
Dr Pomme Jouffroy
Paris, France — « Il y a 30 ans, vouloir être chirurgien orthopédiste quand on était femme, cela voulait dire être prête à entendre des énormités machistes ! Cela voulait dire aussi qu’on est attendue au tournant et qu’il faut être deux fois plus vigilante, deux fois plus rigoureuse » a exposé Pomme Jouffroy, 62 ans, précurseuse de la chirurgie orthopédique au féminin, devant ses confrères de la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique (SOFCOT) à l’occasion d’une conférence de presse en amont du congrès [1]. Nulle aigreur ou sentiment de revanche envers la gente masculine chez cette féministe affirmée, qui se définit comme une « orthopédiste très heureuse de faire ce métier » et exprime une « immense reconnaissance pour les hommes qui [lui] ont appris [son] métier, beaucoup d’amitié pour ceux qui [l’] ont accompagnée et de la tendresse pour ceux et celles que [qu’elle] a formés ».
La chirurgie se féminise et l’orthopédie aussi
« Quand j’ai débuté mon internat il y a 37 ans en 1982, j’étais la première interne de tous mes patrons. La première et souvent la seule femme au milieu d’équipes d’hommes », se souvient Pomme Jouffroy. Aujourd’hui dans une promotion de 120 internes en chirurgie orthopédique, il y a 25% de femmes. « On a vraiment attiré les femmes dans notre métier qui avait réputation d’être réservé aux gros bras – une fausse idée de la discipline » dit celle qui pratique une chirurgie du bassin et du cotyle, l’une des plus « lourde » de la discipline.
Il n’empêche « être chirurgien femme, c’est être capable d’entendre des énormités machistes absolument monstrueuses et j’en ai entendu plein dans ma carrière » affirme-t-elle. En témoigne cette affirmation du Pr Blondeau, grand chirurgien du cœur et de la thyroïde : « un métier qui se féminise est un métier qui se dégrade ». « Il n’y a rien de plus faux, considère l’orthopédiste. Je n’ai pas rencontré tellement de problèmes, techniquement, physiquement, moralement. Les femmes sont parfaitement capables de faire ce métier. La chirurgie, cela se fait dans la tête, et les mains obéissent au cerveau, et il n’y a aucun doute sur le fait que les femmes ont la tête bien faite. Et si parfois, certains gestes chirurgicaux semblent nécessiter une force qui leur manque, elles trouvent une autre solution.»
Une femme qui fait un « métier d’hommes » est-elle une femme qui se prend pour un homme ? « Elle fait ce métier différemment. Ce n’est pas un privilège des femmes d’être meilleure en empathie, en relationnel, en management, répond le Dr Jouffroy qui se définit comme « très féministe », mais précisant « féministe différentialiste ». « Nous sommes un peu différentes, mais il est difficile de dire si cela relève de différences de genre ou de différences individuelles ». Quoi qu’il en soit, « en chirurgie orthopédique, nous sommes complémentaires, c’est pourquoi travailler en équipe mixte est très important ».
Être capable de réagir au machisme ordinaire
Faut-il faire une croix sur sa vie familiale ? Que nenni. « Je n’ai pas sacrifié ma vie familiale à ma vie professionnelle, c’est peut-être pour cela que je n’ai jamais fait de burn-out, répond le Dr Jouffroy, qui livre deux secrets pour y parvenir : ne jamais rapporter de travail à la maison et être bien accompagné(e). « Dans mon cas, j’ai épousé un chirurgien orthopédique, j’ai 3 enfants, des petits-enfants et je m’en occupe ». Autre astuce tout de même quand on est une femme dans un milieu d’hommes : « être capable de réagir au machisme ordinaire », c’est-à-dire ne pas se laisser démonter et avoir du répondant et « Alors que l’on se lavait les mains avant une opération, un interne m’a dit un jour de but en blanc : « je me demande bien pourquoi une femme fait ce métier », je lui ai répondu du tac au tac : « pour la même raison que toi, faire de la chirurgie » rapporte-t-elle.
Un compagnonnage extrêmement porteur
Être une femme dans un milieu d’hommes, c’est aussi avoir « le sentiment d’être observée et quelque fois attendue au tournant » reconnait l’orthopédiste, qui en a tiré un bénéfice : « je me suis obligée à être extrêmement rigoureuse et travailleuse. C’était un peu fatiguant mais cela a porté ses fruits ». Et au final, elle admet s’être « sentie plutôt bien au milieu de cette communauté d’orthopédistes » et affirme avoir trouvé « dans un milieu qui a plutôt la réputation d’être « macho », un compagnonnage extrêmement porteur ».
Elle rend d’ailleurs un bel hommage aux hommes de qualité qui l’ont formé – la seule femme chirurgien orthopédique à l’époque n’a pas fait partie de ses mentors.
« Mes patrons ont été très sympathiques, à l’instar du Pr Roy Camille qui m’a ouvert un parapluie au-dessus de la tête en disant : « à partir d’aujourd’hui, c’est Pomme qui opèrera tous les cotyles du service ». Il m’a fait confiance et dans l’ensemble, tous m’ont fait confiance, insiste le Dr Jouffroy, ajoutant : « j’ai une immense reconnaissance pour les hommes qui m’ont appris mon métier, beaucoup d’amitié pour ceux qui m’ont accompagnée et de la tendresse pour ceux et celles que j’ai formés ».
Est-ce à dire que tout va pour le mieux en termes d’égalité homme/femme dans le monde médical ? « Être chirurgien, c’est une chose, être chirurgien et chef de service, c’est probablement plus compliqué. On a l’habitude de dire que le féminin de PUPH, c’est PH » sourit l’orthopédiste, qui reconnait : « Il y a beaucoup moins de femmes avec des responsabilités managériales que d’hommes. Dans ce domaine, la lutte reste de mise ».
Chirurgien et femme de lettres
Depuis août 2009 : chef de service d’orthopédie de l’hôpital Paris Saint Joseph
Octobre 2006 à août 2009 : Adjoint Service du Dr Barthas (Chirurgie orthopédique Hôpital Saint Joseph).
Janvier 97 à octobre 2006 : Chef de service adjoint Service du Dr Olivier (Chirurgie Orthopédique, Hôpital Saint-Michel)
Novembre 89 à décembre 96 : Vacataire bénévole à la Pitié Salpetrière dans le service du Pr Roy Camille puis du Pr Saillant pour la prise en charge de la pathologie traumatique du cotyle et du bassin.
Janvier 92 - Décembre 96 : Chirurgien Orthopédiste temps plein dans le secteur privé Clinique de Bercy Charenton
Novembre 90 à décembre 91 : Chef de service adjoint hôpital de la Croix Saint Simon
Novembre 87 à octobre 90 : Chef de clinique des hôpitaux de Paris
1974 à1987 : Études de médecine à la faculté de médecine de Paris VII
1982 à 1987 : Internat des hôpitaux de Paris
Membre du collège d'orthopédie. Membre de la Sofcot.
En plus d’être chirurgienne à l'hôpital Saint-Joseph à Paris, Pomme Jouffroy a publié un essai Il n'y a plus d'hôpital au numéro que vous avez demandé... (Plon, 2002) puis plusieurs romans : Les Immortelles (Le Palmier, 2005), Rue de Rome et Res Nullius (Des femmes-Antoinette Fouque, 2006 et 2007). De la rhubarbe sous les pylônes est son premier roman policier.
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Citer cet article: Pomme Jouffroy, femme et chef de service d’orthopédie ! - Medscape - 24 janv 2020.
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