Quelle est la prévalence de l’obésité pédiatrique en France ? Comment s’organise la prise en charge ? Quid de la chirurgie bariatrique ? Tour d’horizon avec Jean-Claude Carel et Boris Hansel.
TRANSCRIPTION
Boris Hansel — Bonjour et bienvenue sur Medscape pour une émission consacrée à l’obésité pédiatrique. Quand on regarde les cours d’école, nos enfants, on constate un excès de poids de plus en plus fréquent. On va faire le point sur la fréquence de ce problème de santé et sur les traitements qui sont actuellement disponibles. Pour cela, nous sommes avec le Pr Jean-Claude Carel, qui est chef de service de diabétologie-endocrinologie à l’hôpital Robert-Debré, à Paris. Dr Carel, vous coordonnez également le CINFO (Centre Intégré Nord Francilien de l’Obésité), un des centres intégrés qui a une grande responsabilité qui est l’organisation des soins, de la recherche, de l’enseignement et de la communication dans le domaine de l’obésité.
Les chiffres sont alarmants : l’étude Esteban par exemple, qui a été menée entre 2014 et 2016, montre que 17 % des enfants entre 6 et 17 ans sont atteints d’excès pondéral et 4 % des enfants de cette tranche d’âge sont véritablement atteints d’obésité.
Il y a un autre chiffre intéressant, qui est antérieur mais important à retenir : un tiers des enfants qui sont en excès de poids à l’âge de la maternelle restent en excès de poids à l’âge où ils sont en troisième, donc quand ils grandissent.
On a aussi des chiffres qui sont théoriquement rassurants, mais je voudrais en avoir la confirmation : l’augmentation se serait atténuée ; c’est-à-dire que l’augmentation de la prévalence de l’obésité chez l’enfant diminuerait. Est-ce vrai ?
Jean-Claude Carel — Il est clair que, peut-être contrairement à ce qu’on observe aux États-Unis où la prévalence de l’obésité continue à augmenter que ce soit chez l’adulte ou chez l’enfant, en Europe et en France en particulier, si on regarde les choses de façon un peu globale les chiffres de l’obésité sont effectivement relativement rassurants en termes de stabilisation de cette augmentation, mais avec une prévalence qui reste, comme vous l’avez dit, extrêmement élevée.
Boris Hansel — Donc vous dites bien que c’est la courbe d’augmentation qui s’atténue, ce n’est pas qu’il y a moins d’obésité qu’il y a 10 ans.
Jean-Claude Carel — Voilà. Après, il y a deux éléments qui sont quand même importants pour tempérer cet optimisme relatif. Le premier est que les obésités sévères et très sévères, qui sont finalement l’apanage du centre intégré, des centres spécialisés comme le nôtre, continuent à augmenter et on voit des obésités extrêmement sévères chez les enfants et chez les adolescents que l’on ne voyait pas avant… même si on n’a pas forcément des chiffres, clairement ils augmentent.
La deuxième chose est que les statistiques globales sur cette prévalence peuvent être un peu trompeuses par rapport aux statistiques régionales, et en particulier en fonction du niveau socio-économique des populations et dans des environnements défavorisés —puisqu’on sait très bien que la précarité, les conditions socio-économiques difficiles sont des facteurs de risque absolument majeurs pour l’obésité, même si on n’a pas tous les chiffres et toutes les statistiques…
Boris Hansel — C'est une maladie qui est grave/fréquente dans les populations défavorisées...
Jean-Claude Carel — Elle est grave et il est clair qu’elle continue à augmenter dans ces populations. C’est-à-dire qu’effectivement, dans les milieux plus favorisés, il y a un plateau. Au moins, même si cela ne s’atténue pas, cela n’augmente plus. En revanche, dans les populations défavorisées, qui du coup vont être plus ou moins prévalentes en fonction de là où on exerce son métier — ce qui est le cas dans le nord de l’Ile-de-France où nous travaillons — cela s’aggrave.
Boris Hansel — On parle de maladie parce que l’obésité a des retentissements importants. On dit souvent que c’est la sédentarité, le temps passé devant les écrans… Est-ce qu’aujourd’hui on peut dire que la cause de l’obésité infantile reste la sédentarité et la malbouffe ?
Jean-Claude Carel — L’obésité est typiquement une maladie multifactorielle et, en dehors de très rares cas dans lesquels on peut identifier une cause spécifique de l’obésité…
Boris Hansel — Comme une maladie génétique sévère...
