Mal épileptique résistant: trois antiépileptiques à égalité en deuxième ligne

Vincent Richeux, avec Sue Hugues

Auteurs et déclarations

21 janvier 2020

Ann Harbor, Etats-Unis Utilisés en deuxième intention chez les patients en état de mal épileptique (EME) ne répondant pas aux benzodiazépines, les antiépileptiques lévétiracétam (Keppra® et génériques), fosphenytoïne (Prodilantin®) et valproate de sodium (Dépakine® et génériques) ont montré une efficacité similaire dans un essai américain randomisé publié dans le NEJM[1]. Jusqu’à présent, le valproate semblait le plus approprié dans cette indication.

« Les médecins n’ont plus à hésiter entre ces trois médicaments pour traiter des patients en état de mal épileptique après échec des benzodiazépines », a commenté, auprès de Medscape édition internationale, le Dr Robert Silbergleit (University of Michigan, Ann Harbor, Etats-Unis), qui a dirigé cette étude.

« Etant donné que ces médicaments ont tous les trois un niveau d’efficacité semblable, le choix peut se faire en fonction de la disponibilité, de la facilité d’accès et du coût ou en optant pour une molécule qui a déjà fait ses preuves chez le patient ».

Résistance fréquente aux benzodiazépines

Un EME correspond à une crise d’épilepsie de plus de 30 minutes ou à des crises répétées pendant 30 minutes sans reprise de conscience. Caractérisée par des manifestations motrices d’au moins 5 minutes, la forme toniclonique convulsive généralisée (EMETCG) nécessite une prise en charge en urgence.

Selon les dernières recommandations de la Société de réanimation de langue française (SRLF) et de la Société de médecine d’urgence (SFMU) concernant la prise en charge des états de mal épileptiques, l’usage des benzodiazépines (BZD) est préconisé en première ligne (clonazépam en intraveineux ou midazolam en intramusculaire) dans le traitement des EMETCG.

L’injection de clonazépam est à répéter dans un délai de cinq minutes en cas de persistance clinique du syndrome épileptique. Si cette deuxième injection est sans effet, il est préconisé en seconde intention d’injecter en intraveineuse les antiépileptiques lévétiracétam, fofphénitoïne ou valproate de sodium.

Entre 30 et 40% des patients s’avèrent non répondeurs après administration de benzodiazépines, a précisé le Dr Silbergleit. Les médecins se retrouvent alors à choisir dans l’urgence entre ces trois médicaments, sans avoir de données comparatives fiables sur lesquelles s’appuyer pour orienter leur décision, explique-t-il.

Même si les recommandations françaises place ces trois molécules à égalité, le valproate de sodium est décrit comme le traitement de seconde ligne ayant « le meilleur rapport efficacité/tolérance », avec un profil de tolérance « très favorable » (absence d’effets cardiovasculaires, de dépression respiratoire…). Mais cette appréciation se base sur des données issues d’études observationnelles.

Perfusion d’antiépileptiques

Pour évaluer l’efficacité de ces antiépileptiques dans cette indication, le Dr Silbergleit et son équipe ont mené une étude multicentrique comparative randomisée. Ils ont inclus un total de 384 adultes et enfants de plus de deux ans pris en charge aux urgences pour une EMETCG résistante aux BZD.

Ces patients avaient reçu au préalable, parfois en pré-hospitalier, plusieurs doses de BZD (diazépam, lorazepam ou midazolam). En raison de la persistance des symptômes ou d’une répétition des crises, ils ont été randomisés pour recevoir une perfusion de lévétiracétam, de fofphénitoïne ou de valproate, dans un délai de 5 à 30 minutes après la dernière dose de BZD.

La persistance des convulsions 20 minutes après le début de la perfusion signalait une EMETCG réfractaire aux traitements de première et de deuxième ligne. L’intubation était alors indiquée. En cas d’EMETCG, les recommandations françaises préconisent de provoquer un coma thérapeutique avec un anesthésique.

