Risque de pénurie de médicaments : l'épidémie à coronavirus en Chine relance le débat

Marine Cygler

14 février 2020

France – L'épidémie de Covid-19 a fortement ralenti la production industrielle chinoise dont dépend largement l'économie mondiale. La situation de quasi-paralysie qui perdure en Chine et l'épidémie qui se poursuit sans savoir quand sera la fin commencent à inquiéter l’Europe. Pourrait-on souffrir de pénuries en France ?

Sachant que 80 % de la production de matières premières destinée à la fabrication des médicaments a été délocalisée, et en particulier en Chine, ne risque-t-on pas des tensions d'approvisionnement de certaines spécialités ?

L'inquiétude est légitime, les pénuries de médicaments à base de cortisone de 2019 sont encore dans toutes les têtes.

Chine, pharmacie du monde

La semaine dernière, le quotidien Le Monde , soulignait que « la Chine (était) devenue l’un des centres névralgiques de l’économie internationale, se muant en atelier du monde » [1]. Les liens de dépendance sont devenus très forts dans différents pans de l'économie européenne : la technologie, l'aéronautique, l'automobile, la beauté, le textile mais aussi... la fabrication de médicaments. Le quotidien du soir rappelait en effet que « la Chine n’est pas seulement l’usine du monde, elle est aussi sa pharmacie. Si l’Europe fabrique encore une bonne partie des médicaments qu’elle consomme, elle importe la grande majorité de ses ingrédients d’Asie. »

L'Académie nationale de Pharmacie a confirmé la menace qui plane sur l'approvisionnement en médicament.  Dans un communiqué publié le 13 février, elle plaide pour une relocalisation au moins en Europe de la production de matières premières pharmaceutiques [2].

L'Académie nationale de Pharmacie a confirmé la menace qui plane sur l'approvisionnement en médicament. 

Faut-il craindre une pénurie de médicaments ?

Chez Sanofi, on assure que la situation est sous contrôle, d'autant plus que « l'épidémie de coronavirus a coïncidé avec la période des célébrations du Nouvel An chinois. Pendant cette période – du 23 janvier au 3 février, la production et l'expédition des marchandises sont traditionnellement suspendues. » De plus, dans une réponse par mail envoyée à Medscape édition française, le 12 février, le géant pharmaceutique assure : « en général, nous avons plusieurs fournisseurs pour nos matières premières clés afin de limiter le risque de rupture d'approvisionnement. »

La Chine exporte surtout les matières premières, les ingrédients, nécessaires à la fabrication de médicaments, même si aujourd'hui, elle produit 60 % du paracétamol, 90 % de la pénicilline et plus de 50 % de l'ibuprofène mondiaux.

Concernant la production de médicaments, Sanofi explique travailler « en étroite collaboration avec le gouvernement et les autorités pour veiller à ce que (leurs) installations puissent reprendre la production dès que possible tout en veillant à ce que nos employés viennent au travail en toute sécurité. » D'ailleurs, les sites de Pékin et de Hangzhou, par exemple, ont déjà repris leurs activités, indique Sanofi.

Très actif cet été pour alerter sur les pénuries de médicaments de rhumato, le Pr Francis Bérenbaum (chef du service de rhumatologie à l’hôpital Saint-Antoine, AP-HP, Paris) est moins optimiste. « Il n'y a pas de crainte immédiate. On a de quoi voir venir peut-être pour quelques semaines, voire même deux ou trois mois » considère-t-il. « Mais attention, cela vient très vite ».

La Chine produit 60 % du paracétamol, 90 % de la pénicilline et plus de 50 % de l'ibuprofène mondiaux.

Rapatriement de la fabrication de matières premières : que fait le gouvernement ?

En septembre dernier, en réponse à la crise liée à la pénurie de corticoïdes et aux signalements de tensions d’approvisionnement de médicaments multipliés par 20 en dix ans (44 en 2008 vs 868 en 2018), le gouvernement annonçait différentes mesures devant être introduites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. L'une d'entre elle est la réalisation de stocks de deux à quatre mois pour les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur.

En outre, Jacques Biot, ancien président de l’École Polytechnique, avait été missionné pour la rédaction d'un rapport d' « analyse des causes profondes de cette situation en matière de choix industriels ». Il devait « dans un délai de trois mois analyser les processus de production et logistiques en vue d’en identifier les points de faiblesse et de proposer des solutions. ». « Ce rapport aurait dû être rendu fin décembre. Il est important que ce rapport sorte pour qu'on se rende compte de l'importance de rapatrier la fabrication de matières premières en Europe » commente Francis Bérenbaum.

Relocalisation la production des médicaments essentiels

Pour l'Académie Nationale de Pharmacie, l'épidémie de Covid-19 est une nouvelle preuve de la nécessité de relocaliser « la synthèse des substances actives (voire de certains excipients indispensables à la formulation pharmaceutique), pour atteindre, par paliers, une indépendance au niveau européen, en particulier pour les « médicaments indispensables », tels que les antibiotiques, les anticancéreux »

« C'est surtout vrai pour les génériques. Le problème de la relocalisation se pose en particulier pour les médicaments qui ne sont pas rentables mais essentiels » considère le Pr Bérenbaum. Il concède toutefois que cette relocalisation est très compliquée, et pourrait notamment se heurter à l'acceptabilité de la population. Car qui dit production de matières premières, dit chimie. Qui peut se dire enthousiaste à l'idée de vivre à proximité d'une usine Seveso ?

Il est important que ce rapport sorte pour qu'on se rende compte de l'importance de rapatrier la fabrication de matières premières en Europe  Francis Bérenbaum

 

 

 

 

 

 

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