust Sanger Institute, Royaume-Uni), qui a dirigé ce travail.

 
Ce qui est enthousiasmant avec notre étude est qu'elle montre qu'il n'est jamais trop tard pour arrêter de fumer. Pr Peter J.Campbell
 

« Ce qui est enthousiasmant avec notre étude est qu'elle montre qu'il n'est jamais trop tard pour arrêter de fumer. Des participants de notre étude avaient fumé plus de 15 000 paquets de cigarettes au cours de leur vie, mais en quelques années après l'arrêt, beaucoup des cellules tapissant leurs voies respiratoires ne présentaient visiblement plus d’altérations liés au tabac » explique-t-il dans un communiqué de presse.

Tabac et mutagenèse, une relation remise en cause

Dans son article, l'équipe indique que le modèle expliquant comment l'exposition au tabac est à l'origine du cancer du poumon repose sur le fait que les 60 molécules carcinogènes de la fumée de cigarette sont directement impliquées dans la mutagenèse, ce qui, combiné avec les effets indirects de l'inflammation, de l'immuno-suppression ou encore d'une infection, mène au cancer.

Cependant, cela n'explique pas pourquoi ceux qui ont arrêté le tabac à un âge moyen ou avant « évitent en grande partie le risque de cancer du poumon lié au tabac ».

C'est ainsi que les auteurs ont interrogé la relation entre le tabac et la mutagenèse. Pour deux personnes ayant fumé le même nombre de cigarettes, il est difficile d'expliquer pourquoi celle qui a arrêté depuis le plus longtemps présente un moindre risque de cancer du poumon si on considère que la carcinogenèse est induite exclusivement par la quantité de mutations.

Pour leurs investigations, l'équipe a décidé d'examiner les mutations des gènes des cellules de plusieurs épithéliums bronchiques normaux prélevés par bronchoscopie provenant de 16 volontaires (trois enfants, quatre personnes qui n'avaient jamais fumé, six ex-fumeurs et trois fumeurs).

Les chercheurs ont réalisé un séquençage génome entier de 632 colonies dérivées de cellules épithéliales bronchiques normales. De plus, des cellules de carcinome épidermoïde ou de carcinome in situ de trois patients ont été séquencés.

Charges mutationnelles : moins élevées chez les non-fumeurs

Les résultats ont montré une « hétérogénéité considérable » en termes de charge mutationnelle à la fois entre les patients et au sein de chaque patient.

De plus, les substitutions simple base augmentent considérablement avec l'âge, à un taux estimé de 22 par cellule et par an (P=10-8). Ce taux de substitution est estimé à 2330 par cellule et par an chez les ex-fumeurs, et à 5300 par cellule et par an chez les fumeurs.

L'équipe a eu la surprise de découvrir que fumer augmentait la variabilité de la charge mutationnelle d'une cellule à l'autre, « pour un seul et même individu ».

Les chercheurs ont calculé que, même entre des cellules issues d'un échantillon d'une biopsie d'un tissu sain, la déviation standard de la charge mutationnelle était de 2350 par cellule pour les ex-fumeurs, et de 2100 par cellule chez ceux qui fumaient toujours, mais seulement de 140 par cellule chez les enfants et de 290 par cellule chez les adultes qui n'avaient jamais fumé (P<10-16 pour l'hétérogénéité au sein d'un même individu).

Entre les individus, la charge moyenne de substitution était de 1200 par cellule chez les anciens fumeurs, de 1260 par cellule chez les fumeurs actuels et 90 par cellule pour les non-fumeurs (P=10-8 pour l'hétérogénéité).

Les mutations drivers, signature des fumeurs

Les mutations dites « drivers » étaient également fréquentes chez ceux ayant un passé de fumeur. Chez ces personnes, de telles mutations ont été retrouvées dans au moins 25 % des cellules, versus 4-14% des cellules des adultes n'ayant jamais fumé et aucune des cellules des enfants.

Les fumeurs actuels présentent 2,1 fois plus de mutations drivers par cellule que ceux qui n'ont jamais fumé (P=0,04).

