Paris, France -- Ayant fait la preuve incontestable de son efficacité pour diminuer les exacerbations des maladies chroniques respiratoires, considérée comme sûre et largement prescrite, l'azithromycine n’est pourtant pas un médicament anodin. Outre un risque accru de complications cardio-vasculaires, l'azithromycine est aujourd'hui pointée du doigt pour d'autres effets néfastes par le Groupe pour la Recherche et l'Enseignement en Pneumo-Infectiologie (GREPI) de la Société Française de Pneumologie (SPLF). Le Pr Anne Bergeron-Lafaurie (pneumologue, Hôpital Saint-Louis, Paris), préconise de peser le bien-fondé de toute prescription, en évaluant la balance bénéfice-risque [1].
Une efficacité incontestée
L'azithromycine est un antibiotique présentant des effets anti-inflammatoires et immunomodulateurs au niveau des bronchioles. Elle est utilisée en pneumologie pour la prévention des exacerbations chez les patients atteints de mucoviscidose, de BPCO, d'asthme ou encore de dilatation des bronches (DDB).
« Indiscutablement, ce macrolide diminue la fréquence des exacerbations. C'est aujourd'hui clairement démontré grâce à plusieurs grandes études, notamment l'étude EMBRACE » rappelle la Pr Bergeron-Lafaurie, interrogée par Medscape édition française.
Bien que l'AMM indique une prescription maximale de 14 jours, de nombreux articles, publiés encore régulièrement aujourd'hui, mettent en évidence des effets bénéfiques de l'azithromycine donné à petite dose au long cours, de quelques mois jusqu'à 24 mois.
Des signaux d'alerte des agences de santé
Mais en dépit de ses effets bénéfiques prouvés, depuis 2011, l’azithromycine a fait l’objet de plusieurs alertes de pharmacovigilance de la part des autorités de santé avec mentions de complications cardiovasculaires, pro-tumorales mais aussi auditives et de l'émergence de germes antibiorésistants.
« En 2018, sur les 114 signaux traités par le comité de pharmacovigilance européen (PRAC), 6 sont jugés suffisamment importants pour faire l'objet d'une communication auprès des professionnels de santé. L'azithromycine fait partie de ces six médicaments » souligne Anne Bergeron-Lafaurie qui insiste : « combien de signaux font l'objet d'un communiqué ? Très peu. Alors que pour l'azithromycine, il y a déjà deux signaux de la part des agences de santé. Il y a un vrai paradoxe entre la perception que les médecins ont de sa tolérance et les complications décrites ».
Dès 2011, une première étude de cohorte américaine sur des populations sélectionnées (Medicaid et anciens combattants) avait montré une association entre l'utilisation de l'azithromycine, avec une posologie d'utilisation à court terme, et l'augmentation du risque de décès par trouble du rythme, et notamment par le syndrome du QT long [2]. Une étude danoise en population générale n'avait cependant pas retrouvé ces résultats. « Quand on regarde de plus près, il est admis qu'un patient avec un risque CV initial est très nettement plus à risque que l'ensemble de la population générale » commente Anne Bergeron-Lafaurie. La Food and Drug Administration (FDA) a publié une première alerte en 2013 [3]. Ce premier signal est à l’étude.
Une étude arrêtée précocement
La deuxième alerte a été donnée après l'arrêt prématuré d'un essai clinique visant à évaluer l’efficacité de l’azithromycine dans la prévention de la bronchiolite oblitérante faisant suite à une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques (voir ci-après) [3].
En 2017, la Pr Anne Bergeron-Lafaurie débute un essai clinique chez des patients atteints d'une hémopathie maligne sur le point de recevoir une allogreffe. « Après la greffe, 10 % des patients présentent une complication pulmonaire sévère, la bronchiolite oblitérante. Nous voulions savoir si en administrant aux futurs greffés de l'azithromycine cette complication pourrait être évitée » explique-t-elle.
Mais l'essai a dû être arrêté prématurément en raison d'une augmentation des rechutes de la maladie hématologique maligne. « Nous avons constaté un déséquilibre de mortalité en défaveur de l'azithromycine. C'était tout à fait inattendu. Et cela a été traumatisant pour tout le monde, les patients et les médecins » raconte Anne Bergeron-Lafaurie. « Il y a maintenant un consensus pour dire qu'il n'est plus question d'administrer de l'azithromycine en phase précoce d'une greffe de moelle » précise-t-elle.
Plus récemment, la pneumologue a conduit une nouvelle étude chez les patients greffés présentant une bronchiolite oblitérante et pour lesquels l'administration en curatif d'azithromycine est devenue un gold-standard. « Nous avons observé un risque doublé de développer un cancer solide lorsque les patients étaient traités avec de l'azithromycine » explique-t-elle. Là encore, un effet pro-tumoral de l'azithromycine, dont le mécanisme physiopathologique est inconnu, a été mis en évidence. Les détails viennent d'être publiés dans le Biology of Blood and Marrow Transplantation[5].
Un risque accru de tumeurs solides chez d'autres patients à risque ?
Reste à savoir si l'effet pro-tumoral de l'azithromycine pourrait concerner d'autres patients à risque de développer un cancer, comme c'est le cas des patients avec une BPCO ayant fumé et à risque d'un cancer pulmonaire ou les patients avec une BPCO déjà suivis pour un cancer de la prostate.
« Nous n'avons pas aujourd'hui de démonstration d'un sur-risque de cancer lié à l'azithromycine chez ces patients-là. Il faudrait commencer par reprendre les données de grandes études épidémiologiques » explique Anne Bergeron-Lafaurie.
Des prescriptions utiles mais réfléchies
Alors que faire ? Quelle est la conduite à tenir ? « Malgré ces différentes alertes, l’azithromycine est souvent perçue comme un médicament facile d’utilisation et très bien toléré. Des études complémentaires sont nécessaires pour bien mesurer les différents risques inhérents à cette prescription et bien apprécier la balance bénéfice- risque. La priorité est peut-être à donner à ce médicament face à des exacerbations très importantes. Tout dépend de la situation. Je le répète : l’efficacité de l’antibiotique a clairement été démontrée dans de nombreuses maladies bronchiques, tout réside dans la juste prescription » résume la spécialiste.
Actualités Medscape © 2020 WebMD, LLC
Citer cet article: L’azithromycine en pneumologie, un médicament pas si anodin - Medscape - 29 janv 2020.
Commenter