Maladie coronaire stable: quelle place pour la revascularisation percutanée ?

Dr Jean-Pierre Usdin

Auteurs et déclarations

13 février 2020

Paris, France -   Au cours des Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC 2020), le Pr Augusto Pichard (Cardiac Catheterization Laboratory, Medstar Washington Hospital Center, Etats-Unis) est venu faire le point sur l’actualité concernant la prise en charge de l’angor stable, en faisant référence à plusieurs études, contestées pour certaines. L’occasion de bousculer les idées préconçues et de rappeler l’importance de l’angioplastie dans la maladie coronaire stable.

Ce cardiologue américain, reconnu pour son expertise en cardiologie interventionnelle, a notamment apporté son point de vue sur l’essai controversé ISCHEMIA, qui a récemment rapporté une absence de bénéfice avec la revascularisation percutanée ajoutée au traitement médical standard chez les coronariens stables pris en charge pour une ischémie. Un essai qui, selon lui, n’est pas représentatif des situations rencontrées dans la pratique.

Angor asymptomatique: intervenir plus tôt

La maladie coronaire est une cause majeure de décès dans le monde. Dans les pays occidentaux, la morbi-mortalité associée à cette pathologie a nettement diminué grâce à la prévention et à la prise en charge thérapeutique. Cependant, le Pr Pichard plaide pour une attitude moins passive face aux patients coronariens stables, même asymptomatiques. D’autant plus que l’infarctus du myocarde ou la mort subite sont souvent la conséquence d’une affection coronarienne athérosclérotique (MCAS).

« Actuellement, on considère qu’il n’est pas nécessaire d’intervenir pour traiter une insuffisance coronaire stable, sauf en cas de symptômes sévères. De même, on s’abstient de traiter ou d’évaluer des coronariens stables à haut risque, tant qu’ils sont asymptomatiques. Je ne suis clairement pas d’accord sur ces points », a tout d’abord précisé le cardiologue.

La dernière analyse concernant les données registre international CLARIFY est d’ailleurs venue conforter cette idée [2]. Les résultats de suivi de cette grande cohorte de 32 000 patients présentant un angor stable révèlent, en effet, un  pronostic à cinq ans des patients asymptotiques aussi mauvais que celui des patients symptomatiques. « Etre asymptomatique n’améliore pas le pronostic », a souligné le Pr Pichard.

 
Etre asymptomatique n’améliore pas le pronostic  Pr Augusto Pichard
 

Dépistage de la maladie coronaire : place au scanner

Pour identifier les patients les plus à risque d’accident cardiaque, le cardiologue interventionnel a rappelé l’intérêt du score calcique coronaire, qui s’avère plus approprié que l’électrocardiogramme (ECG) d’effort, désormais considéré comme inadapté dans le dépistage et le diagnostic de la MCAS. Ce score est calculé à partir d’un examen au scanner, peu irradiant, rapide et peu coûteux, sans perfusion, ni injection de produit de contraste.

Le score calcique permet de détecter la présence d’une MCAS et d’évaluer sa sévérité chez les sujets asymptomatiques âgés, comme chez les patients ayant un angor stable. « Chez les patients ayant des facteurs de risque de MCAS, un score calcique coronaire doit être effectué pour évaluer la présence et la sévérité de la maladie coronarienne, qu’il y ait ou non des symptômes. »

Pour ce qui est du traitement par revascularisation, le Pr Pichard a souligné les avancées obtenues avec l’angioplastie, qui fait aussi bien que le pontage aorto-coronarien (PAC), en dehors des lésions complexes. C’est du moins ce qu’a révélé l’étude randomisée SYNTAX, qui a inclus 1 800 patients coronariens randomisés pour être traités, soit par chirurgie, soit par angioplastie [3].

Les résultats ont montré qu’il n’y avait pas différence significative à cinq ans entre les deux groupes concernant le taux de décès toutes causes (11,4% après un pontage contre 13,9% avec l’intervention percutanée) et le taux d’AVC (3,7% contre 2,4%). En revanche, le taux de réintervention est plus élevé dans le groupe angioplastie (13,7% contre 25,9%).

