Melbourne, Australie – L’étude australienne montrant l’effet thérapeutique significatif de l’abstinence alcoolique en cas de fibrillation (FA) paroxystique ou persistante, et qui avait déjà marqué les esprits à l’ACC19 , vient d’être publiée dans le New England Journal of Medicine [1] .
Pendant les 6 mois de l’étude, les 70 patients abstinents ont diminué de 87% leur consommation d’alcool, la FA est réapparue chez 37 (53%) d’entre eux. Tandis que chez les patients non abstinents la FA a récidivé chez 51 des 70 sujets (73%)
En outre, la récidive de l’arythmie survenait significativement plus tardivement chez les participants sobres, de même, le temps moyen passé en arythmie était moins long.
« Cette étude nous donne des arguments intéressants concernant la sobriété en tant que traitement efficace de la FA » conclut le Dr Aleksandr Voskoboinik (Heart Center, Royal Melbourne Hospital. Australie), principal investigateur de l’étude.
Alors que démarre, de façon non officielle le défi du #DryJanuary (voir encadré sur en fin d’article), ce travail, qui place la sobriété vis-à-vis de l’alcool comme une option thérapeutique de choix de la FA, a une saveur toute particulière.
La sobriété prévient-elle les récidives de FA ?
Si « une consommation excessive d’alcool est associée la survenue d’une fibrillation auriculaire (FA) et à un remodelage auriculaire défavorable (…), l’effet de l’abstinence en boissons alcoolisés sur la prévention secondaire de la FA, en revanche, n’est pas clair » considère le Dr Aleksandr Voskoboinik. D’où l’idée de réaliser un essai clinique contrôlé, multicentrique, prospectif, randomisé et ouvert, pour l’investiguer.
Les chercheurs ont recruté puis répartis en deux groupes équivalents 140 adultes qui consommaient au moins 10 boissons-standard/semaine (1 boisson-standard = environ 12 grammes d’alcool) [2] et souffrant d’une FA paroxystique ou persistante, en rythme sinusal au début de l’étude.
Les auteurs ont mené cette étude dans 6 centres australiens. Sur les 650 patients buveurs habituels, initialement intéressés, seulement 140 (30%) ont accepté de participer après une période de mise à l’épreuve de 2 mois. Selon un mode 1:1, les patients ont été répartis dans deux groupes : 70 patients abstinents et 70 patients témoins poursuivant le même régime de boissons pendant 6 mois.
Les critères primaires étaient le nombre de patients ayant une récidive de FA, la date de survenue, le temps passé en FA. Les critères secondaires évalués comparaient notamment le poids, la tension artérielle, les hospitalisations en rapport avec la FA, les symptômes liés à l’arythmie, la qualité de la vie.
Surveillance clinique, électrocardiographique et contrôles urinaires
La sobriété était surveillée cliniquement (semainier, entretien directs, téléphoniques, courriels), tandis que le rythme était évalué par l’interrogation des éventuels dispositifs implantés, par l’envoi biquotidien (voire plus souvent) d’enregistrements (AliveCor Kardia Mobile EKG monitors) et éventuellement le port de holter pendant 7 jours. Des dosages urinaires réalisés au hasard ont permis de contrôler les abstinents. Les événements et la consommation d’alcool des deux premières semaines de l’étude n’ont pas été pris en compte.
Les participants étaient majoritairement des hommes (85%) âgés en moyenne de 63 ans. Ils consommaient en moyenne 17 boissons standard/semaine (16 dans le groupe témoin). Le suivi a été particulièrement précis avec 98% de réponses au sujet de la consommation d’alcool et 86% de tracés analysables à 6 mois.
Quinze verres d’alcool en moins par semaine et moins de récidives de FA
Les sujets du groupe abstinent ont diminué leur consommation hebdomadaire de 17 à 2 verres soit une réduction de 87,5%. Il y a même eu 61% de sujets totalement abstinents pendant ces 6 mois et 86% qui avaient diminué de 70% leur nombre de verres/semaine.
Chez les témoins, une diminution des boissons alcoolisées de 16 à 13 boissons/semaine, soit une réduction de 17%, a aussi été observée.
Un épisode de FA, de 30 secondes ou plus, est survenu moins souvent pendant ces 6 mois dans le groupe sobre (53% soit 37 sujets) comparé au groupe témoin (73% soit 51 témoins).
La survenue de la première récidive de FA intervenait, par ailleurs, deux fois plus tardivement dans le groupe sobre comparé aux témoins. Cette différence est statistiquement significative : HR 0,55 (0,36-0,84, p=0,005)
Le pourcentage de temps médian passée en FA était aussi moins long 0,5% vs 1,2% (p= 0 ,01) dans la population sobre.
