Paris, France -- Le cancer du col de l'utérus est l'une des tumeurs gynécologiques les plus courantes. Grâce à un traitement chirurgical et à une chimio-radiothérapie concomitante (CCRT), le pronostic de la majorité des patientes atteintes d'un cancer à un stade précoce est globalement bon avec un taux de survie globale de 75 à 85 % à 5 ans [1]. Cependant, pour les patientes atteintes d'un cancer du col utérin récurrent, persistant et métastatique, l’efficacité thérapeutique est rare (environ 15 % de survie globale à 5 ans).
Peut-on, pour ce cancer comme pour d’autres avant lui (poumon…), s’attendre à la « révolution de l’immunothérapie » ? Les données actuelles semblent aller dans ce sens [2].
« La grande innovation thérapeutique dans le cancer du col, c’est l’immunothérapie. Nous sentons bien que le cancer du col de l’utérus est sensible à l’immunothérapie », a commenté le Dr Manuel Rodrigues pour Medscape édition française/Société Française du Cancer.
Un premier succès avec le bévacizumab
Premier succès, en 2014, l'essai GOG 240 a montré que lorsque le bévacizumab était ajouté à la chimiothérapie, le taux de réponse globale était amélioré de 36 à 48% [3], et que la survie globale pouvait être prolongée de 13 à 17 mois pour des récidives persistantes [4]. Ces résultats ont jeté les bases de l’association du bevacizumab à la chimiothérapie en première ligne pour ces patientes (A noter : l’Avastin® n’est toujours pas remboursé dans cette indication en France. Un biosimilaire, moins onéreux est maintenant disponible).
Reste que, pour les cancers qui progressent au cours du traitement de première intention, le manque de traitement efficace de deuxième intention est la principale raison du taux de mortalité élevé [5].
Résultats préliminaires avec l’immunothérapie en monothérapie
De nouvelles recherches se sont donc portées sur l’intérêt des anti PD-1 / PD-L1 pour améliorer les résultats cliniques de ces patientes.
« Des données de plusieurs essais nous ont montré qu’au stade métastatique, l’immunothérapie anti-PD1/PD-L1 peut avoir une efficacité », indique le Dr Rodrigues.
En effet, depuis 2015, plusieurs essais cliniques ont été menés pour évaluer des anticorps PD-1 / PD-L1 dans le cancer du col utérin. À ce jour, quelques études ont donné des résultats préliminaires dont Keynote 028 (phase Ib) [6], Keynote 158 (phase II) et Checkmate 358. Les deux premières ont évalué le pembrolizumab à la dose de 10 mg / kg et 200 mg / kg, respectivement, dans le cancer du col utérin métastatique récurrent.
Dans Keynote 028 (n=24), le taux de réponse global (RECIST v1.1) était de 17% (IC à 95% : 5 à 37%). En termes de toxicité, 5 patientes ont présenté des EI de grade 3 (NCI-CTCAE 3.0), alors qu'aucun effet indésirable de grade 4 n'a été observé.
Dans Keynote 158 [7] (n=98), avec un suivi médian de 11,7 mois, le taux de réponse globale chez 77 patientes était de 14,3% (IC à 95%: 7,4 à 24,1%), dont 2,6% des patientes avec réponse complète et 11,7% des patientes avec réponse partielle, alors qu'aucune réponse n'était observée chez les patientes sans expression de PD-L1 dans les cellules tumorales. Les effets indésirables graves les plus fréquents étaient l'anémie (7%), la fistule (4,1%), l'hémorragie (4,1%) et les infections (4,1%).
Sur la base de Keynote 158, la FDA a approuvé le pembrolizumab le 12 juin 2018 pour le cancer du col de l'utérus avancé avec progression de la maladie pendant ou après la chimiothérapie.
De son côté, l’étude Checkmate 358[8] (phases I à II) a évalué le nivolumab (200 mg / kg toutes les 2 semaines) pour le traitement du cancer du col récurrent et métastatique, avec un taux de réponse globale de 26,3%. Le taux de contrôle de la maladie était de 70,8%. Les effets indésirables de grades 3 à 4 comprenaient l'hyponatrémie, la syncope, la diarrhée et les lésions hépatocellulaires.
Globalement, les résultats de ces trois études avec deux immunothérapies en monothérapie, le pembrolizumab et le nivolumab, chez les patientes atteintes d'un cancer du col utérin récurrent ou métastatique sont donc encourageants.
Associer deux immunothérapies ?
Mais, les associations de deux immunothérapies pourraient être encore plus prometteuses comme l’ont montré les derniers résultats de l’étude CheckMate 358 qui ont été présentés à l’ESMO l’année dernière.
Dans l’essai, les investigateurs ont testé deux schémas d’une association de deux immunothérapies : un anti PD-1 [nivolumab] et un anti CTLA-4 [ipilimumab] (pas de chimiothérapie) avec des taux de réponse de 25 % à 45 %, en fonction du schéma qui avait été utilisé et aussi en fonction d’un traitement préalable ou non par chimiothérapie.