Jean-Claude Carel — … l’obésité est clairement quelque chose qui est multifactoriel. Il y a donc à la fois des terrains favorisants sur le plan génétique et des populations qui sont plus à risque sur le plan génétique, ou des individus ou des familles sont plus à risque que d’autres. Et puis il y a des facteurs d’environnement qui sont extrêmement importants. Certains qu’on comprend assez bien, comme le temps passé devant les écrans, encore qu’il n’est pas forcément causal, la malbouffe, l’activité physique, etc.
Boris Hansel — Mais vous dites qu’il n’y a pas que ça et qu’on ne sait pas tout.
Jean-Claude Carel — Pour moi, il y a d’autres facteurs. Il est clair que l’environnement dans lequel on vit, au sens relativement large, est un facteur très important, et des situations comme le stress social dans lequel on est, contribuent sûrement à favoriser l’obésité.
Boris Hansel — On comprend donc que l’obésité est une maladie, d’abord environnementale, et avec une susceptibilité génétique (tout le monde ne deviendra pas obèse).
Alors comment la prendre en charge ? Vous allez nous dire : « il faut mettre en place des mesures diététiques, de l’activité physique. » Mais aujourd’hui, en pédiatrie, est-ce qu’on prend en charge l’enfant ou les parents ? Puisque ce sont les parents qui éduquent les enfants...
Jean-Claude Carel — Plusieurs points. Le premier est que la prise en charge de l’obésité chez un enfant est avant tout la prise en charge de son environnement familial. Il y a de nombreuses études qui montrent que, par exemple, si on essaie de faire de l’éducation thérapeutique et d’apprendre des choses à des enfants d’âge scolaire sans passer, en même temps, par leurs parents, cela ne sert strictement à rien, et que tout ce qui est éducation thérapeutique, formation, doit cibler bien sûr les enfants, mais avant tout les parents.
Boris Hansel — Question très précise : si on prend en charge les parents, est-ce que cela fonctionne ? Est-ce qu’on peut ralentir la prise de poids d’un enfant obèse ?
Jean-Claude Carel — Tout dépend des objectifs. Si l’objectif de prise en charge d’un enfant obèse est de ramener rapidement son index de masse corporelle dans la zone dite normale, on peut dire que la prise en charge ne fonctionne pas.
Boris Hansel — Mais pour empêcher l’aggravation, ça marche ?
Jean-Claude Carel — Si l’objectif est de stabiliser son index de masse corporelle sur une courbe qui va l’amener, plus tard à l’âge adulte, à avoir un index de masse corporelle dans la zone normale, ou dans la zone de surpoids s’il était en obésité sévère, cela peut marcher. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que l’enfant est évidemment un organisme en développement et qu’il y a une fenêtre d’opportunité chez l’enfant pour intervenir à une phase où l’obésité n’est pas encore fixée, comme elle le sera chez un adulte. Donc il faut agir tôt et agir en phase dynamique de l’obésité, qui est une phase où on peut agir. Après, dire que cela marche à tous les coups serait évidemment totalement faux.
Boris Hansel — Autre question : est-ce que l’éducation à l’école fonctionne ? Parce qu’on entend dire « il faut faire l’éducation à l’école. » Mais est-ce que la littérature scientifique montre que c’est efficace ?
Jean-Claude Carel — Il y a des données randomisant, tirant au sort entre des écoles où on intervient et des écoles où on n’intervient pas, dans lesquelles effectivement, il y a une véritable efficacité d’une intervention un peu large au niveau des écoles. Après, il ne faut pas imaginer que chacune de ces interventions va donner des résultats importants. Mais… cela peut faire partie des mesures qui vont aider.
Boris Hansel — Troisième question : il y a des cas où on envoie les enfants dans des cures où on va leur apprendre à manger, on va leur apprendre à faire du sport. On les envoie pendant trois semaines — et c’est d’ailleurs remboursé par l’assurance-maladie. Est-ce que ça marche ?
Jean-Claude Carel — À très court terme, ça marche. C’est-à-dire que les enfants qui vont dans ces centres perdent beaucoup de poids, et très rapidement… Après, non seulement cela ne marche pas, mais cela empire. Donc pour nous, c’est une mode thérapeutique…
Boris Hansel — Vous ne recommandez donc pas ce type de prise en charge.
Jean-Claude Carel — Non seulement on ne recommande pas, mais on recommande de ne pas les utiliser… nous sommes extrêmement défavorables à la prise en charge des enfants dans ce type de centres.
Boris Hansel — Y-a-t-il des médicaments chez l’enfant ?
Jean-Claude Carel — Il n’y a, évidement, pratiquement pas de médicaments chez l’enfant. Il y a quelques situations qui sont rarissimes, qui sont dans des obésités extrêmement sévères, dans des maladies génétiquement bien précises, donc on est vraiment dans de la médecine personnalisée, dans laquelle il y a des médicaments. Donc quelqu’un qui a, par exemple, un déficit en POMC, on peut le traiter par le setmélanotide.
