Royaume-Uni, Etats-Unis--Les investigateurs de l’étude EXCEL ont-ils triché en omettant de publier certains résultats ? Basées sur cet essai, les recommandations conjointes de l’EACTS (European Association for Cardio-Thoracic Surgery) et de l’ESC (European Society of Cardiology) sur la revascularisation des lésions du tronc commun de la coronaire gauche seraient caduques, voire dangereuses, selon certains experts.
Les recommandations européennes avaient été mises à jour en 2018 en se fondant en partie sur les données de suivi à 3 ans de l’étude EXCEL. Mais, l’émission britannique BBC Newsnight a jeté un pavé dans la marre en affirmant que tous les résultats de ce travail n’avaient pas été publiés. Et d’ajouter que si l’on prend en compte les données « occultes », la position prise par les sociétés savantes européennes met en danger les patients.
Les données d’EXCEL ont entraîné une modification des recommandations
L’étude EXCEL (Evaluation of XIENCE versus Coronary Artery Bypass Surgeryfor Effectiveness of Left Main Revascularisation) coordonnée par la Dr Gregg Stone (New York) a inclus 1 905 patients atteints d’une obstruction du tronc commun de complexité anatomique faible à intermédiaire.
Les données n'ont montré aucune différence de risque (non infériorité) pour le critère principal composite (mortalité, infarctus du myocarde ou AVC) entre le bras percutané (ICP) et le bras chirurgie (respectivement 15,4 % et 14,7 % à 3 ans (HR : 1,00 [CI 95 % : 0,79-1,26].
Par conséquent, lors de la réactualisation des recommandations en 2018, l’EACTS et l’ESC ont conservé une recommandation de classe Ia pour les pontages aortocoronariens chez tous les patients avec des lésions du tronc commun de la coronaire gauche quelle que soit la complexité anatomique, mais ont attribué une recommandation de classe Ia à la ICP pour les patients avec un faible score SYNTAX et une recommandation de classe IIa et III pour ceux qui avaient des scores SYNTAX élevés.
Comment une chaine de télévision a-t-elle mis la communauté cardiologique en défaut ?
Seulement voilà, citant une fuite concernant des données « non publiées », BBC Newsnight a dévoilé cette semaine qu'en vertu de la troisième définition universelle de l'IDM, un critère secondaire de l’étude (que les auteurs n’ont pas rapporté), le taux d'IDM dans l’essai était plus élevé chez les patients qui avaient subi une ICP plutôt qu'une intervention chirurgicale.
Durant les 14 minutes de l’émission, les journalistes indiquent que selon la définition universelle de l’infarctus et non la définition de la Society for Cardiovascular Angiography and Interventions--SCAI finalement utilisée dans l’étude EXCEL, le taux de complications ischémiques myocardiques serait majoré de 80 % avec l’utilisation des stents.
En outre, les journalistes rappellent que les investigateurs de l’essai EXCEL s’étaient engagés à produire les résultats selon les deux définitions de l’infarctus, ce qu’ils n’ont pas fait.
Interrogés à ce propos par la BBC, les investigateurs ont avancé qu’il s’agissait de « fausses informations ».
Ils indiquent que « rapporter le taux d’IDM selon la définition universelle n’était pas possible » entre autre, parce que cette définition s’appuie sur la mesure de la troponine qui était optionnelle dans l’essai.
Un argument balayé par le Pr David Taggart, qui a participé à l’essai mais qui a refusé de signer l’article présentant les résultats d’EXCEL à 5 ans dans le NEJM[1]. Selon l’expert, il était convenu que les résultats soient présentés avec les deux définitions (SCAI et universelle).
« A aucun moment, il n’y a eu un accord sur le fait de ne pas présenter les données en fonction de la définition universelle pré-spécifiée dans le protocole. Sinon, pourquoi le protocole n’a-t-il pas été actualisé ? », souligne-t-il.
Selon lui, le fait que les données en rapport avec la définition universelle ne pouvaient pas être rapportées est « complètement erroné » parce que la définition universelle indique que les valeurs de la créatine kinase-MB (CK-MB) sont la meilleure alternative quand celles de la troponine ne sont pas disponibles. « Comme nous avions ces données, la question reste en suspens. Pourquoi n’ont-t-elles pas été publiées ? »
Aux côtés de David Taggart, les Prs Nick Freemantle (NCL) et Rob Stables (British Heart Foundation) se sont également indignés de la non publication des résultats complets. Le Pr Freemantle (NCL), qui faisait partie du comité de rédaction des recommandations, explique par exemple qu’il « n’aurait pas cautionné la recommandation d’utilisation possible des deux traitements s’il avait été informé des résultats complets ».
Au final, les investigateurs de l’essai ont indiqué qu’il n’y avait « absolument aucune volonté de cacher des données pertinentes. Ils se sont donc engagés à publier un article rapportant l’incidence des IDM en fonction des deux définitions, incluant la définition universelle basée sur les mesures de CK-MB.
La mortalité toutes-causes sous-évaluée ?
Autre point de litige, BBC Newsnight s’est procuré des emails émanant du comité de sécurité de l’essai s’inquiétant d’une mortalité accrue chez les patients traités par ICP lorsque les recommandations EACTS/ESC ont été réactualisées en 2018. Un point déjà mis en exergue par le Pr Taggart qui a refusé de signer la publication des résultats d’EXCEL à 5 ans dans le NEJM en raison de l’absence de discussion sur la mortalité toutes-causes.