Interrogée sur ces résultats par Medscape édition française, le Dr Alexandra Leary (oncologue médicale Institut Gustave Roussy, Paris) avait alors commenté : « nous avons un taux de réponse bien au-dessus de ce qu’on pourrait attendre avec une chimiothérapie, et le taux de réponse et le bénéfice en termes de survie sans progression (PFS) est meilleur quand on introduit cette combinaison d’immunothérapie en première ligne. Je pense que c’est important et cela donne un peu d’espoir, surtout les essais qui sont en cours en ce moment dans les cancers du col avec immunothérapie et chimiothérapie en première ligne ». Aussi, en termes de toxicité et de rapport bénéfice-risque, l’oncologue s’est montré optimiste : « on voit des toxicités de grade 3-4, chez presque un tiers des patientes… mais je pense qu’on apprendra à mieux les gérer. Des taux de réponse de plus de 30 % dans les cols, on n’en voit pas, donc c’est vraiment intéressant », a-t-elle précisé.
Limites des études actuelles et nouvelles voies de recherche
Si l’ensemble de ces données est encourageant, la petite taille des études et le suivi de courte durée des études sont deux limites importantes, expliquent Yuncong Liu et coll. dans une mise au point sur les données concernant les anti-PD1 et anti-PD-L1 dans le cancer du col [1]. Les données de survie globale, de survie sans progression, mais aussi celle sur les effets secondaires à long terme et sur la résistance aux traitements ne sont pas disponibles, ce qui limite la portée des résultats. Aussi, actuellement, la plupart des études, notamment celles en cours, sont limitées au cancer du col métastatique, qui ne compte que pour une faible part des patientes atteintes d’un cancer du col.
Pour les chercheurs chinois, plusieurs pistes de recherche doivent retenir l’attention. Y-a-t-il un avantage clinique des inhibiteurs de PD-1 / PD-L1 en néoadjuvant ? Y-a-t-il, un intérêt pour les patientes atteintes d'un cancer du col de l'utérus localement avancé qui ne sont pas sensibles à un traitement chirurgical et à une chimio-radiothérapie concomitante CCRT ou qui rechutent à court terme après le traitement initial ?
« Au stade localisé, pour les tumeurs de plus de 4 centimètres, la question est de savoir comment améliorer le pronostic de ces maladies graves », explique le Dr Rodrigues. « La chimiothérapie améliore franchement le pronostic par rapport à la radiothérapie seule. Mais, depuis quelque temps, de nombreux essais cliniques ont démarré qui testent l’intérêt d’ajouter de l’immunothérapie dans cette situation », précise-t-il. L’essai de phase I NiCOL (Institut Curie, BMS) co-dirigé par les Drs Emmanuela Romano (Institut Curie) et Rodrigues est celui qui devrait donner les premiers résultats. Son objectif : évaluer l’association d’une immunothérapie, le nivolumab, à une radiothérapie et à une chimiothérapie standard suivie par le nivolumab seul pendant 6 mois, chez une vingtaine de patientes ayant un cancer du col de l’utérus localement avancé (pas de bras comparateur). « L’essai est terminé, nous aurons les premiers résultats à l’ESMO. Après, pour les essais comparatifs actuellement en cours, les premiers résultats ne devraient pas être disponibles avant deux ans », précise le Dr Rodrigues.
La piste des immunothérapies spécifiques
Outre les immunothérapies classiques, des immunothérapies plus spécifiques font l’objet de recherches.
Des vaccins thérapeutiques anti-HPV sont, notamment, en développement dont l’objectif est de détruire toutes les cellules du corps qui présentent de l’HPV, tout en stimulant les anti-PD1 (l’expression de PD-L1 est corrélée au statut HPV). Deux vaccins, le VGX-3100 et l'axalimogene filolisbace (ADXS11–001) sont en phase 3 de développement [9,10].
Enfin, des traitements d’immunothérapie « personnalisée » sont en cours d’étude. Il s’agit de lymphocytes infiltrant la tumeur issus de chaque patiente (LN-145). Ces lymphocytes (ou cellules immunitaires anti-tumorales) proviennent d’un échantillon tumoral prélevé lors d’une biopsie ou chirurgie, les lymphocytes sont ensuite séparés des cellules tumorales, mis en culture et activés dans un laboratoire avant d’être reperfusés chez la patiente. Après la perfusion de lymphocytes LN-145, les patientes reçoivent des perfusions d’interleukine 2 afin de stimuler les lymphocytes à attaquer la tumeur.
A ce jour, une étude multicentrique de phase 2 avec des lymphocytes LN-145, CSET 2702, à laquelle participe Gustave Roussy est en cours. Elle vise à évaluer l'efficacité et la sécurité d'emploi de ces lymphocytes autologues infiltrant la tumeur chez des patientes atteintes d'un carcinome cervical récurrent, métastatique ou persistant.
Le Dr Rodrigues a reçu des subventions pour la recherche de la part de BMS et MSD, des honoraires d'Astra-Zeneca, des aides pour des déplacements en congrès de la part de Roche et Tesaro. Il a également reçu un financement public de l’INCa.
Le Dr Leary a déclaré ne pas avoir de liens d’intérêts financiers.
Citer cet article: Cancer du col : quelle place pour l’immunothérapie ? - Medscape - 17 févr 2020.
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