Boris Hansel — Mais ce sont des cas exceptionnels, des obésités majeures.
Jean-Claude Carel — Voilà. Quelqu’un qui a une mutation dans le gène de la leptine, on peut le traiter par la leptine. Mais ce sont des cas totalement exceptionnels. En dehors de ça, il n’y a pas d’indication.
Boris Hansel — Un dernier mot sur la chirurgie bariatrique : est-ce qu’aujourd’hui elle peut être proposée, là encore, dans des obésités massives avant les 18 ans ?
Jean-Claude Carel — Dans de rares cas. Il y a un peu moins d’une centaine d’adolescents, qui sont globalement des grands adolescents entre 15 et 18 ans, qui sont opérés en France, donc c'est finalement très peu par rapport à la prévalence de l’obésité. Dans des situations très particulières d’obésité vraiment massive, et en particulier quand ils ont des comorbidités, des conséquences — ce n’est pas juste l’obésité pour l’obésité — sur la santé qui sont majeures, je pense qu’on peut légitimement, à titre vraiment très exceptionnel, si évidemment tout le reste de la prise en charge a échoué, envisager dans des équipes très spécialisées, la chirurgie bariatrique.
Boris Hansel — Mais ce que vous voulez dire, c’est qu’il ne faut pas qu’il y ait une perte de chance, c’est-à-dire que si jamais un enfant peut bénéficier de cette chirurgie, il faudrait qu’il soit adressé rapidement pour une prise en charge multidisciplinaire et qu’on ne dise pas « il n’y a rien à faire » et le laisser s’aggraver.
Jean-Claude Carel — Bien sûr.
Boris Hansel — Pour terminer, très concrètement, pour des médecins généralistes, pour des pédiatres : quand adresse-t-on un enfant à une équipe spécialisée pour la prise en charge de l’obésité ? Parce qu’on a dit que 17 % des enfants sont en surpoids, 4 % des enfants sont obèses. Est-ce qu’on envoie tous ces enfants en surpoids très tôt pour éviter l’aggravation ? Sur quels critères vous recevez ces patients ?
Jean-Claude Carel — L’obésité de l’enfant est vraiment un archétype de gradation des soins dans lequel cette gradation des soins devrait s’appliquer et dans lequel des médecins spécialisés en dehors des centres pour les obésités très sévères doivent prendre en charge les obésités modérées ; et donc c’est le travail du médecin généraliste que de prendre en charge les surpoids.
Boris Hansel — Vous les formez ?
Jean-Claude Carel — Nous les formons. Il y a des réseaux de médecins libéraux, comme par exemple le REPPOP [Réseau de Prévention et de Prise en charge de l’Obésité Pédiatrique], qui prennent en charge les enfants en surpoids ou en obésité modérée. Et les centres comme le nôtre sont là pour prendre en charge les obésités sévères. Ce que j’appelle obésité sévère, ce sont des obésités dont le niveau d’IMC correspond, chez l’adulte, à plus de 35 ou plus de 40.
Boris Hansel — Vous dites chez l’adulte parce que c’est adapté à la taille et qu’on regarde le carnet de santé.
Jean-Claude Carel — Effectivement, ce que les médecins ne savent souvent pas bien, c’est que l’IMC chez l’enfant suit une courbe qui est un peu compliquée, avec le rebond d’adiposité, etc., et qu’il faut, pour pouvoir diagnostiquer et suivre une obésité chez un enfant, avoir des courbes d’IMC en fonction de l’âge avec des niveaux d’obésité qui permettent de suivre et de dire « celui-là, à six ans, il a un IMC qui correspond à 45 pour un adulte… ».
Boris Hansel — Est-ce sur le carnet de santé ?
Jean-Claude Carel — Ce n’est pas sur le carnet de santé, c’est sur le site internet du REPPOP, le site internet du CINFO, le site internet du service… Et on peut trouver ces courbes que nous avons été obligées de redessiner et qui, finalement, permettent d’orienter le médecin sur le niveau de sévérité, parce que ces courbes ne sont pas aussi disponibles qu’elles devaient l’être.
Boris Hansel — Terminons donc sur cette note :
- dépistage
- diagnostic de l’obésité sévère, modérée ou surpoids
- réseaux de soins, et si obésité sévère, on envoie rapidement à une équipe spécialisée pour atténuer cette maladie.
Merci beaucoup et à très bientôt sur Medscape.
Enregistré le 17 janvier 2020, à Paris
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Citer cet article: Obésité pédiatrique : comment s’organise la prise en charge ? - Medscape - 6 mars 2020.
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