Dans cette première partie consacrée à la NASH, Laurent Castera et Boris Hansel font le point sur la définition, l’épidémiologie et le diagnostic de cette « maladie du foie gras », hépatopathologie de plus en plus fréquente en France.
(Voir également la partie 2 : « Prise en charge de la NASH »)
TRANSCRIPTION
Boris Hansel — Bonjour et bienvenue sur Medscape. Aujourd’hui nous allons discuter de l’actualité de la NASH [Non-Alcoholic SteatoHepatitis]. Les médias l’ont récemment renommée la « maladie du soda », une pathologie qui est en grande partie liée à notre hygiène de vie et qui peut évoluer vers la cirrhose. Nous sommes avec le Pr Laurent Castera, hépatologue en charge de l’unité de prise en charge de la maladie métabolique du foie – un terme générique pour parler de la NASH, mais pas que.
Épidémiologie
Boris Hansel — Tout d’abord, la NASH, est-ce fréquent aujourd’hui ? J’ai entendu dire, de la part de certains hépatologues, que c’était extrêmement fréquent, et surtout, que c’était devenu la première cause de cirrhose, devant l’alcool. Vrai ou faux ?
Laurent Castera — C’est la première cause de maladie du foie, on va dire. On estime que 20 % à 25 % de la population générale adulte est atteinte, non pas de NASH, mais ce qu’on appelle la NAFLD [Non-Alcoholic Fatty Liver Disease], c’est-à-dire la stéatopathie métabolique ou « le foie gras ».
Boris Hansel — Revenons, justement, sur ces termes. C’est extrêmement important de faire la différence parce que la stéatose, le foie gras, qui touche pratiquement toutes les personnes en excès pondéral — quand on fait les échographies, on nous dit « foie hyperéchogène, foie gras ». La cirrhose, c’est beaucoup plus rare, donc comment on passe du foie gras à la cirrhose ?
Laurent Castera — Il y a plusieurs étapes. Il y a le foie gras [NAFLD], ensuite il y a ce qu’on appelle la fameuse NASH…
Boris Hansel — …donc la stéatohépatite non alcoolique, c’est-à-dire chez des gens qui ne boivent pas d’alcool.
Laurent Castera — En théorie, ce sont des gens qui ne boivent pas d’alcool, et donc cela veut dire « gras et inflammation ». Et quand on a du gras et de l’inflammation, on fait de la fibrose, c’est-à-dire des cicatrices, avec le risque de développer une cirrhose. Pour vous donner des chiffres, c’est à peu près 10 % des patients atteints de foie gras qui sont à risque de faire une NASH.
Boris Hansel — Donc la stéatose qui est très fréquente — chez pratiquement toutes les personnes en excès pondéral — peut évoluer vers une stéatohépatite non alcoolique dans 10 % des cas…
Laurent Castera — À peu près. Et parmi ces 10 %, il y en a 10 % encore qui vont développer une cirrhose.
Boris Hansel — Donc 1 % des stéatoses évolueront probablement vers la cirrhose.
Laurent Castera — Voilà. Si on met ça à l’échelle de la France, on estime qu’il y a à peu près 300 000 patients qui ont une fibrose sévère ou une cirrhose.
Diagnostic
Boris Hansel — J’ai entendu dire — c’est un peu polémique — certains disent « la NASH n’existe pas, on est en train de créer une nouvelle maladie. » Alors, on connaît cet argument, de dire que cela va favoriser l’émergence de nouveaux médicaments. La NASH est-ce une vraie maladie ou une maladie inventée ?
Laurent Castera — C’est une vraie maladie. La difficulté est qu’il n’y a pas de marqueur diagnostic simple comme dans l’hépatite C, il n’y a pas de test pour la NASH. Les transaminases, par exemple, sont un mauvais marqueur. 70 % à 80 % des patients qui ont une stéatopathie métabolique ont des transaminases normales...
Boris Hansel — Comment fait-on le diagnostic ? Vous me dites qu’il n’y a pas de marqueur fiable ; cliniquement on peut peut-être palper un gros foie, mais ce n’est pas très spécifique.
Laurent Castera — Cela fait longtemps que les hépatologues ne palpent plus les foies.
Boris Hansel — Alors là, vous m’apprenez quelque chose !
Laurent Castera — C’est un signe très spécifique, mais très peu sensible. 5 % des malades atteints de cirrhose ont un foie dur à bord inférieur tranchant.
Donc le diagnostic se fait le plus souvent à l’échographie, avec la mise en évidence d’un foie gras et le challenge, en pratique, est d’identifier les patients qui ont une fibrose sévère ou une cirrhose. Pourquoi ? Parce que ce sont ceux qui sont à risque de développer des complications. Et, notamment, la mortalité, qu’elle soit liée aux maladies du foie ou cardiovasculaire, est liée à la présence d’une fibrose avancée ou d’une cirrhose.
Boris Hansel — Et l’échographie, avec certaines techniques, permet de le mesurer ?
Laurent Castera — Non. L’échographie, là encore, et un bon examen, mais qui n’est pas du tout sensible. Spécifique quand il y a des signes de cirrhose, mais il va y avoir 10 % à 20 % maximum des patients atteints de cirrhose qui ont ces signes. Donc c’est un examen peu sensible.
Boris Hansel — Donc c’est là que, pour mesurer la fibrose, on utilise des techniques comme l’élastométrie ?