Le critère primaire d’efficacité associe la disparition des signes cliniques de la crise et l’amélioration, dans un délai de 60 minutes, du niveau de conscience du patient. Il a été observé dans près de la moitié des cas, sans différence significative entre les groupes (47% des patients sous lévétiracétam, 45% sous fofphénitoïne et 46% sous valproate).

Ces résultats contrastent avec ceux rapportés dans de précédentes études observationnelles, commentent les auteurs. Une méta-analyse a ainsi révélé une efficacité plus élevée avec le valproate (75%) et le lévétiracétam (68,5%), tandis que le fofphénitoïne avait montré un effet similaire (50,2%) [2].

Crise plus courte avec le valproate

Dans ce nouvel essai, le valproate permet toutefois de mettre fin à la crise plus rapidement, le délai entre la mise sous traitement et la fin des convulsions étant , de 7 minutes en moyenne, contre respectivement 10,5 et 11,7 minutes avec le lévétiracétam et le fofphénitoïne. Ces résultats ont toutefois été obtenus d’après les données d’un faible effectif de patients (n=39).

Concernant le profil de sécurité des médicaments testés, le critère primaire est un critère composite combinant le taux d’hypotension sévère et le taux d’arythmie cardiaque engageant le pronostic vital survenues dans les 60 minutes qui ont suivi le début de la perfusion.

Le taux combiné est respectivement de 1,3%, 3,2% et 1,6% avec le lévétiracetam, le fofphénitoïne et le valproate. Une arythmie a été observée uniquement dans le groupe lévétiracetam (0,7% des cas). Le risque apparait plus élevé avec le fofphénitoïne, mais les différences ne sont pas significatives, notent les auteurs.

Si ces médicaments semblent avoir une efficacité similaire, malgré un profil pharmacologique et une posologie différentes, le Dr Silbergleit n’exclue pas l’influence d’autres facteurs. Le délai choisi pour constater l’absence de réponse aux BZD et administrer les antiépileptiques de deuxième ligne pourrait, par exemple, avoir un impact sur les résultats, estime-t-il.

Par ailleurs, certains médecins ont pu passer plus rapidement à l’intubation et à l’anesthésie sans attendre les 20 minutes préconisées après la perfusion, notamment en cas de difficulté respiratoires. Le chercheur précise également qu’il reste difficile de savoir si les patients ont bien répondu au traitement.

Améliorer les pratiques avec l’EEG

« Dans le contexte d’une prise en charge aux urgences, sans electroencéphalogramme (EEG), il reste compliqué de déterminer la réponse au traitement. Même si les convulsions ont cessé, l’épilepsie peut se maintenir et induire de nouvelles crises », a souligné le Dr Silbergleit.

Selon lui, l’arrivée de nouveaux dispositifs portables avec moins d’électrodes pour réaliser des EEG devrait toutefois améliorer les pratiques en offrant la possibilité de mieux caractériser les états de mal épileptiques dans le cadre des urgences et d’évaluer la réelle efficacité des traitements.

Dans un éditorial accompagnant la publication, le Pr Phil Smith (University Hospital of Wales, Cardiff, Royaume-Uni) estime que ces résultats devraient renforcer la place de ces antiépileptiques dans la prise en charge standard des EME [3].

« Avoir à disposition trois traitements de seconde ligne d’efficacité égale signifie que les médecins vont pouvoir choisir en fonction du profil des patients », precise-t-il. Ils vont ainsi prendre davantage en compte l’étiologie des EME, la présence d’une hypotension artérielle, d’une maladie rénale ou d’une arythmie cardiaque, ainsi que le coût du médicament.

Il rappelle qu’une prise en charge thérapeutique standard initiée au plus tôt, habituellement lorsque les crises persistent plus de 5 minutes, améliore les résultats. « Retarder une telle intervention peut induire des crises persistantes ou réfractaires, avec un risque de lésions neurologiques et de décès, surtout en cas d’EMETCG ».

Selon lui, les résultats de cette étude vont permettre de consolider le protocole de prise en charge thérapeutique des EME résistantes aux BZD. D’autres études devront être menées pour évaluer les bénéfices d’une utilisation élargie de l’EEG pour diagnostiquer et prendre charge l’état de mal épileptique, estime le neurologue.

 

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