Enregistré le 16 janvier 2020, à Paris.
L’hypertension artérielle (HTA) constitue aujourd’hui un problème de santé publique mondial, avec 46% de la population atteinte. Lors du dernier congrès des Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC) 2020 , une session était consacrée à l’HTA très sévère et ses conséquences désastreuses, avec les multiples atteintes des organes cibles chez les patients. Quelle stratégie est actuellement mise en œuvre en France, mais aussi dans les régions les plus touchées, notamment en Afrique?
TRANSCRIPTION
Sylvain Le Jeune — Bonjour, je suis le Dr Sylvain Lejeune, médecin-interniste vasculaire à l’hôpital Avicenne de Bobigny, et président du « Club des Jeunes Hypertensiologues ». Je vous présente le Dr Benoît Lequeux, cardiologue au centre hospitalier de Poitiers. Lors des JEFC 2020, on a assisté à une session très intéressante sur les hypertensions artérielles hypersévères — sujet qui est très d’actualité — et dont on aimerait vous présenter les highlights.
Cette session s’est particulièrement attachée à re-décrire les aspects épidémiologiques et de définition de cette hypertension artérielle hypersévère. Pouvez-vous nous en dire un petit peu plus ?
Benoît Lequeux — Oui, tout à fait. Il faut déjà s’attacher à l’épidémiologie de façon générale. On sait que l’hypertension artérielle est un fléau mondial : sur des données récentes, on voit que 46 % de la population est hypertendue. On a environ 40 % des gens qu’on connaît hypertendus et n’y a que 13 % des gens qui sont contrôlés. Donc c’est vraiment un problème de santé publique mondial. On a des définitions qui sont bien actées par les différentes sociétés savantes et on commence à parler d’hypertension sévère et notamment d’hypertension grade 3 à partir de 180/110 mm Hg. On a donné pas mal de définitions pendant cette session, dont ce chiffre de 180/110, et après ont été définies les hypertensions qui sont dites très sévères ou les super-HTA, au-delà de 250/150 mm Hg — qui sont quand même relativement rares, heureusement, et qui sont souvent liées à des problèmes d’atteinte d’organes. Il faut vraiment distinguer les chiffres et les complications.
Sylvain Le Jeune — Justement, quels sont les organes cibles qui peuvent être atteints par l’hypertension artérielle quand ces chiffres sont aussi élevés ?
Benoît Lequeux — En effet quand les chiffres sont aussi élevés, on va aller rechercher cette atteinte d’organes cibles. En premier lieu il y a l’œil, donc on va chercher une rétinopathie hypertensive ; on a l’atteinte rénale, donc avec différents examens qu’on peut être amené à faire ; l’atteinte cardiaque bien sûr ; l’atteinte cérébrale ; et l’atteinte microangiopathique. C’est vraiment ce qu’on va aller rechercher dans le cas des hypertensions menaçantes et à partir des hypertensions au-delà de 180/110 mm Hg.
Sylvain Le Jeune — Il y a des recommandations à ce sujet qui ont été assez récemment re-présentées par la Société Européenne. Il y a un bilan minimal à réaliser, c’est ça ?
Benoît Lequeux — Exactement. Il y a des examens qui sont simples à faire : la réalisation d’un fond d’œil, d’un électrocardiogramme, d’examens sanguins biologiques, notamment une hémoglobine, des plaquettes, haptoglobine. Au niveau rénal, créatinine et des examens biologiques urinaires et on n’oublie pas le bêta-HCG chez les sujets jeunes pour tout ce qui est, justement, prééclampsie, etc., et il ne faut vraiment pas l’oublier chez les femmes jeunes notamment.
Sylvain Le Jeune — Il y a assez peu de données au niveau aussi bien français et européen que mondial sur ces formes d’hypertension artérielle ? Est-ce qu’il y a des choses qui vont permettre de mieux appréhender cette épidémiologie ?
Benoît Lequeux — C’est vrai que c’est un domaine où on connaît très bien l’hypertension chronique, simple, légère, modérée, mais ces registres-là d’hypertension – alors, il y a un registre particulier qui s’appelle l’hypertension maligne, qui est défini par des chiffres au-delà de 200/120 mm Hg associés à une atteinte des organes cible et là, c’est un environnement qui est très peu connu et il y a notamment le registre HAMA promu par la société Française d’hypertension artérielle — dont le promoteur est le Dr Romain Boulestreau, de Pau — qui, justement, va permettre de pouvoir répondre à cette problématique d’épidémiologie et de suivi de ces patients qu’on connaît, finalement, très mal.
Sylvain Le Jeune — C’est un registre français…. auquel participent la plupart des centres… Pouvez-vous nous dire comment se passe, en France, l’organisation de la prise en charge de l’hypertension ?
Benoît Lequeux — En France, il y a trois niveaux principaux. On va commencer par le plus haut, qui sont les centres d’excellence européens, reconnus par la société européenne d’hypertension artérielle. Ensuite, le deuxième niveau est ce qu’on appelle les blood pressure clinics qui sont des entités reliées à ces centres d’excellence — je passe sur les différentes choses qu’il faut avoir pour rentrer sur ces différents niveaux — et puis vous avez les spécialistes en hypertension artérielle. Et c’est vrai que l’hypertension artérielle est une pathologie transversale, donc c’est important de travailler dans des centres où il y a des cardiologues, des néphrologues, des endocrinologues, puisque c’est multifactoriel.
