Baltimore, Etats-Unis – Être exposé à des musiques comportant des sonorités particulières pourrait constituer une option thérapeutique non invasive pour réduire les crises épileptique chez les patients souffrant d’épilepsie réfractaire, suggère une étude préliminaire [1].
Les investigateurs ont en effet trouvé que cette nouvelle thérapie régulait les décharges épileptiformes intercritiques (activité épileptiforme inter-ictale [IEA]) chez les patients réfractaires aux autres formes de traitement, comme les médicaments antiépileptiques, et était particulièrement efficace chez les patients qui présentaient une IEA élevée à l’état basal.
Chez ces patients, « nous avons montré que les stimuli que nous avons créés spécialement pour cette expérimentation avaient un effet notable sur la fréquence de l’activité intercritique » a expliqué Grace Leslie, chercheur et professeur assistant à la School of Music (Georgia Institute of Technology, Atlanta), à Medscape Medical News.
Les résultats ont été présentés au congrès annuel de l’American Epilepsy Society (AES) 2019.
Théorie auditive
Environ 40% des patients souffrant d’épilepsie sont réfractaires aux médicaments. Bien que différentes techniques de neuromodulation puissent réduire l’IEA, ces options ont tendance à être invasives et incluent de la chirurgie résective, et l’implantation de dispositifs de stimulation électrique (stimulation du nerf vague, stimulation cérébrale profonde et stimulation magnétique transcrânienne répétée).
L’utilisation de tonalités sonores de basses fréquences a déjà été testée dans les maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, avec quelques succès en termes d’allègement de la pathologie, a expliqué Robert J. Quon, doctorant et co-investigateur (Dartmouth Geisel School of Medicine, Hanover, New Hampshire).
Le mécanisme qui sous-tend ces effets thérapeutiques bénéfiques reste inconnu, même si les experts ont avancé quelques théories. Par exemple, ce type d’intervention pourrait augmenter le flux sanguin dans certaines régions cérébrales et recruter des cellules sanguines aidantes, avance Grace Leslie.
Dans le domaine de l’épilepsie, il y a peu de preuves de la façon dont les tonalités basses améliorent les crises. « Notre théorie est que cela peut réduire l’activité inter-ictale des patients épileptiques, mais nos recherches en cours consistent à explorer les mécanismes physiologiques potentiels qui sous-tendent ces bénéfices » explique Robert J. Quon.
« Bruit blanc » et synchronisation
Pour évaluer cette approche, les chercheurs ont recruté neuf patients souffrant d’épilepsie réfractaire qui étaient admis à l’hôpital Dartmouth-Hitchcock Medical Center) pour un suivi par électroencéphalographie intracraniale (ECoG). « Les électrodes ont été implantées dans le cerveau pour un examen pré-chirurgical visant à déterminer quelle région spécifique du cerveau était impliquée dans la survenue des crises et leur propagation » a précisé le jeune chercheur.
Les investigateurs ont enregistré l’activité cérébrale des participants pendant l’exposition à une sélection de courts stimuli acoustiques. L’un d’eux était la sonate de Mozart pour Deux pianos en Ré Majeur (K448). Ce morceau a été choisi, en partie, parce qu’il a été utilisé dans des expérimentations réalisées par des chercheurs taïwanais qui étudiaient l’impact de la musique sur l’activité épileptiforme chez des enfants.
Les fréquences les plus basses pouvant être détectées par les humains sont d’environ 20 Hz. Les fréquences un peu plus hautes utilisées dans l’étude peuvent ressembler à fond sonore ou à un grésillement de « bruit blanc ».
« Nous essayons de voir comment ces tonalités peuvent affecter les fréquences d’activité inter-ictale et s’il existe une forme de synchronisation cérébrale, comme un alignement du cerveau, sur ces types de sonorités externes » ajoute Robert J. Quon.
*Le bruit blanc, nom choisi par analogie à la « lumière blanche » qui superpose des ondes du spectre du visible, est composé de toutes les fréquences audibles. Le bruit blanc présenterait des propriétés hypnotiques. Selon certains auteurs, cette superposition de bruit à large spectre pourrait être une alternative non-pharmacologique à de nombreux médicaments sédatifs, hypnotiques utilisés pour combattre l’insomnie, divers troubles psychiatriques, ou effets du stress et du stress post-traumatique.
