Suspicion d’amylose cardiaque : comment prendre en charge un patient ?

Dr Jean-Pierre Usdin

27 janvier 2020

Paris, France – A l’occasion d’une session consacrée à l’amylose cardiaque au lors des Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC2020), le Dr Benjamin Alos (Cardiologie et maladies Cardio-vasculaire. CHU Poitiers) et le Pr Thibaud Damy (Coordonnateur du Centre de Référence National des Amyloses Cardiaques. CHU Henri Mondor) ont présenté le cas clinique d’un homme de 82 ans admis pour une décompensation cardiaque aiguë révélant une cardiomyopathie par amylose transthyrétine (ATTR). Une maladie dont le diagnostic et le pronostic ont évolué significativement ces trois dernières années avec l’arrivée notamment du tafamidis (Vyndaqel®, Novartis).

Le Dr B. Alos, expert dans la prise en charge de cette affection, a accepté de préciser les caractéristiques diagnostiques de l’amylose transthyrétine et d’expliquer à Medscape édition française ce que tafamidis représente en termes d’avancée thérapeutique à partir de ce cas clinique.

Les amyloses sont des maladies liées au dépôt dans différents organes de substance amyloïde formée par l’accumulation de certaines protéines sous forme de fibrilles insolubles. Ces dépôts altèrent le fonctionnement normal des organes atteints et expliquent les symptômes de cette maladie.

Antécédent de canal carpien opéré

Le patient a été opéré une dizaine d’années auparavant d’un canal carpien non compliqué. L’ECG montrait alors des anomalies évocatrices (rétrospectivement) d’une amylose cardiaque comme un bas voltage des QRS dans les dérivations des membres, et des ondes Q septales mais sans attirer l’attention.

La cardiopathie a évolué à bas bruit jusqu’à cette défaillance cardiaque soudaine probablement liée à la survenue d’une fibrillation auriculaire (FA).

Le patient n’était pas hypertendu, n’avait pas de rétrécissement aortique mais on sait qu’un antécédent de canal carpien est parfois associé à une amylose. Une enquête étiologique spécifique est effectuée. L’échocardiogramme montre une hypertrophie pariétale avec une masse ventriculaire de 118g/m².

Que peut-on attendre de l'échographie tissulaire qui soit quasi spécifique de l'amylose cardiaque ? « L'échocardiographie est assez sensible mais relativement peu spécifique dans le diagnostic d'amylose cardiaque, explique le Dr Alos. Cependant, la diminution du strain longitudinal avec un gradient apex/base (aussi appelé "apical sparing" ou préservation - relative - de l'apex) est le paramètre le plus spécifique que l'on peut rechercher en ETT : un ratio strain apex/septum basal > 2,1 (d'autant plus s'il est associé à un profil restrictif du flux trans-mitral, avec un temps de décélération de l'onde E < 200 ms) a une bonne valeur prédictive positive, et reste en tout cas le meilleur critère échocardiographique ».

Une fois la décompensation cardiaque corrigée, le patient a bénéficié d’examens en lien avec les dernières recommandations en la matière : scintigraphie osseuse en priorité et recherche d’une gammapathie : dosage des chaînes légères d’amyloïde (AL), électrophorèse des protides, protéinurie de Bence-Jones.

La scintigraphie osseuse ayant montré une hyperfixation cardiaque (sans protéine monoclonale), le diagnostic d’amylose cardiaque transthyrétine (ATTR) était alors plus que probable.

L’hyperfixation cardiaque vue à la scintigraphie osseuse : témoin de la pathologie

Pour les deux experts, la fixation myocardique intense vue sur la scintigraphie osseuse, témoin de la charge calcique des fibrilles amyloïdes, met l’accent sur le caractère systémique de cette affection affectant initialement le tissu osseux. L’infiltration amyloïde se généralise à bas bruit pendant plusieurs années avant que la cardiomyopathie infiltrée ne soit diagnostiquée. Un canal carpien, une maladie de Dupuytren, une rupture tendineuse, un canal lombaire étroit ou une polyneuropathie parfois isolée peuvent cependant orienter le diagnostic.

Faut-il pour autant effectuer un bilan d’amylose, notamment cardiaque, chez tous les patients opérés d’une affection des tendons… ? « Non, répond le Pr T. Damy. Nous ne connaissons pas actuellement la prévalence de l’amylose et il y a plus de 100 000 opérations pour canal carpien par an en France... D’autre part, précise-t-il, ce n’est pas parce que l’anatomopathologie de la pièce opératoire montre une infiltration amyloïde ni parce que le patient est porteur d’une mutation qu’il développera une amylose cardiaque ».

Recherche de protéine monoclonale

La scintigraphie osseuse montrant une hyperfixation cardiaque est donc une des clés du diagnostic de la cardiomyopathie à TTR. « Cependant, il est impératif d’éliminer avant tout une maladie des chaînes légères (d’immunoglobulines). Un myélome peut, lui aussi, être responsable d’une infiltration myocardique de chaines légères. Il s’agit alors d’une urgence hématologique qu’il ne faut pas manquer. D’autre part, une scintigraphie osseuse négative n’exclut pas le diagnostic d’amylose ATTR » Les orateurs indiquent que le dosage des chaînes légères en ville n’est pas remboursé (80€) « Mais cela peut sauver une vie » considère le Pr Damy.