Un point, lui aussi réfuté par les investigateurs qui soulignent que la mortalité toutes-causes était un critère secondaire, qui n’avait pas la puissance statistique nécessaire pour être pertinent, et que la « différence modeste » entre les deux bras de l’étude n’avait pas été ajusté pour la multiplicité. Ils ajoutent que l’excès étant principalement lié à des états septiques et à des cancers.
La différence de mortalité n’est pas « modeste » comme l'ont affirmé les chercheurs, mais statistiquement significative (RR =1,38; IC 95%, 1,03 - 1,85), a déclaré, pour sa part le Pr Taggart. « À mon avis, il était particulièrement préoccupant que la divergence de décès à 5 ans ne soit pas spécifiquement discutée dans la publication, notamment compte tenu du fait qu'il s'agissait de patients relativement jeunes (âge moyen 66 ans) atteints d’obstruction du tronc commun de complexité anatomique faible à intermédiaire ».
Les positions de l’EACTS et de l’ESC
Dans un communiqué de l’EACTS, le Pr Dominico Pagano (secrétaire général de l’EACTS), explique « que l’analyse de la BBC a été prise en compte … que certains résultats de l’étude EXCEL semblent avoir été cachés… que certains patients pourraient avoir été traités de façon inadéquate en se fondant sur de mauvais conseils… L’EACTS a donc pris la décision à l’unanimité de suspendre ses recommandations sur la prise en charge des lésions du tronc commun… Si les informations données par la BBC sont correctes, alors les recommandations sont dangereuses… ».
Le 15 décembre, l’ESC n’avait pas fait part d’une position officielle sur son site. A la BBC, la Société a confirmé sa position vis-à-vis des recommandations. Interrogé par theheart.org/Medscape Cardiology, l’ESC a réaffirmé que ses recommandations étaient fondées sur les « données publiées et révisées par les pairs à l’époque ». Un examen des « nouvelles données » devrait être réalisé dans les jours qui viennent en conjonction avec des membres de l’EACTS, a expliqué le directeur de la communication de l’ESC, John McKenzie.
Contre-attaque de la SCAI
Les investigateurs de EXCEL ayant publié leur analyse en se fondant sur les critères d’infarctus du myocarde proposés par la SCAI (Society for Cardiovascular Angiography & Interventions), cette société a elle aussi publié un communiqué sur l’Affaire EXCEL.
La SCAI met en avant son désaccord avec l’EACTS concernant l’interprétation de l’étude.
Elle précise que les investigateurs ont choisi la définition SCAI car elle a été utilisée dans de multiples études et qu’elle évite de prendre en compte les petits IDM qui n’ont pas d'impact clinique en privilégiant les l'IDM « plus probablement cliniquement pertinent ».
Elle ajoute également que « bien que les données de suivi à 5 ans montrent que la mortalité toutes causes est plus élevée pour les patients traités par PCI (13% vs 9%), il n'y avait pas de différence en termes de décès cardiovasculaires (5% vs 4,5%) ».
Et d’ajouter que « bien que la mortalité toutes causes confondues soit un critère important, l’étude EXCEL n’avait pas été conçue pour apprécier cette valeur ». Et que si des différences en termes de mortalité entre les deux bras avaient existé, une différence significative de la mortalité d’origine cardiaque aurait été notée, ce qui n’est pas le cas et ce qui « est rassurant ».
La société conclut: « SCAI endosse les recommandations européennes et américaines qui soutiennent l'utilisation de stents coronaires pour la sténose du tronc commun gauche chez des patients correctement sélectionnés. »
La British Heart Foundation se veut rassurante
Dans un communiqué transmis à theheart.org/Medscape Cardiology, la British Heart Foundation, a déclaré que les résultats d'EXCEL ne s'appliquent qu'aux patients atteints de lésions du tronc commun de la coronaire gauche et souhaite rassurer les patients.
« Il est important que tous les essais cliniques soient rapportés et communiqués de manière ouverte et transparente, car ils aident les médecins à décider- en utilisant les dernières données probantes - quels traitements sont les meilleurs pour chaque patient », a déclaré la directrice médicale associée de la BHF, le Dr Sonya Babu-Narayan.
« Les personnes qui ont subi une revascularisation cardiaque par le passé ne devraient pas s’inquiéter de ces résultats, car nous savons que les stents et les pontages sont tous deux des traitements efficaces. »
EXCEL a été financé par Abbott Vascular. Les liens d’intérêts des auteurs de l’étude EXCEL sur 5 ans sont disponibles sur NEJM.com. Rob Stables a rapporté des liens d’intérêt avec Abbott au cours des 5 dernières années.
Cet article est une traduction/adaptation par Isabelle Catala et Aude Lecrubier des articles European Left Main Guidelines in Disarray After EXCEL Cover-up Alleged et EXCEL Leaders Answer Back After BBC Exposé publiés sur medscape.com.
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Citer cet article: Revascularisation du tronc commun : les recommandations s’appuient-elles sur des résultats biaisés ? - Medscape - 20 déc 2019.
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