 
Un score calcique coronaire doit être effectué pour évaluer la présence et la sévérité de la maladie coronarienne, qu’il y ait ou non des symptômes  Pr Augusto Pichard
 

Selon le cardiologue, ce risque accru de réintervention avec le traitement percutanée ne doit pas pour autant amener à reconsidérer l’intérêt de cette intervention. « Après une première revascularisation, un patient revient plus facilement pour une angioplastie (…), ce qui n’est pas le cas après un pontage. De plus, on hésite plus souvent à revasculariser un pontage ».

Diabétiques: la chirurgie pour les pluritronculaires

La situation est toutefois différente avec les patients diabétiques pluritronculaires, l’étude FREEDOM ayant montré, à l’inverse, de meilleurs résultats avec une revascularisation chirurgicale dans cette population [4].

A cinq ans, le critère principal composite associant mortalité toutes causes, infarctus du myocarde (IDM) et AVC a ainsi été observé chez 18,6% des patients opérés, contre 26,6% après la pose de stents. Prise séparément, l’incidence des AVC est toutefois apparue plus élevée après chirurgie (5,2% contre 2,4%).

Dans leurs dernières recommandations, l’European Society of Cardiology (ESC) et l’European Association for the Study of Diabetes (EASD) ont toutefois laissé une place pour l’angioplastie dans cette population. Celle-ci reste indiquée chez les diabétiques présentant une lésion sur une ou deux artères coronaires.

La chirurgie peut aussi être envisagée lorsque deux artères, dont l’artère interventriculaire antérieure (IVA), sont atteintes. Elle est préférable en cas de sténose sur trois vaisseaux.

 
Après une première revascularisation, un patient revient plus facilement pour une angioplastie (…), ce qui n’est pas le cas après un pontage  Pr Augusto Pichard
 

Sténose du tronc commun: favoriser l’angioplastie?

S’agissant des patients atteints d’une obstruction du tronc commun de complexité anatomique faible à intermédiaire, de récentes données ont révélé la non infériorité de la revascularisation par voie percutanée comparativement au traitement standard par chirurgie. L’essai EXCEL a ainsi montré une absence de différence pour le critère principal (mortalité, IDM ou AVC) entre les deux approches pour ce profil de patients (respectivement 15,4% et 14,7% à trois ans) [5].

Ces résultats ont conduit à une modification des recommandations en faveur de l’utilisation de stents coronaires pour la sténose du tronc commun gauche chez certains patients sélectionnés (score SYNTAX faible), tandis que le pontage reste recommandé chez tous les patients avec des lésions du tronc commun de la coronaire gauche, quelle que soit la complexité anatomique (recommandations Ia).

Une polémique est cependant venue remettre en question ces recommandations, les investigateurs de l’essai en question étant accusés d’avoir biaisé les résultats, en omettant de publier certaines données. L’European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS), qui a participé à la rédaction des recommandations, a décidé en conséquence de les mettre en suspens, en attendant d’y voir plus clair.

L’étude NOBLE est venue depuis apporter d’autres résultats en faveur cette fois du traitement standard par chirurgie des lésions sur tronc commun [6]. Dans cette étude, qui a inclus 1 200 patients, la mortalité s’élève à 9% à cinq ans dans les deux groupes, mais les patients traités par angioplastie présentaient un taux plus élevé d’IDM (8% contre 3%) et de revascularisation (17% contre 10%).

 
De nombreux essais randomisés ont tout de même apporté de solides arguments en faveur de l’angioplastie dans le traitement d’une sténose du tronc commun  Pr Augusto Pichard
 

ISCHEMIA: un essai non représentatif ?

« De nombreux essais randomisés ont tout de même apporté de solides arguments en faveur de l’angioplastie dans le traitement d’une sténose du tronc commun. A mon avis, les deux techniques [Angioplastie et PAC] sont deux options qui ont prouvé leur efficacité et leur sécurité dans cette indication », estime le Pr Pichard.

Lors du dernier congrès de l’American Heart Association (AHA), un autre essai est également venu jeter le trouble dans la cardiologie interventionnelle: l’essai ISCHEMIA, qui a confirmé, à cinq ans, l’absence de bénéfices de la revascularisation ajoutée au traitement médical optimal, comparativement au traitement médical seul, chez les patients coronariens stables pris en charge pour une ischémie [7]. Une déception pour les cardiologues interventionnels.

