Cancer du poumon : la publication de l’essai Nelson confirme l’intérêt du dépistage par scanner faible dose

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

12 février 2020

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

Rotterdam, Hollande -- Plus d’un an après avoir été présentés lors de la 19th World Conference on Lung Cancer, les résultats de l’essai NELSON en faveur du dépistage du cancer du poumon par scanner hélicoïdal à faible dose chez les patients à risque viennent enfin d’être publiés dans le NEJM [1]. Le taux de faux positif à 1,2% est confirmé, ce qui laisse sérieusement envisager la mise en place d’un tel dépistage en France.

« Le taux de faux positif obtenu dans cet essai change clairement la donne. Maintenant que l’étude est publiée, nous allons pouvoir solliciter à nouveau les autorités sanitaires pour vérifier la faisabilité du dépistage en France, selon les critères de l’étude NELSON, puis s’assurer de sa mise en place rapide », a commenté auprès de Medscape édition française/SFC, le Pr Marie Wislez (Hôpital Universitaire Paris Centre Cochin, AP-HP).

Grâce à une méthode d’évaluation du risque basée sur le temps de croissance des nodules détectés, « on obtient dans cet essai une baisse de mortalité par cancer de poumon de 24% à 10 ans. Les données sont maintenant clairement suffisantes pour mettre en place un dépistage, qui s’avère d’autant plus justifié que le cancer du poumon est généralement découvert à un stade avancé », a ajouté l’onco-pneumologue.

Réticences de la HAS

Après l’étude américaine National Lung Screening Trial (NLST), l’essai NELSON est le deuxième vaste essai à évaluer l’utilisation du scanner basses doses pour dépister le cancer du poumon chez des patients à risque. Si les résultats concernant la baisse de mortalité par cancer du poumon sont assez similaires (-20% dans NLST), la méthodologie employée dans l’essai NELSON a nettement amélioré la spécificité de ce dépistage.

Les performances affichées par cette méthode de dépistage du cancer du poumon chez les fumeurs, dans le but de détecter et de traiter la maladie à un stade précoce, pourraient finalement convaincre les autorités sanitaires de son intérêt. Après les résultats de l’essai NLST, la Haute autorité de santé (HAS) avait, en effet, émis en 2016 un avis défavorable à la mise en place d’une telle approche préventive.

Menée au Pays-Bas et en Belgique, l’étude NELSON a inclus 15 789 individus âgés de 50 à 74 ans (84% d’hommes), considérés comme à risque de cancer du poumon. Pour cela, ils devaient avoir fumé plus de dix cigarettes par jour pendant au moins 30 ans ou plus de 15 cigarettes par jour pendant au moins 25 ans. Près de la moitié avaient arrêté de fumer dans les dix dernières années avant l’étude.

Ils ont été randomisés pour un simple suivi sans scanner ou un suivi avec des examens répétés par scanner à faible dose. Dans le bras actif, une évaluation par scanner a été menée à quatre reprises : à l’inclusion, après un délai d’un an, puis de deux ans et enfin après de 2,5 ans. Les participants ont été suivis pendant dix ans.

Temps de doublement des nodules

Contrairement à la méthodologie de l’étude NSLT qui considérait que le dépistage était positif en présence d’un nodule > 5 mm, celle élaborée par les investigateurs de NELSON tient compte de l’évolution du volume du nodule dans le temps et évalue, pour cela, le temps de doublement des nodules pour affiner les résultats.

 
Le taux de faux positif est ainsi passé de 24,1% environ dans NLST à 1,2% dans l’essai NELSON.
 

Ainsi, dans NELSON, le dépistage est négatif pour un volume < 50 mm3 et positif pour un volume > 500 mm3. Entre 50 et 500 mm3, le dépistage est dit indéterminé. Il nécessite alors de réaliser à nouveau scanner faible dose à 3 mois afin d’estimer le temps de doublement. Lorsque celui-ci est lent (supérieur à 400 jours), le dépistage est négatif. Dans le cas contraire, il était jugé positif.

Cette méthode a permis d’avoir beaucoup moins de dépistages positifs. Après un suivi de dix ans, 2,1% des patients ont eu un examen positif, contre 24% dans l’essai NLST. Un cancer du poumon a ensuite été diagnostiqué chez respectivement 43,5% et 3,8% des patients, ce qui montre une nette amélioration de la spécificité avec cette méthode. Le taux de faux positif est ainsi passé de 24,1% environ dans NLST à 1,2% dans l’essai NELSON.

Après dix ans, l’incidence du cancer du poumon était de 5,58 cas pour 1000 personnes-années avec le suivi avec scanner (341 cancers au total) et 4,91 cas pour 1000 personnes-années (304 cancers) dans le groupe contrôle. La mortalité par cancer du poumon est abaissée de 24% chez les hommes et de 33 % chez les femmes bénéficiant d’un suivi avec des scanners répétés, par rapport au groupe témoin.

