Faut-il avoir peur de la 5G ?

Catherine Moréas

14 février 2020

France – L’arrivée de la 5G – pour 5ème génération – en France nous promet un monde hyperconnecté, mais soulève aussi des inquiétudes. Y a-t-il un risque pour la santé ? Alors que le rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) pointe un « manque important, voire une absence de données relatives aux effets biologiques et sanitaires potentiels dans les bandes de fréquences considérées » [1,2], des associations lancent des appels pour « stopper la 5G sur la terre et dans l’espace » (voir encadré). Echanges tendus en perspective.

Un débit et une densité de connexion multipliés par dix

La 5G, la cinquième génération de téléphonie mobile, devrait se déployer en France d’ici la fin de l’année 2020. Les opérateurs sont dans les starting-blocks avant l’attribution des fréquences. Le marché est prometteur – et les enjeux financiers très conséquents. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) annonce un débit dix fois supérieur à celui de la 4G et une densité de connexion, c’est-à-dire le nombre d’objets pouvant communiquer simultanément, multipliée par dix également.

Grâce à la 5G, on nous annonce des véhicules autonomes, des villes « intelligentes et connectées », le pilotage à distance de robots…  La santé est concernée au premier chef – et à double titre, pourrait-on dire. Positivement puisque la 5G devrait permettre à la télémédecine de prendre son essor mais peut-être aussi négativement, s’il est démontré que ces nouvelles fréquences sont susceptibles d’impacter les humains.

De fait, les données scientifiques manquent pour évaluer l’impact d’un tel saut technologique. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) le reconnaît dans un rapport préliminaire publié le 26 janvier dernier [2]. Ses travaux d’expertise se poursuivent. Les résultats sont attendus au premier trimestre 2021.

Davantage de petites antennes

Pour fonctionner, la 5G va utiliser des fréquences spécifiques : la bande 3,5 GHz dans un premier temps pour la téléphonie mobile puis, dans quelques années, la bande 26 GHz (ondes dites «millimétriques») pour la communication entre les objets connectés.

Ces fréquences sont plus élevées que celles qui font actuellement tourner nos smartphones et le Wi-Fi. La portée des ondes électromagnétiques étant plus courte, il va falloir multiplier les petites antennes pour relayer le signal. Pour le Dr Annie Sasco, c’est un réel motif d’inquiétude : « Les antennes seront plus petites et directionnelles, mais elles seront aussi moins visibles. On ne pourra pas les éviter, surtout en ville. Les populations les plus susceptibles comme les femmes enceintes ou les enfants seront impactés automatiquement. »

De son côté, Yves Le Dréan, biologiste à l’Institut de recherche en santé, environnement et travail, ne nie pas le risque d’augmenter «la pollution» électromagnétique, mais il en relativise les conséquences : « Dans un premier temps, la 5G ne va pas remplacer la 2G, la 3G et la 4G. Elle va se superposer. L’avènement de la 5G va augmenter le niveau d’exposition de la population, mais dans quelle proportion ? Personne ne le sait actuellement. Une chose est sûre, avec la 5G à 3,5 Ghz, nous serons extrêmement proche de la 4G actuelle qui se situe entre 1,8 et 2,5 Ghz. Difficile d’imaginer des effets sanitaires en se décalant de quelques gigahertz, tant que les normes sont respectées. »

Des études globalement rassurantes

Comme le souligne l’Anses dans son rapport préliminaire, « la recherche s’est principalement concentrée sur les champs électromagnétiques de fréquences inférieures à 3 GHz, correspondant aux sources de radiocommunication auxquelles le grand public est le plus exposé ». Dans ce domaine, les études sont globalement rassurantes, sauf pour les gros utilisateurs de téléphone portable. Une augmentation du risque de neurinome du nerf acoustique et du risque de gliome est notée chez les personnes qui dépassent les 1640 heures d’exposition au téléphone portable. Raison pour laquelle depuis 2011, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a, en 2011, classé les ondes électromagnétiques comme potentiellement cancérigènes pour l’homme (groupe 2B).

Des modifications physiologiques de l’activité cérébrale pendant le sommeil ont également été relevées. Enfin, dans un rapport de 2016, l’Anses note des effets possibles sur les fonctions cognitives. Prudemment, elle recommande l’usage du kit mains-libres et émet une mise en garde spécifique sur l’usage du smartphone chez les enfants.

Une augmentation du risque de neurinome du nerf acoustique et du risque de gliome est notée chez les personnes qui dépassent les 1640 heures d’exposition au téléphone portable.