« J’ai des problèmes avec cette étude. Pour moi, ISCHEMIA n’est pas un essai représentatif de la vraie vie: il y a quasiment un tiers des patients du groupe traitement conservateur seul qui seront revascularisés. De plus, la majorité des patients n’avaient pas de lésions sévères et peu d’atteintes de l’artère interventriculaire antérieure », a commenté le cardiologue américain.

« L’angioplastie me semble sûre. Si elle n’améliore pas la mortalité dans cet essai, elle réduit au moins les symptômes. L’incidence de l’IDM est plus faible tout au long de l’essai [33% de risque en moins par rapport au traitement conservateur, ndr]. Cependant, nous l’avons appris pour les patients n’ayant pas de lésion sévère et peu de symptômes: il n’y a pas d’urgence à réaliser une angioplastie ».

Evaluation de la sténose: l’angiographie supplantée

Autre sujet évoqué pendant cette session consacrée à la prise en charge des coronariens stables: l’évaluation de la sévérité de la sténose avant de réaliser une revascularisation percutanée.

 
Pour moi, ISCHEMIA n’est pas un essai représentatif de la vraie vie  Pr Augusto Pichard
 

Pour savoir si l’intervention est nécessaire, le caractère serré ou non de la sténose n’est pas suffisant. Il faut aussi déterminer le degré d’ischémie. « L’angiographie n’est pas le gold standard pour les sténoses évaluées entre 50 et 80%. La lésion provoquant une ischémie doit être la seule indication de l’angioplastie », souligne le Pr Pichard.

Afin de guider l’angioplastie, la fraction de flux de réserve (FFR) a confirmé son intérêt dans l’étude FAME, qui a comparé l’évaluation fonctionnelle par FFR à l’angiographie chez plus de 1 000 patients pluritronculaires (2 ou 3 vaisseaux avec sténose ≥ 50%) [8]. Ils ont été randomisés pour une angioplastie décidée sur des critères morphologiques ou sur le critère d’une FFR < 0,80.

Au delà d’une FFR à 0,80, la sténose est considérée comme significative. Le recours à ce critère s’est soldé par la pose de moins de stents. A un an, l’incidence du critère primaire (décès, IDM ou revascularisation) était de 13,2% dans le groupe FFR, contre 18,3% dans le groupe angiographie. Ce calcul n’apparaît utile que pour les sténoses évaluées à l’angiographie comprises entre 70 et 90% [9].

Mieux identifier les candidats à l’angioplastie

D’autres critères d’évaluation du rétrécissement de l’artère coronaire ont été cités par le Pr Pichard, tel que l’IVUS (Intra Vascular Ultra Sonography), utilisé comme alternative au FFR pour des sténoses sur des vaisseaux de taille moyenne. L’étude IVUS-XPL a montré sa supériorité par rapport à la radiographie, avec un taux d’événements cardiovasculaires inférieur à un an avec l’IVUS [10].

 
Pour savoir si l’intervention est nécessaire, le caractère serré ou non de la sténose n’est pas suffisant  Pr Augusto Pichard
 

Autre technique évoquée: la tomographie en cohérence optique (OCT), qui utilise une onde lumineuse pour avoir une image tridimensionnelle des tissus. Une récente étude a permis de caractériser des lésions à haut risque pouvant être identifiées par cette technique invasive [11].

Enfin, le cardiologue s’est penchée sur l’évolution des pratiques médicales, notamment pour assurer une meilleure identification des patients candidats à une angioplastie. Il a cité l’initiative de 12 sociétés savantes américaines qui, à partir de 500 000 coronarographies et de données cliniques, ont établi un score de 1 à 10 pour déterminer s’il est justifier ou non d’utiliser une coronarographie, une angioplastie ou une chirurgie.

Des travaux ont montré que le taux de procédures appropriées a progressé grâce à cette classification, passant de 30 à 50% entre 2009 et 2014. Dans le même temps, les procédures inappropriées ont chuté de 25 à 10% [12].

 

 

Le Pr Augusto Pichard a déclaré des liens d’intérêts avec le laboratoire Abbott.

 

 

 

 

 

 

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