Par ailleurs, le nombre de mutations drivers par cellule augmente 1,5 fois à chaque décennie (P=0,004) et double toutes les 5000 mutations extra-somatiques par cellule (P=0,0003).

Les étonnantes cellules « presque normales »

Cependant, l'équipe a aussi découvert que certains patients ex-fumeurs ou encore fumeurs avaient des cellules avec une charge mutationnelle presque normale, équivalente à celle de personnes du même âge n'ayant jamais fumé. Bien que ces cellules soient relativement rares chez les fumeurs, leur fréquence relative chez les anciens fumeurs était quatre fois plus importante que chez les fumeurs et ces cellules représentaient entre 20 et 40 % de l'ensemble des cellules étudiées.

Des analyses complémentaires ont montré que ces cellules presque normales avaient moins de dommages liés au tabac que les autres cellules, et que leurs télomères étaient plus longs.

« Deux points restent à éclaircir : comment ces cellules évitent-elles les mutations qui touchent leurs voisines ? Et pourquoi cette population particulière de cellules se met à se développer à l'arrêt du tabac ? » s'interroge l'équipe.

D'où viennent ces cellules ?

Pour les chercheurs, la longueur des télomères indiquerait que les cellules sont « des descendantes récentes de cellules souches quiescentes », ce qui a été confirmé chez la souris mais reste hypothétique chez l'homme.

« L'expansion apparente de cellules presque normales pourrait refléter la physiologie attendue d'un modèle à deux compartiments avec des cellules progénitrices dont la durée de vie est relativement courte qui sont remplacées progressivement à partir d'un pool de cellules souches quiescentes. Les progénitrices sont plus exposées aux carcinogènes de la fumée de tabac » suggèrent-ils.

Lors d'un entretien avec Medscape Medical News, Peter Campbell a expliqué que l'équipe aimerait maintenant essayer « de trouver où se cachent ces cellules normales pendant que les patients fument. Nous avons quelques idées grâce à des modèles murins ».

« Si nous trouvons cette niche de cellules souches, nous pourrons étudier leur biologie et comprendre ce qui les fait prospérer quand un patient arrête de fumer » a-t-il poursuivi. « Une fois que nous aurons compris cette biologie, nous pourrions imaginer des thérapies qui cibleraient cette population de cellules d'une façon bénéfique. »

Un trop petit nombre de participants

Dans un commentaire qui accompagne l'article, le Pr Gerd P.Pfeifer (Center of Epigenetics, Van Andel Institute, Grand Rapids) considère que l'étude « élargit notre compréhension des effets de la fumée de la cigarette sur les cellules épithéliales pulmonaires humaines » mais souligne le faible nombre d'individus (N=16) à partir desquels l'étude a été réalisée [2].

Il se demande aussi quelles sont ces mystérieuses cellules dont on ne connaît rien et s'interroge notamment sur « la longévité de différents types cellulaires des poumons ».

Mais « un important message de santé publique »

Pour Sam M. Janes (Lungs for Living Research Center, University College London, Royaume-Uni) qui a participé à l'étude, celle-ci délivre un « important message de santé publique ». « Arrêter de fumer quel que soit l'âge ne fait pas que ralentir l'accumulation de dommages mais cela peut réveiller des cellules qui n'ont pas été abîmées par nos choix de vie passés » considère-t-il.

« Des recherches supplémentaires concernant ce processus pourraient aider à comprendre comment ces cellules assurent une protection contre le cancer. Elles pourraient ainsi conduire à de nouvelles voies thérapeutiques anticancéreuses » ajoute-t-il.

L'étude a été financée par le Cancer Research UK Grand Challenge Award et Wellcome Trust. Peter Campbell et Sam Janes travaillent en tant que chercheur senior au Wellcom Trust.

L'ensemble des auteurs n'a pas déclaré de conflit d'intérêt.

Cet article a été initialement publié en anglais le 6 février 2020 sous le titre « Stopping Smoking Allows Healthy Lung Cells to Proliferate » sur Medscape US, traduit et adapté par Marine Cygler pour Medscape édition française.

 

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