La peau davantage exposée

Jusqu’à 10 GHz, les ondes électromagnétiques ne pénètrent pas en profondeur dans le corps. Elles sont absorbées par les couches superficielles de la peau. Quelles conséquences pour les cellules cutanées et les terminaisons nerveuses ? « Si ce n’est pas dangereux, qu’on le démontre au moins chez l’animal ! », s’exclame Annie Sasco.

Le seul risque connu est thermique par échauffement des molécules d’eau.  Aux Etats-Unis, des essais d’armes non-létales ont été menés en utilisant des ondes à très forte puissance (94 Ghz). « C’est comme si vous étiez plongé dans un bain à 70 degrés », observe Yves Le Dréan avant de souligner que les fréquences envisagées pour la 5G restent bien en-deçà et qu’il n’y aura pas d’effet thermique si les normes d’exposition sont respectées.

La 5G «augmentée» à 26 GHz nous transporte néanmoins dans une autre dimension. À ce niveau, les seuls points de comparaisons que retient l’Anses sont les « scanners corporels » des aéroports qui peuvent utiliser une bande 24-30 GHz. Les deux expertises que l’Agence a menées sur ce sujet n’ont révélé aucun risque pour la santé des voyageurs.

Hypersensibilité électromagnétique

Qu’en sera-t-il pour les usagers de la 5G baignant dans un environnement électromagnétique inédit ? « En termes de santé publique, je ne suis pas inquiet à court terme. À long terme, je ne sais pas. On peut se poser la question des effets sur des personnes présentant certains variants génétiques qui font qu’elles sont peut-être moins armées par rapport à ce type de stress. Il va falloir qu’on se penche sur cette question fondamentale », reconnaît Yves Le Dréan. On se rappelle d’ailleurs que l’Anses a reconnu pour la première fois en 2018 l’existence d’une souffrance liée à une hypersensibilité électromagnétique.

Ajoutons, pour être complet sur l’ensemble des risques attachées à la 5G, que fin janvier, la Commission Européenne a proposé une évaluation des risque, non pas biologiques, mais de cybercriminalité et d’espionnage liés au réseau 5G et émis des recommandations en la matière en attendant, elle aussi, de plus amples données.

 

Réticence marquée des associations et demande de moratoire

L’arrivée de cette nouvelle technologie ne fait pas que des heureux. Des scientifiques, des ONG environnementales et des associations de personnes électrosensibles s’inquiètent de potentiels risques sanitaires. Les associations Agir pour l’Environnement et Priartem ont annoncé, le 27 janvier, avoir déposé un recours devant le Conseil d’Etat. Le but : obtenir l’annulation de l’arrêté du 30 décembre 2019 qui lance la procédure d’attribution des fréquences. « L’Etat prend ainsi le risque d’exposer l’ensemble de la population à une pollution environnementale dont il est en incapacité d’évaluer les effets sur les conditions de vie et de santé », soulignent les deux associations dans un communiqué commun.

En novembre 2018, des scientifiques et des citoyens de différents pays avaient déjà lancé un appel pour « stopper la 5G sur la terre et dans l’espace ». Cet appel avait recueilli plus de 200 000 signatures début 2020. « Avant d’exposer la totalité des populations humaine, animale et végétale de la planète à de nouvelles bandes de fréquence jamais étudiées, il serait prudent de faire un minimum d’études. Un moratoire, comme cela a été fait pour les OGM, permettrait de s’accorder un temps de réflexion », souligne l’une des signataires, le Dr Annie Sasco, une épidémiologiste qui a consacré sa carrière à la recherche sur le cancer.

Cette réticence n’est pas limitée à la France : début 2019, de nombreuses voix se sont inquiétées de l’impact de cette technologie sur la santé accompagnent le déploiement de la 5G en Suisse et en Belgique. Chez nos voisins transalpins, l’installation prévue de 10 000 nouvelles antennes a fait craindre une augmentation considérable de l’exposition au rayonnement de radiofréquences. Une pétition demandant un moratoire a recueilli plus de 56 000 signatures. En conséquence, le canton de Vaud a suspendu la mise en place des antennes 5G. Quant à la capitale belge, si les propos de la ministre de l’environnement, Céline Frémault, ont pu laisser penser que Bruxelles entrait en résistance et refusait la 5G pour des raisons de santé, des articles récents dont celui paru dans Libération ont laissé entendre que les raisons du retard à l’installation (plutôt que du refus) seraient avant tout d’ordre technologique.

 

 

 

 

 

 

 

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....