Le NHS partage les données de santé de millions de britanniques avec Amazon et fait scandale

Philippe Anaton

Auteurs et déclarations

18 décembre 2019

Royaume-Uni, Etats-Unis — Il y a quelques mois, Amazon a obtenu un accès gratuit aux informations de santé collectées par le système de la santé publique britannique (NHS), dans le cadre d'un contrat avec le gouvernement du Royaume-Uni.

Mais que va faire Amazon des données de santé de millions de britanniques ? Uniquement les utiliser pour prodiguer des conseils médicaux aux utilisateurs de son assistant virtuel Alexa, comme elle le dit ? Pas si sûr, s’inquiètent certains.

Suite à de nombreuses demandes d’organisations non gouvernementales (ONG), le ministère de la Santé britannique a publié une partie de son contrat avec Amazon, créant une nouvelle polémique. Certains médias et ONG s’inquiètent d’une possible commercialisation des données de santé et dénoncent un manque de transparence concernant les termes du contrat.

Un partenariat annoncé en juillet

Pour rappel, c'est au début du mois de juillet dernier que le secrétaire d'État à la santé en Grande-Bretagne, Matt Hancock, a annoncé qu'un partenariat avait été signé avec le géant du e-commerce Amazon.

Objectif : ajouter les données santé du NHS à celles de la base d’Alexa pour permettre aux patients de bénéficier de meilleurs conseils via l'assistant vocal d'Amazon.

Dans un communiqué rendu public sur leur site, le NHS expliquait alors qu’en 2020, 50% des recherches sur Internet se feraient grâce à un assistant vocal.

Assistant vocal Alexa

Après avoir étudié la possibilité de développer leur propre application, le NHS a pensé qu'il était plus judicieux d'utiliser Alexa. « En ajoutant nos données à la base Alexa, nous pourrions ainsi répondre à tout un tas de questions pertinentes qui ne nécessitent pas la présence d'un expert », expliquait le communiqué.

Le NHS poursuivait en affirmant qu'elle avait bien pris conscience que les intérêts d'Amazon, une société commerciale, étaient différents de ceux de le NHS, et que cela soulevait des questions éthiques.

En revanche, le NHS s'était déclarée « heureuse de pouvoir offrir de véritables réponses en matière de santé à tous les utilisateurs d'Alexa ». Et d'ajouter : « Nous offrons un accès gratuit à nos contenus à tous ceux qui veulent créer des produits ou des services. Néanmoins, nos partenaires doivent respecter certaines spécifications en matière de marque, et n'opérer aucun changement sur nos contenus ».

Dans cette communication, le NHS avait aussi tenté de répondre à certaines inquiétudes du grand public, relayées par les médias en précisant qu’Alexa ne se substituait pas à une consultation médicale ou infirmière : « l'application se contente de donner des informations générales sur les conduites à tenir, et sur le comportement à adopter face à certaines pathologies : quels sont les symptômes de la varicelle ? Comment soulager une migraine? Que faire contre la grippe ? ».

Pas d’utilisation commerciale ?

Concernant l'usage des données de santé auxquels a accès Amazon, le NHS avait alors expliqué : « avoir totalement confiance dans le fait que le géant du web n'utilisera pas ces données avec des tiers. Amazon ne vendra pas de produits dérivés de ces données de santé, pas plus qu'il n'utilisera les données de santé auxquelles il a accès pour profiler ses clients ».

Le NHS avait rappelé que ses contenus étaient d'ores et déjà en accès libre sur son site, et qu'elle avait signé des partenariats avec plus de 1500 organisations. Et de rappeler qu'Amazon n'aurait pas l'exclusivité, mentionnant qu’elle était en discussion avec d'autres compagnies qui commercialisent des assistants vocaux.

La controverse

Ces prévenances n'ont pas pour autant rassuré nombre d'acteurs, aussi bien dans le secteur des ONG que des médias. Le 8 décembre dernier, le quotidien anglais The Guardian faisait paraître une enquête intitulée : « Le NHS accorde un accès gratuit aux données de santé via l'assistant vocal Alexa ».

Et, à la différence de ce qu'affirme le NHS, The Guardian écrit que l'accès aux données de santé anglaises va permettre à la multinationale de vendre ses propres produits. Selon le contrat rendu public par entre le NHS et Amazon, le géant du web pourra créer de nouveaux produits, applications, logiciels, mais aussi partager ces informations avec des sociétés tiers. Amazon a pour sa part assuré que les contenus auxquels il aura accès sont d'ores et déjà en accès libre sur le site de le NHS.

Manque de transparence

Au-delà des médias, l'ONG Privacy international (PI), qui œuvre pour la protection de la vie privée, s'est également inquiétée de ce partenariat signé entre Amazon et le NHS.

PI a regardé de très près les termes de ce contrat, divisé en deux sections. La première, rapporte PI, concerne des généralités. La deuxième est plus intéressante, puisqu'elle détaille l'utilisation des données de santé par Amazon, via son application Alexa.

PI regrette le manque de transparence de le NHS car un certain nombre de paragraphes de ce contrat n'ont pas été rendus publics, notamment ceux concernant les conséquences pour Amazon en cas de non-respect des termes du contrat.

Par ailleurs, un autre paragraphe a été supprimé, qui concerne le détail de l'ensemble des données auxquelles a accès Amazon. Autre information : les réponses sanitaires d'Alexa ne proviennent pas de la seule base du NHS. Des données de la Mayo clinic sont également utilisées, dans les réponses d'Alexa.

Aussi, pour PI, « l'accord entre le ministère de la Santé et Amazon semble clairement autoriser ce dernier à utiliser les informations fournies sur le site Web du NHS à des fins diverses, y compris la publicité ou le marketing ». Ce qui alarme PI, eu égard au fait qu'Amazon a clairement investi, ces dernières années, le secteur de la santé, en créant des produits ou des services sanitaires (Lire aussi : En lançant sa marque de médicaments, Amazon investit la e-santé).

Pour garantir que ce type de contrat ne se fasse pas aux frais des patients, PI recommande au ministère de la Santé de faire toute la transparence sur ces accords. L'ONG trouve aussi regrettable que le ministère de la Santé accorde à Amazon une publicité gratuite alors que la société n’est pas très regardante sur le respect de la vie privée, pas plus que sur le paiement des taxes et impôts dus par les sociétés commerciales aux États.

 

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