Première étude randomisée sur le rôle de l’alcool dans la FA
Pour ce qui est des effets collatéraux bénéfiques, les auteurs remarquent une diminution du poids en moyenne de 3,7 kg chez les abstinents, une diminution du nombre d’hospitalisations pour FA par rapport au groupe témoin (9% vs 20%). Les désagréments liés à l’arythmie ont été moins importants chez les abstinents. En revanche, les réponses concernant la tension artérielle, la qualité de vie, la dépression manquaient chez 35% des participants.
Il s’agit de la première étude randomisée concernant le rôle de l’alcool dans la survenue de crises de FA chez les patients souffrant de cette affection, notent les auteurs.
Toutefois, en 2014, une étude suédoise avait fait le parallèle entre le risque relatif de survenue de FA et le nombre de verres d’alcool consommés quotidiennement [3] et « avait montré une forte relation de cause à effet » signalent-ils.
Mécanismes inconnus
Dans un éditorial accompagnant l’article, Anne Gillis (Calgary, Alberta. Canada) remarque que si « l’incidence de la FA est fortement associée à la consommation modérée ou excessive d’alcool, avec un effet dose-dépendant – augmentation de l’incidence de la FA de 8% pour un verre par jour – en revanche les mécanismes par lesquels l’abstinence diminue les récidives de FA ne sont pas connus ». L’alcool agit sur le système nerveux autonome, serait initiateur d’inflammation (notamment via la pratique de l’alcoolisation massive (binge) soit 25% des participants de cette étude). Il interfèrerait avec la fonction endothéliale, provoquerait des remaniements structurels myocardiques… On sait par ailleurs que la récidive de FA après ablation par cathéter est plus fréquente lors de la consommation d’alcool.
Si l’étude a été bien menée, quelques faiblesses et incertitudes sont signalées par les auteurs. La durée initialement prévue de l’étude était de 12 mois, mais entre 7 et 12 mois le recueil des données n’a été que de…21% ! On rappelle, d’autre part, que 70% des patients préemptés ont refusé de participer après les deux mois d’essai. On peut penser à juste titre que les participants qui sont restés étaient fortement motivés !
Cela conduit A Gillis à poser la question « Est-il possible de maintenir à long terme une diminution de la consommation d’alcool ou l’abstinence ? En effet, la consommation d’alcool et très ancrée et liés aux rites sociaux et à l’alimentation (…) » Le renoncement de 70% des patients préalablement sélectionnés répond d’une certaine façon à sa question !
Sobriété : un but difficile à atteindre pour certains
La faible participation féminine ne permet pas de conclure ici à un effet de l’abstinence chez les femmes. Par ailleurs, la sévérite de la FA était relativement faible dans les deux groupes. Qu’en serait-il chez les patients plus sévèrement atteints : comorbidités, anomalies structurelles ? Enfin, les auteurs manquent de données sur la charge de la FA avant l’étude.
« Cette étude est néanmoins un marqueur important confortant la place de l’abstinence dans la prise en charge de la FA. Toutefois, si l’intérêt de la sobriété est réel dans cette dysrythmie, c’est un but difficile à atteindre » conclut, lucide, le Dr A. Gillis.
Ajoutons que des études épidémiologiques suggèrent que la consommation modérée d’alcool est associée avec une plus faible incidence des maladies cardiovasculaires…
#DryJanuary ou le défi du janvier sobre
Dans notre pays, l’agence nationale Santé Publique France avait proposé d’importer le « Dry January » - en écho au « Dry January » portées par l’association britannique Alcohol Change UK - et d’en faire le « Mois sans alcool », mais le président de la République Emmanuel Macron s’y est opposé, une décision prise sous la pression du monde de la viticulture, avait affirmé l’addictologue Michel Reynaud, président du Fonds actions addictions, à franceinfo. Cette position a déclenché une importante polémique, les acteurs associatifs et de santé décidant de maintenir leur campagne sans le soutien des pouvoirs publics, avec par conséquent, une certaine hétérogénéité mais un succès certain sur les réseaux sociaux.
Au final, on trouve donc en France deux noms, Janvier Sobre[5] et DryJanuary, et deux initiateurs différents, pour un objectif commun : faire du mois de janvier une formidable occasion de s’interroger sur sa consommation d’alcool, de la réduire, voire de l’éliminer. Initiée en 2013 et adoptée depuis par une dizaine de pays, cette initiative a connu un succès croissant au fil des années, avec semble-t-il une certaine efficacité [6,7]. En janvier 2014, sur 900 sujets interrogés 72% avaient réduit leur consommation excessive (binge) et 4% avaient cessé de boire de l’alcool. On espère des résultats identiques en France.
Alive Technologies a offert une réduction de 20% pour les enregistreurs AliveCor Kardia Mobile EKG monitors utilisés dans l’étude.
Le Dr Gillis reçois des honoraires de Medtronic Inc, sans lien d’intérêt direct dans le cas présent. |
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Citer cet article: La sobriété alcoolique améliore la fibrillation auriculaire paroxystique récidivante - Medscape - 8 janv 2020.
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