 
La mortalité par cancer du poumon est abaissée de 24% chez les hommes et de 33 % chez les femmes bénéficiant d’un suivi avec des scanners répétés, par rapport au groupe témoin.
 

En revanche, il n’apparait pas de différence significative entre les deux groupes concernant la mortalité toutes causes (environ 14 cas pour 1000 personnes-années). Un résultat qui a amené certains à questionner le réel intérêt de ce dépistage.

Un délai révélateur des enjeux ?

Même si ces données ont été publiées tardivement, plus d’un an après avoir été présentées en congrès, « il n’y a pas de grande surprise », a commenté le Pr Wislez. « On peut considérer que ce long délai avant publication est révélateur de l’enjeu que représente la mise en place du dépistage du cancer du poumon. »

On peut considérer que ce long délai avant publication est révélateur de l’enjeu que représente la mise en place du dépistage du cancer du poumon Pr Wislez

Conforté par une vaste cohorte, cet essai randomisé pourrait, en effet, marquer une nouvelle étape dans la prévention du cancer du poumon. « Des analyses statistiques complémentaires ont pu être demandées aux investigateurs », suggère la pneumologue. « Au final, les résultats sont les mêmes et justifient clairement un dépistage par scanner ».

« On attendait impatiemment cette publication. On peut désormais aller vers les autorités sanitaires pour commencer à mettre en place cette approche préventive. » L’occasion notamment de solliciter un soutien financier pour lancer une étude de faisabilité en France, qui prévoit d’inclure 2 500 femmes à risque de cancer de poumons.

On peut désormais aller vers les autorités sanitaires pour commencer à mettre en place cette approche préventive Pr Wislez

« Cette étude permettra à la fois de vérifier si les résultats de l’essai NELSON sont reproductibles sur le terrain et d’avoir davantage de données concernant les femmes », peu représentées dans l’essai. Une démarche encouragée par les chercheurs pour vérifier si ce bénéfice du dépistage en termes de survie reste nettement supérieur chez les femmes.

Des progrès dans la prise en charge précoce

Parmi les arguments avancés en 2016 pour expliquer pourquoi les conditions n’étaient, selon elle, pas réunies pour valider le dépistage du cancer du poumon, la HAS avaient souligné les possibilités restreintes de traitement, même à un stade précoce de la maladie. Une justification qui s’avère inappropriée, estime le Pr Wislez.

« Des progrès ont été obtenus dans la prise en charge des stades précoces, autant par chirurgie que par radiothérapie. Des techniques chirurgicales, comme les résections infralobaires, s’avèrent par exemple efficaces dans le traitement des petits nodules. Des résultats de phase 3 devraient d’ailleurs être présentés lors du prochain congrès de l’ASCO [prévu fin mai, ndr] ».

« On ne peut pas aujourd’hui affirmer que les stades précoces ne peuvent pas être pris en charge. Certes, le taux de survie à cinq ans après traitement ne va pas atteindre les 100%. Mais, que faut-il préférer ? Attendre un stade métastatique symptomatique pour faire un diagnostic et proposer un traitement non curatif et coûteux, tels que les chimiothérapies, ou instaurer un dépistage qui permet de réduire la mortalité en traitant davantage de stades précoces ? »

L’attention se porte également sur la définition de la population cible qui pourrait être davantage affinée. En dehors du niveau de tabagisme et de l’âge, les facteurs de risque justifiant un dépistage pourraient inclure certaines comorbidités cardiovasculaires. Des études sont envisagées pour affiner les techniques d’imagerie par détection d’ADN circulant par biopsie liquide et même par analyse du microbiote intestinal.

Définir la population cible

Dans un éditorial accompagnant l’étude, les Prs Stephen Duffy (Wolfson Institute of Preventive Medicine, Queen Mary University of London, Royaume-Uni) et John Field (Department of Molecular and Clinical Cancer Medicine, University of Liverpool, Royaume-Uni) se sont également montrés convaincus de l’intérêt de ce dépistage après la publication des résultats de l’essai [2].

« Il n’y a plus à douter sur l’efficacité du dépistage par scanner faible dose pour réduire la mortalité par cancer du poumon. L’évaluation va devoir désormais se porter sur le rapport coût-efficacité de ce dépistage ». Mais, face à la baisse de mortalité obtenue, le risque de surdiagnostic associé à la méthode employée est, selon eux, « acceptable ».

« Notre tâche n’est plus de vérifier si le dépistage du cancer du poumon par scanner faibles doses fonctionne, puisque c’est le cas. Notre tâche est d’identifier la population cible qui lui permettra de conserver un bon rapport coût-efficacité », ont conclu les deux cancérologues.
 

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