Dans la plupart des cas, les examens invasifs ne sont plus nécessaires

L’IRM cardiaque morphologique montre en règle générale un œdème myocardique et un rehaussement tardif qui ont une valeur diagnostique et pronostique. Il est maintenant exceptionnel que l’on ait recours à la biopsie endo-myocardique grâce à ces faisceaux d’éléments paracliniques non invasifs.

Différencier la forme héréditaire de la forme sauvage

L’étude génétique est indispensable.  « Il est important pour des raisons familiales de distinguer la forme génétique de la forme sauvage même si cette dernière, passé 50 ans, est la règle. Il s’agit d’une affection autosomique dominante à pénétrance variable, Il faut surveiller les sujets ayant la mutation, bien que l’expression de la maladie diffère suivant les individus : être porteur d’une mutation n’implique pas forcément la survenue d’une amylose cardiaque ou neurologique » insiste le Pr Damy.

Tafamidis, premier traitement efficace de la cardiomyopathie ATTR

II existe maintenant un traitement de l’amylose ATTR qui semble d’autant plus efficace qu’il est administré tôt. L’essai contrôlé randomisé vs placebo ATTR-ACT a montré un effet significativement favorable du tafamidis chez les patients souffrant d’une cardiomyopathie ATTR héréditaire ou sauvage [2]. De quoi s’agit-il ? « Le tafamidis est une molécule stabilisatrice de la forme circulante de la transthyrétine, qui est un tétramère. Le problème initial dans l'amylose ATTR, c’est en effet la dépolymérisation de tétramères d’amyloïde en monomères, lesquels subissent des changements de conformation menant, en fin de compte, à des dépôts tissulaires. En empêchant cette dépolymérisation, le tafamidis prévient le dépôt de protéines amyloïdes TTR. Cela explique cependant aussi que ce traitement ne permette que de freiner l'évolution de la maladie, et pas de la guérir ».

Pour cette raison, l’effet thérapeutique est d’autant plus net que le traitement est débuté tôt. Les formes au stade III de la NYHA réagissent peu et restent grevées d’une forte mortalité. Dans les essais cliniques ayant testé le tafamidis versus placebo, les courbes de mortalité ne divergent qu’à partir de 18 mois. Il faut préciser au patient que les résultats ne sont pas immédiats. Cependant, à 30 mois, on a une réduction significative de 30% des décès (7,5 pts/an pour éviter un décès), il en est de même des hospitalisations pour insuffisance cardiaque (4 pts/an traités pour éviter une hospitalisation).

« Si au cours de l’essai ATTR-ACT, les hospitalisations ont paru fréquentes dans le groupe tafamidis, c’est parce que les patients témoins sont décédés avant d’être hospitalisés ! » a déclaré le Pr Damy. Une explication certes un peu abrupte mais qui rappelle l’extrême gravité de cette affection très souvent fatale, jusqu’à présent.

Tafamidis : quand et pour qui ?

A qui prescrire le tafamidis ? « L'indication actuelle du tafamidis [un comprimé 20mg/j] repose sur le diagnostic d'amylose cardiaque (avec critères ETT ou IRM en faveur d'une cardiomyopathie restrictive), avec scintigraphie osseuse en faveur (grade de Perugini 2 ou 3) et exclusion d'une amylose AL (absence de gammapathie monoclonale avec notamment de chaînes légères négatives), chez des patients NYHA I à III, indique le Dr Alos. Il n'existe pas de contre-indication particulière en dehors d'une hypersensibilité au produit, mais les patients les plus sévères (NYHA IV) ne sont pas éligibles. [Le Tafamidis avait déjà une AMM en cas de polyneuropathie amyloïde ATTR].

L'avantage du tafamidis est de se lier spécifiquement à la transthyrétine sans affecter le reste de l’organisme avec par conséquent très peu d'effets secondaires rapportés, ou principalement digestifs (diarrhée). L'insuffisance rénale ou l'insuffisance hépatique n'impactent pas la prescription du traitement. »

Un traitement coûteux

Le tafamidis fait l’objet d’une Recommandation Temporaire d’Utilisation (RTU) et peut être prescrit par les cardiologues hospitaliers référents dans la prise en charge de l’amylose cardiaque. Il s’agit d’un traitement à vie qui pourrait à terme être délivré par les cardiologues en ville, indique le Pr Damy. La prévalence (aux USA) de la maladie est estimée à 13% [3]. « Il est certain que le nombre de cas diagnostiqués va augmenter. L’enjeu économique pour cette affection dramatique dont on entrevoit la stabilisation est majeur », conclut le Pr Damy. Le coût d’un mois de traitement est, en effet, de 4 380 €.

 

Le docteur B Alos précise qu’il n’a pas de conflit d’intérêt sur ce sujet.

 

 

 

 

 

 

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