Sylvain Le Jeune — Cette session des JESFC était également particulièrement centrée sur la prise en charge de l’hypertension en Afrique. Il y avait des orateurs et des modérateurs issus de ces pays et c’est vrai qu’on était très intéressé par l’épidémiologie de cette hypertension artérielle plus spécifiquement en Afrique, parce qu’on peut voir que, par rapport aux pays européens, il y avait vraiment une très forte prévalence de cette super-hypertension qui était évaluée à peu près à 10 % des formes d’hypertension artérielle dans les pays européens, alors qu’elle peut atteindre 15 % à 20 % en Afrique. Ce qui était frappant, c’était l’atteinte des organes cibles qui était particulièrement importante chez ces patients : près de 75 % d’atteinte cardiaque associée à ces hypertensions sévères, 70 % atteinte rénale — on a été vraiment frappé par cette forte morbi-mortalité spécifiquement en Afrique. Il y a eu, d’ailleurs, un exposé du professeur Kramoh qui était spécifiquement recentré sur l’atteinte cardiaque de ces hypertensions artérielles, et là encore, 40 % des patients dans la plupart des séries avaient des atteintes cardiaques à type d’hypertrophie ventriculaire gauche (HVG). Alors on sait que l’HVG peut être vraiment pourvoyeur d’insuffisance cardiaque, d’arythmie, voire d’angor à coronaire saine, et que c’est quelque chose qu’il faut faire dépister chez les patients hypertendus. Les recommandations de la société européenne d’hypertension artérielle nous disent que l’HVG, finalement, doit être surtout dépistée par un électrocardiogramme, mais que la réalisation d’échographie à l’acte n’est pas forcément obligatoire, qu’elle va être surtout réalisée lorsqu’il y a déjà des signes électrocardiographiques ou des signes cliniques présentés par le patient. Cela peut également servir, éventuellement, à essayer d’affiner le pronostic cardiovasculaire du patient pour des hypertensions artérielles ou on ne serait pas sûr de les traiter, et donc de conduire, parfois à l’ascension thérapeutique dans ces cas-là.
Il y a eu une deuxième session, également très intéressante sur l’atteinte cérébrale, et là encore, on a été impressionné par la sévérité de l’atteinte cérébrale en Afrique : près de 40 % de patients compliqués d’atteinte cérébrale. On a pu voir les différentes formes d’atteinte de ces hypertensions hypersévères au niveau cérébral – bien sûr, l’apanage, c’est l’accident vasculaire cérébral, qu’il soit ischémique ou hémorragique et, là encore, on a été frappé par les chiffres, notamment sur l’AVC hémorragique, puisque près de 45 % des atteintes cérébrales hémorragiques sont les hématomes intra parenchymateuses, ce qu’on voit très peu dans nos pays européens. Ils ont reparlé également de l’encéphalopathie hypertensive, donc ces formes d’HTA maligne qui étaient particulièrement fréquentes chez la femme enceinte, avec la prééclampsie qui posait des problèmes à ce niveau. Et puis on sait que ces formes cérébrales sont source d’une forte morbi-mortalité, notamment du déclin cognitif et de démence, et là encore, cette prise en charge est très importante.
Ce sont des problématiques qui font résonance avec nos pays européens, puisqu’on retrouve les mêmes problèmes dans ces formes très sévères, à la fois d’inobservance thérapeutique, de consommation sodée excessive, mais qui résonnent particulièrement en Afrique où on sait que l’accès au traitement peut être complexe, parce que coûteux. En plus, qui a été noté par le professeur [Serigne Abdou] Ba, était qu’aujourd’hui on sait très bien qu’en Afrique ce sont plutôt les diurétiques et plutôt les inhibiteurs calciques qui devraient être privilégiés, or on s’aperçoit que bien souvent les patients sont traités par des inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou ARA2, qui sont vraiment coûteux, alors que des traitements moins coûteux et plus efficaces pourraient être prescrits. Et il y a le fléau de la consommation sodée qui, en plus, est encouragée par les médias… enfin, c’est peut-être un peu fort ce que je dis, mais ce qui a été bien noté, c’est que l’industrie est fortement implantée en Afrique au niveau des médias, au niveau de la communication, avec la promotion de produits très salés comme ces bouillons ou ces bouillons-cubes et qui sont un véritable fléau pour l’hypertension artérielle.
Ce qui a été également noté, c’était que les financements internationaux, notamment par l’OMS, de programmes de recherche de traitements en Afrique, ciblent surtout des maladies infectieuses, alors qu’on sait que le véritable fléau c’est l’hypertension artérielle avec la forte morbi-mortalité, mais qu’aujourd’hui tous les programmes financés, c’est surtout pour la tuberculose, le VIH et pas du tout l’hypertension artérielle. Il faudrait vraiment que les pays africains prennent en charge, intègrent, cette dimension de morbi-mortalité de l’hypertension et s’accaparent cette problématique pour pouvoir réellement en faire une politique de santé dans leurs pays.
Merci beaucoup de nous avoir suivis, et à très bientôt.
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Citer cet article: Hypertensions artérielles très sévères : quelle stratégie ? - Medscape - 21 janv 2020.
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