Paris, France -- Comment gérer le traitement par anticoagulants oraux directs (AOD) chez les patients qui vont bénéficier d’une chirurgie programmée? Au cours du congrès des Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC2020), deux situations distinctes ont été évoquées: d’un côté, la chirurgie à risque hémorragique et, de l’autre, la procédure très particulière de l’ablation de la fibrillation atriale (FA), qui comporte aussi un risque élevé de thrombose [1,2].
A quel moment faut-il suspendre le traitement par AOD avant un acte chirurgical à risque hémorragique? Quand peut-on le reprendre? Ces questions, tous les anesthésistes, chirurgiens et cardiologues se les posent systématiquement avant toute opération sur un patient sous anticoagulant. Dans ses recommandations sur la gestion préopératoire des patients sous AOD, le Groupe d’intérêt en hémostase péri-opératoire (GIHP) a apporté des réponses très claires [3].
Tout d’abord, avant d’envisager une interruption du traitement, il faut pouvoir évaluer le risque hémorragique par rapport au risque thrombotique, ce qui implique d’avoir une discussion précise entre l’équipe chirurgicale et le cardiologue, a indiqué le Pr Anne Godier (Hôpital européen Georges Pompidou, AP-HP, Paris), au cours de sa présentation.
Jusqu’à cinq jours d’arrêt de traitement
La décision d’arrêter les AOD, en choisissant des délais d’interruption préopératoire plus ou moins longs, ou de les maintenir dépend du niveau de risque hémorragique associé à l’intervention chirurgicale, mais aussi du type d’anticoagulant utilisé, a rappelé la cardiologue. La fonction rénale, qui participe à l’élimination des anticoagulants est également prise en compte.
Lorsqu’il s’agit d’une intervention à faible risque hémorragique (chirurgie cutanée, chirurgie de la cataracte…), il est recommandé de ne pas prendre l’anticoagulant la veille au soir de l’opération et le matin même. En l’absence d’événements hémorragique, le médicament peut être repris au moins six heures après l’intervention.
Avant un acte invasif à risque hémorragique élevé, les délais d’arrêt de traitement préopératoire tiennent compte de la clairance de la créatinine, de l’âge et des éventuelles interactions médicamenteuses susceptibles d’augmenter les taux plasmatiques en AOD.
Concernant le rivaroxaban, l’apixaban et l’edoxaban, le schéma d’interruption proposé est le même, compte tenu des similitudes en termes de pharmacocinétique entre ces anticoagulants. Etant éliminés partiellement par les reins, la dernière prise doit se faire à J-3 avant l’opération pour une clairance > 30 mL/min (formule de Cockcroft).
Pas de relai avec l’héparine
Dans le cas du dabigatran, son élimination est principalement rénale. Le traitement est donc à stopper à J-4 pour une clairance ≥ 50 mL/min ou à J-5 pour une clairance comprise entre 30 et 50 mL.
Pour les procédures à très haut risque (neurochirurgie intracrânienne, ponctions neuraxiales…), qui impliquent une concentration nulle en anticoagulant, les AOD doivent être interrompus à J-5. Si une accumulation ou une élimination prolongée est suspectée, une mesure du taux plasmatique peut être envisagée.
Afin de ne pas augmenter le risque hémorragique, le relai par héparine (héparine non fractionnée ou de bas poids moléculaire) n’est pas recommandé. Pour le Dr Godier, il s’agit d’une pratique à abandonner. En effet, comme pour les AVK, il a été démontré que le relai par héparine augmente le risque hémorragique, sans effet bénéfique sur les thromboses [4,5].
Après un geste à haut risque hémorragique, la reprise des AOD se fait à dose prophylactique dans un délai d’au moins six heures. Dès que l’hémostase le permet, l’anticoagulation aux doses normales peut être envisagée entre 24 et 72 heures en post-opératoire.
Ablation de FA: maintenir l’anticoagulation
Le Dr Anne-Céline Martin (Hôpital européen Georges Pompidou, AP-HP, Paris) est venue ensuite exposer le schéma à suivre dans le cas d’une procédure d’ablation par fibrillation atriale, associée à un risque à la fois hémorragique et thrombotique.
Au cours de l’opération, la ponction de la veine fémorale, puis le cathétérisme trans-septal, permettant de franchir le septum entre les deux oreillettes du coeur, expose à un risque hémorragique. Ensuite la procédure d’ablation en elle-même induit une activation de la coagulation associée à un risque d’accident cardiovasculaire non négligeable.
Ainsi, « pour une ablation de FA, il est nécessaire d’avoir une anticoagulation optimale avant, pendant et après l’opération », a souligné la cardiologue. Selon les recommandations de 2018 de l’European Heart Rhythm Association (EHRA), le traitement par AOD peut être interrompu « par défaut » 12 heures avant l’opération. Le délai peut être allongé à 24 heures chez les patients à risque thrombotique plus faible ou, à l’inverse, raccourci pour ceux davantage à risque (jusqu’au jour de l’opération) [6].
L’intervention impose non seulement de poursuivre le traitement par AOD quasiment jusqu’à l’ablation, mais aussi, dans ce cas particulier, d’effectuer un relai avec de l’héparine, dont la posologie doit être ajustée en fonction du temps de coagulation activé (ACT). La valeur cible d’ACT se situe au dessus de 300 secondes.
Des recommandations prudentes
Ce schéma a été validé dans plusieurs essais qui ont comparé une interruption des AOD de 12 à 30 heures avant l’opération, suivie d’un relai avec l’héparine, au schéma standard avec AVK. Appliqué dans cette indication avant l’arrivée des AOD, celui-ci consiste à maintenir le traitement par AVK avec un contrôle de la coagulation péri-opératoire par administration d’héparine.
La cardiologue rappelle que des essais randomisés plus récents ont aussi validé le maintien des AOD jusqu’à l’opération (dernière prise le matin même), mais la quantité d’héparine nécessaire ensuite pour atteindre un ACT>300 secondes est variable d’un AOD à l’autre. Ces travaux ont donc amené à remettre en question le contrôle du niveau de coagulation sous AOD par l’ACT, a-t-elle expliqué.
Alors qu’un consensus d’experts internationaux a recommandé en 2017, à la suite de ces études randomisées, de maintenir le traitement par dabigatran et par rivaroxaban jusqu’à l’ablation de FA, les dernières recommandations européennes se veulent finalement plus prudentes en préconisant une interruption des AOD peu avant l'opération, note le Dr Martin [7].
Au cours de l’ablation, ces recommandations préconisent toujours d’administrer l’héparine en visant un ACT>300 secondes. L’héparine de bas poids moléculaire peut aussi être envisagée, a précisé l’oratrice. Le traitement par AOD est repris 3 à 5 heures après le retrait des cathéters, en s’assurant qu’il n’y a pas d’hématome aux points de ponction, ni épanchement péricardique.
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Citer cet article: Quelle gestion des AOD avant et pendant une chirurgie programmée ? - Medscape - 4 févr 2020.
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