Paris, France – L'exposition des enfants aux écrans est de plus en plus prégnante. Mais que peut-on recommander à un médecin, à ses patients, et sur quelles bases scientifiques s’appuyer ? Cette problématique a fait l'objet d'une session lors du dernier Congrès de l'Encéphale [1]. Les écrans ne seraient pas intrinsèquement nocifs, mais les experts alertent sur les usages excessifs et les contenus discutables. Quand le bon sens prévaut sur les fantasmes... Une mise au point qui intervient au moment où le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) publie son rapport et ses recommandations sur les effets de l’exposition des enfants et des jeunes aux écrans [2].
Des recommandations assouplies avec le temps
En passant en revue les différentes recommandations établies depuis plus de dix ans, la Dr Nathalie Franc (pédopsychiatre, CHU Montpellier) a montré comment les écrans commençaient à peine à être dédiabolisés. La règle des 3-6-9, autrement dit pas d'écran avant 3 ans, pas de jeux vidéos avant 6 ans et pas d'Internet avant 9 ans, a fait long feu. Etablie par le psychiatre Serge Tisseron, et considérée « sans fondement scientifique » a insisté Nathalie Franc, cette règle était trop « rigide » et donc « impraticable ». « Les balises avec des âges précis sont obsolètes. Les experts conviennent qu'il est difficile de poser des limites d'âge sensées, notamment dans le cas des fratries » explique-t-elle.
Aussi en 2013, l'Académie des Sciences aborde-t-elle la question différemment [3], avec plus de souplesse. Si ses experts recommandent une absence d'exposition pour les enfants de moins de 2 ans, ils préconisent, chez les 2 / 12 ans, de limiter les périodes devant les écrans et de privilégier de larges moments sans. Pour les adolescents, ils en appellent à la vigilance des parents qui doivent surveiller l'isolement et/ ou la violence de leur enfant, son inactivité physique et la prise de poids qui peut en résulter. Ils insistent sur la communication parents-enfants, qui fait d’ailleurs l’objet de campagnes de prévention du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
Pour le Dr Franc, « le premier document de référence, car le premier à être issu d'une analyse rigoureuse de la littérature scientifique, provient de l'Académie américaine de pédiatrie qui a publié ses recommandations en 2016 [4]». L'AAP insiste sur une gestion familiale des médias, autrement dit une intégration des écrans au sein de la famille avec l'établissement de règles communes à chacun de ses membres, y compris les parents.
Enfin, en 2017, le Groupe de pédiatrie générale, membre de la Société française de pédiatrie, a lui aussi émis des recommandations [5]. Cela dit, à la différence des recommandations américaines qui s'appuient sur des travaux scientifiques, les françaises résultent d’une concertation entre 750 professionnels de santé autour de cette thématique.
Cinq conseils à retenir
Comprendre les écrans sans les diaboliser. « C'est intéressant de savoir ce qu'il se passe avec les écrans. Par exemple, le jeu vidéo Fortnite se joue en équipe. Donc évidemment si les parents interrompent le jeu, ils pénalisent toute l'équipe. C'est sûrement ça qui contrarie l'adolescent » explique le Dr Franc. La réaction de l'enfant n'est pas dans la majorité des cas à mettre sur le compte d'une addiction.
Des écrans dans les espaces de vie collective, pas dans les chambres ;
Du temps sans écran (repas, coucher) ;
Oser et accompagner la parentalité pour les écrans ;
Prévenir l'isolement social.
Que dit aujourd'hui le HCSP ? En clair, il reprend les grandes lignes du Groupe de pédiatrie général. Il recommande « un accompagnement des enfants à l'utilisation des écrans et l’interdiction des écrans aux enfants de moins de 3 ans, lorsque les conditions d'accompagnement ne sont pas réunies. Avant 5 ans, il est recommandé de ne pas exposer l'enfant à des écrans diffusant des images en 3D. Quel que soit l'âge de l'enfant et de l'adolescent, la présence d'écran(s) dans la chambre est à interdire. Aucun écran ne doit être allumé et/ou utilisé une heure avant l'endormissement. »
On retrouve aussi la notion d' « utilisation régulée » avec la nécessité de trouver « un équilibre entre autorisation et interdiction pour consacrer du temps aux autres activités ».
Parents et encadrants doivent être capables de « repérer les signes d'alerte d'une utilisation excessive des écrans et demander aide et conseil à celles et ceux qui connaissent les risques du numérique », considère le HCSP.
Quels sont les « take home » messages ?
Nathalie Franc a conclu son intervention par une liste d'enseignements à retenir :
Intérêt démontré pour le sommeil à arrêter les écrans une heure avant le coucher ;
Importance de sanctuariser des temps familiaux sans écran ;
Favoriser une communication ouverte et non « diabolisante » à propos des écrans entre parents et enfants ;
Nécessité, en tant qu'adulte, à réfléchir à son propre modèle de consommation des écrans.
Corrélation ne fait pas causalité
Invité à apporter un regard éclairé sur les publications qui établissent des corrélations entre l'exposition aux écrans et différents comportements (sommeil, apprentissage, acquisition du vocabulaire, prise de poids...), Franck Ramus, professeur au laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique à l'Ecole normale supérieure, insiste sur le fait que mettre en évidence une association ne renseigne pas sur la causalité. Or, il constate que c’est le cas lors de la médiatisation de études concernant les écrans auprès du grand public. De ce fait, l'exposition aux écrans est accusée de tous les maux. Mais le chercheur indique qu'il serait pertinent d'aborder le problème différemment. « Si les enfants avec de faibles capacités cognitives ou un moindre langage ou encore avec un TDAH étaient ceux qui étaient le plus exposés aux écrans ? Et non pas l'inverse » interroge-t-il. En somme, plutôt qu’établir un lien de causalité, il propose d'envisager des interprétations alternatives. En outre, il rappelle aussi que de nombreux facteurs ont un impact sur les capacités cognitives des enfants, tels que son sexe, son rang dans la fratrie, le niveau socio-économiques de ses parents... Par exemple, une étude de 2019 s'est intéressée à l'impact du numérique sur le bien-être des adolescents [6]. « Une association négative a, en effet, été mise en évidence mais elle est miuscule. Le numérique a le même effet que de se sentir un peu gros mais un effet nettement inférieur à celui d'être harcelé ou de consommer cannabis et alcool », commente-t-il.
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Citer cet article: Ecrans chez les enfants : tour d'horizon des recommandations - Medscape - 10 févr 2020.
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