Va-t-on interdire le site arretmaladie.fr ?

Philippe Anaton, avec Stéphanie Lavaud

9 janvier 2020

France – A l’image du système déjà mis en place en Allemagne, l'avocat allemand et entrepreneur Can Ansay a mis en ligne au début de ce mois en France un site d'informations, arretmaladie.fr, qui promet la délivrance d'arrêt maladie de 1 à 3 jours pour répondre à une « urgence sanitaire ». Tollé immédiat des syndicats médicaux et des institutions et décision dans la foulée de l’assurance maladie d’interdire ce nouveau service.

Arrêt maladie sans se déplacer : 100% valide, remboursable, rapide et sécurisé

Il fallait y penser : proposer un arrêt maladie en ligne, sous réserve d’une téléconsultation. Le site arretmaladie.fr l’a fait. Pour que les choses soient claires, il est précisé que « ce site informe les patients qu’ils peuvent se faire prescrire un repos à travers une téléconsultation réalisée par un médecin disponible ».

Dans un communiqué daté du 5 janvier dernier, le site docteursecu.fr qui annonce le lancement du site arrêtmaladie.fr indique de son côté qu’il s’agit de « sensibiliser les patients à l’usage de la télémédecine en France ». Le lancement est dit « expérimental » car il ne concerne pour le moment que les cas de rhume et de grippe. Précisons que le site www.arretmaladie.fr – dans l’intitulé a le mérite d’être clair – est « purement informatif » et renvoie « les patients qui recherchent un moyen de se reposer pour des raisons de santé vers une plateforme de télémédecine française ».

En revanche, pas de doute l’arrêt de travail est garanti « 100% valide, remboursable, rapide et sécurisé », et sans se déplacer.

Action en référé de la Cnam

En pratique, après avoir cliqué sur le bouton « Commencez dès maintenant », l'internaute se voit proposer de remplir différents formulaires (deux sont valides pour le moment) dans l'optique de la délivrance d'un arrêt maladie (pour rhume ou gastro-entérite). Une fois le questionnaire rempli, l'internaute est redirigé vers le site docteursecu.fr, qui propose une téléconsultation classique « au tarif conventionné légal en  vigueur » précisant que « le patient pourra se faire rembourser suivant les recommandations de la CPAM ».

Plus pour beaucoup de temps, puisque l’on peut penser que le site vit ces derniers jours. En effet, d'abord dans les Echos, puis par voie de communiqué de presse, l'Assurance maladie – en lien avec le Conseil national de l'Ordre des médecins – a fait savoir dans un communiqué de presse qu’elle allait « mettre en demeure immédiatement le site de cesser ses activités et engager également, à cette fin, une action en référé » [1]. Raison invoquée : « la prise en charge par l’Assurance Maladie des téléconsultations appelle le respect d’un certain nombre de conditions, qui ne sont pas remplies en cas de recours à ce site ». Elle précise par ailleurs « qu’il est éthiquement critiquable de faire la promotion d’un site de consultations médicales en ligne à partir de la promesse de l’obtention facilitée d’un arrêt de travail. Les arrêts de travail ne sont pas des produits de consommation, susceptibles d’être distribués sur demande des patients » et rappelle enfin qu’« ils relèvent d’une prescription médicale et doivent intervenir à l’initiative du médecin ».

Tromperie

Mercredi matin, sur RTL, le directeur de la Caisse nationale de l'Assurance maladie, Nicolas Revel, a enfoncé le clou : « Ce site pose vraiment un problème, il marque une dérive et trompe les assurés » ajoutant que « dans 99% des cas, le médecin délivre à la fin exactement l'arrêt de travail qui a été préfabriqué par l'internaute ».

Avant l'assurance maladie, le Dr Jérome Marty, président du syndicat Union française pour une médecine libre (UFML-S) avait lui aussi décrié cette initiative sur les réseaux sociaux : « #arretmaladie.fr ce site est une escroquerie n’ayons pas peur des mots. Ajoutons que la proximité avec un site commercial : « docteur secu » dont le nom induit lui-même une confusion pour le patient est générateur de double tromperie. Nous dénonçons cela et appelons à fermeture. »

14 euros l’arrêt maladie Outre-Rhin

Cette initiative qui défraie la chronique nous vient d’Allemagne. A l’origine, c'est un avocat, Can Ansay, qui a lancé outre-Rhin, en 2018, une même version du site arretmaladie.fr. Chez nos voisins, le site, qui propose des arrêts maladie compris entre 9 et 14 euros, avait défrayé la chronique au moment de sa mise en ligne. Comme en France, le site allemand s'est spécialisé dans les arrêts de courte durée, pour des rhumes notamment. Mais chez nos voisins, les utilisateurs du site se voient attribuer automatiquement un arrêt maladie, sans même une téléconsultation. Pour éviter les abus, le site allemand limite à deux le nombre d’arrêts par personne et par an. Il s'appuie sur un assouplissement de la législation allemande, qui permet, et ce afin de désengorger les cabinets de médecins, de réaliser des prescriptions pour des rhumes sans examen médical, à distance. Comme en France, les associations médicales sont sceptiques sur cette nouvelle application, notamment la Schleswig-Holstein Medical Association. Mais aucun procès n'a entaché la légitimité du service de Can Ansay outre-rhin, contrairement à l'accueil de son site en France...

Peut-on exporter le modèle allemand en France ?

Pour justifier ce nouveau service, DocteurSecu multiplie les arguments jouant sur plusieurs tableaux : la pénurie médicale français, en affirmant « l’arrêt de travail de courte durée (de 1 à 3 jours) quand il est nécessaire, ne peut plus être prescrit par le manque de médecins dans beaucoup de régions en France » et les avantages de la  télémédecine pour y pallier « le déploiement de la télémédecine en France permet dans bien des cas de juguler la désertification médicale et de désengorger les urgences sur des pathologies de premiers recours »: Le communiqué signale, par ailleurs, que « dans la pratique les praticiens qui font de la télémédecine délivrent déjà des arrêts de travail à distance dès lors que l’état de santé du patient le nécessite ». L’expérience allemande est aussi mise en avant avec des arguments d’ordre économique, le site « permet aux entreprises de mieux s’organiser en cas d’absence d’un salarié pour des raisons de santé. L’arrêt de travail est reçu rapidement par l’employeur qui dispose ainsi de plus de temps pour réorganiser ses équipes » expose-t-il. Quant au risque de certificats de complaisance, avancé par certains, il est précisé que concernant « la fraude aux arrêts maladie courts » en Allemagne, les études montrent que celle-ci n’est pas plus importante en télémédecine qu’en présence physique puisque l’anamnèse des symptômes reste les mêmes et qu’on parle de maladies aiguës ». Pas sûr que ces arguments avancés arrivent à convaincre de ce côté-ci du Rhin.

 

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