Laurent Castera — Absolument. Ce sont des techniques qui ont été développées depuis les 10 à 15 dernières années — la mesure d’élasticité hépatique par un appareil qui s’appelle le fibroscan et qui permet, effectivement, de quantifier cette fibrose. C’est le diagnostic-minute de la cirrhose.
Boris Hansel — Élastométrie parce que – je vais être très basique — plus c’est élastique, ou moins c’est élastique, plus c’est fibrosé, c’est ça ?
Laurent Castera — Tout à fait. En gros, plus le foie est dur, plus on est à risque d’avoir une cirrhose. C’est l’élasticité au sens physique.
Boris Hansel — Et « examen-minute » parce que cela se fait rapidement et que c’est ce qu’on doit faire en routine quand on suspecte une hépatopathie métabolique ?
Laurent Castera — Absolument. Pendant 50 ans, les hépatologues ont fait des biopsies du foie. La biopsie reste l’examen de référence, notamment pour le diagnostic de NASH. Par contre, le fibroscan ou la mesure d’élasticité hépatique est maintenant dans toutes les cliniques d’hépatologie et tous les services d’hépatologie en consultation, au lit du malade. Les résultats sont immédiats — c’est ce qu’on appelle du point of care — et on peut savoir s’il y a une cirrhose ou pas.
Boris Hansel — On verra dans une deuxième émission la démarche diagnostique, quand est-ce qu’il faut demander ces examens, mais un mot de la biologie : vous nous dites que les transaminases peuvent être normales alors qu’il y a déjà une NASH…
Laurent Castera — Absolument, et y compris une cirrhose. Il n’y a pas de corrélation entre la gravité de l’atteinte hépatique et l’élévation des transaminases.
Boris Hansel — On a fait longtemps des bouquets d’examens biologiques, des NASH-tests, des fibrotests, qui étaient prédictifs de l’existence d’une NASH. Cela se fait-il encore ?
Laurent Castera — Le fibrotest, qui a été un des pionniers dans l’évaluation non invasive de la fibrose, essentiellement dans l’hépatite C, est utilisé dans la NASH, mais beaucoup moins validé. Mais c’est un test payant, donc qui peut aussi limiter son accès en pratique.
Boris Hansel — Donc on verra quand est-ce qu’on le prescrit, quand est-ce qu’on va directement à la biopsie, peut-être dans certains cas — vous me direz ça dans la seconde émission.
Revenons sur cette appellation de « maladie du soda » qui est utilisée par les médias. Pourquoi ce terme-là ? Est-ce que ce sont les boissons sucrées qui donnent la NASH… ?
Laurent Castera — Non. Je n’aime pas tellement ce terme parce que c’est un peu réducteur. Je dirais plutôt la « maladie du foie gras ». La « maladie du soda » est réducteur parce qu’effectivement c’est une maladie liée à la malbouffe, mais dans la malbouffe il n’y a pas que les sodas. Il y a les sucres ajoutés, les graisses, donc les sodas y participent, mais il n’y a pas que les sodas. Ce n’est pas parce qu’on arrête les sodas qu’on va guérir sa stéatopathie métabolique…
Boris Hansel — Vous faites allusion au sucre. À vrai dire, comment fait-on du foie gras ? On gave des oies avec du maïs et des glucides et on les met dans des cages pour ne pas qu’elles bougent. Donc c’est beaucoup de sucre et de la sédentarité… Et c’est pareil chez l’homme.
Laurent Castera — Exactement. Et avec l’utilisation croissante des écrans, comme vous le savez, cela favorise aussi la sédentarité et cette maladie.
Boris Hansel — On parle de mesures hygiénodiététiques, mais tout le monde ne fait pas une NASH, même avec un excès de poids. Cela veut dire qu’il y a une susceptibilité génétique à faire une NASH, il y a une origine génétique à la NASH.
Laurent Castera — Oui. Comme toujours, dans toutes les maladies, et dans les maladies du foie en particulier, il y a une susceptibilité génétique. Quand on boit de l’alcool, tout le monde ne va pas développer une cirrhose à quantité d’alcool égale. Là c’est pareil. Et il y a des polymorphismes, notamment sur certaines protéines. Sans rentrer dans les détails, une protéine qui s’appelle l’adiponutrine, qui joue un rôle important dans le risque de développer du foie gras.
Boris Hansel — Et on pourrait imaginer, avec une étude génétique, évaluer, prédire le risque, éventuellement, de développer la NASH.
Laurent Castera — On n’en est pas encore à ce stade. Ce n’est pas passé dans la routine.
Boris Hansel — Merci beaucoup, Laurent Castera, et on vous retrouve dans une autre émission pour parler de la prise en charge de l’hépatopathie métabolique. Quand faire des examens, quel traitement peut-on donner aujourd’hui, quel traitement on pourra donner demain. À suivre…
Enregistré le 17 janvier 2020, à Paris
(Voir la partie 2 : « Prise en charge de la NASH »)
Prise en charge de la NASH
Cirrhose sur foie gras : la nouvelle hantise des hépatologues
Quantifier la fibrose du tissu adipeux pour prévenir la stéatose hépatique non alcoolique?
Deux fois plus de décès chez les diabétiques de type 2 avec un foie gras
De la stéatose à la NASH: comment détecter et suivre les patients à risque ?
Foie gras : chez les femmes atteintes de NAFLD le risque CV rejoint celui des hommes
Medscape © 2020 WebMD, LLC
Les opinions exprimées dans cet article ou cette vidéo n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement celles de WebMD ou Medscape.
Citer cet article: L’actualité de la NASH : définition, épidémiologie et diagnostic - Medscape - 21 févr 2020.
Commenter