Réponse significative aux sonorités
En utilisant un détecteur automatique d’activité développé par un autre laboratoire, les chercheurs ont séparé les patients en deux groupes d’activité inter-ictale basse et élevée.
Les résultats ont montré que l’exposition à de basses fréquences réduisaient significativement l’activité inter-ictale.
« Nous avons trouvé que dans le groupe qui présentait une activité inter-ictale basse, la réponse était très forte ».
« De façon intéressante, dans le groupe avec un taux d’activité élevée, nous avons montré une réponse significative chez 3 des 4 sujets pendant l’exposition au stimulus, signifiant qu’il y a eu une réduction des pics d’activité quand nous avons joué ce morceau » a détaillé le doctorant.
Lequel pense que le groupe a l’activité basale élevée lui a permis de détecter des altérations de la fréquence de l’activité inter-ictale masquées chez les patients dont l’activité basale est basse.
Cette réduction de l’activité inter-ictale était généralisée à tout l’hémisphère droit, plus spécifiquement au cortex temporal supérieur et à l’hippocampe – des régions cérébrales dont les scientifiques pensent qu’elles sont impliquées dans l’analyse de la musique dans le cerveau.
Prescription musicale
Réduire l’activité épileptiforme pourrait augmenter les processus cognitifs chez les patients atteints d’épilepsie réfractaire, a commenté Grace Leslie.
Une des prochaines étapes de recherche sera de déterminer s’il y a un bénéfice supplémentaire à s’exposer plus durablement à ces sonorités.
Les résultats actuels « représentent un boulevard » pour la prise en charge de l’épilepsie, a considéré l’investigatrice.
« Notre recherche fait avancer la compréhension des relations étroites entre musique et épilepsie, et va générer des connaissances importantes pour de futures applications de la neuromodulation sensorielle non invasive » a-t-elle ajouté. « Je pense que nous pourrions composer et valider de nouveaux styles de musique qui ramèneraient santé et bien-être chez les patients. Dans 5 à 10 ans, nous pourrions envisager qu’un médecin puisse prescrire une intervention sous forme de musique pour faire face à un besoin spécifique d’un patient ».
Dans un commentaire pour Medscape Medical News, le Dr Daniel Goldenholz, (neurologue, Beth Israel Deaconess Medical Center, Harvard Medical School, Boston, Massachusetts) a qualifié ces résultats de « captivants ».
« Les auteurs soulèvent la question de savoir si les patients pourraient être aidés par des écouteurs. Si c’était le cas, ce serait génial car cela ne nécessiterait ni médicaments ni branchements intracrâniens » a-t-il jugé alors qu’il n’est pas impliqué dans cette recherche.
Il a mentionné qu’il y a bien eu des cas rapportés d’utilisation de la musique de Mozart pour stopper des crises d’épilepsie chez des patients souffrant d’épilepsie.
Néanmoins, le Dr Goldenholz s’est demandé si prêter attention à tout ce qui est susceptible d’occuper le cerveau n’aurait pas aussi un effet anti-IEA à court terme. Il note à ce titre la preuve anecdotique d’une activité IEA réduite pendant la conduite.
« Peut-être y-a-t-il un bénéfice pour les patients à faire simplement une tâche exigeante demandant toute leur attention » a-t-il suggéré. Le neurologue s’est aussi dit curieux de savoir ce qui arriverait au cerveau après que l’exposition aux stimuli auditifs s’arrête.
« Les patients reviennent-ils à nouveau à leur taux basal ? » s’est-il demandé.
La chercheuse Grace Leslie a indiqué que toutes ces questions feraient l’objet d’une future recherche.
L'étude n’a pas reçu de financements spécifiques, ni ses auteurs.
La version originale de l’article a été publiée en anglais sur Medscape Medical News le 19 décembre 2019 et traduite par Stéphanie Lavaud pour Medscape édition française.
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Citer cet article: De la musique pour calmer le cerveau des épileptiques - Medscape - 6 janv 2020.
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