Paris, France — En France, le taux de réintervention après la pose de bandelettes sous-urétrales synthétiques dans le traitement d’une incontinence urinaire d’effort atteint près de 6%, avec une majorité d’opérations menées pour retirer les implants, selon une étude rétrospective, dont les résultats ont été présentés lors du 113ème congrès de l’AFU [1]. Ce taux continue de progresser, preuve que les complications liées à ces prothèses de renfort peuvent survenir à long terme.
En Grande-Bretagne, les autorités ont suspendu l’année dernière l’usage des bandelettes sous-urétrales par principe de précaution, au même titre que les prothèses vaginales.
En France, les urologues souhaitent que ces bandelettes restent sur le marché mais, compte tenu du risque de complications, « il apparait indispensable de bien suivre les patientes après la pose de bandelettes sous-urétrales et de les informer au mieux des risques », a insisté le Pr Jean-Nicolas Cornu (CHU de Rouen), lors de sa présentation. « Il faudra aussi réfléchir au meilleur moyen de prendre en charge ces complications. Retirer des bandelettes est compliqué. Cela nécessite une expertise. »
Bandelettes sous-urétrales : évaluation en cours
Depuis la publication des Implant Files, une vaste enquête qui a révélé l’année dernière des lacunes et un certain laxisme dans la certification des dispositifs médicaux, l’utilisation des prothèses de renfort en polypropylène dans le traitement du prolapsus (descente d’organes) et de l’incontinence urinaire est fortement contestée, en raison d’un profil de sécurité jugé insatisfaisant.
Dans le cas du prolapsus, les prothèses vaginales pourraient voir leur utilisation être bientôt interdite en France. Les fabricants n’ont, en effet, pas fourni les preuves de l’efficacité et de la sécurité de ces dispositifs dans le délai imposé par les autorités de santé.
Les urologues sont confiants
S’agissant des bandelettes sous-urétrales pour le traitement de l’incontinence urinaire, le délai fixé pour l’évaluation des dispositifs est plus long. Par ailleurs, le Pr Xavier Gamé (CHU de Rangueil, Toulouse), secrétaire général de l’AFU, s’est dit confiant quant au maintien sur le marché de ces bandelettes, en raison d’un recul suffisant dans le traitement de l’incontinence d’effort.
Un avis partagé par le Dr Cornu. « Je ne pense pas que les bandelettes sous-urétrales vont être retirées du marché. Il faut plutôt espérer des autorités qu’elles se mobilisent pour nous aider à structurer la prise en charge », afin notamment de mieux traiter les complications, a précisé le chirurgien urologue, auprès de Medscape édition française.
Le traitement de l’incontinence par la pose de bandelettes « existe depuis plus de 20 ans », a-t-il rappelé. « Les nombreuses études évaluant ces dispositifs rapportent une efficacité dans plus de 90% des cas. Cette intervention n’est pas mauvaise en soi ».
Toujours interdites Outre-Manche
Il n’empêche, le scandale provoqué par les Implant Files et les nombreux effets indésirables associées aux anciens modèles de prothèses vaginales utilisées pour traiter le prolapsus jette le discrédit sur cette technique. D’autant plus que certains pays l’ont depuis interdite.
C’est le cas notamment en Grande-Bretagne, où les autorités ont suspendu l’année dernière l’usage des bandelettes sous-urétrales par principe de précaution, au même titre que les prothèses vaginales, en attendant une évaluation plus approfondie, a rappelé le Dr Cornu.
Sollicité, le NICE britannique (National Institute fior Health and Care Excellence) a rendu son avis sur le traitement de l’incontinence d’effort en avril dernier. Après échec des approches non chirurgicales (traitement médicamenteux, rééducation…), la colposuspension rétropubienne ou la pose de bandelettes autologues (fronde de tissu vaginal) sont à envisager en première ligne.
La colposuspension rétropubienne est une chirurgie réalisée par voie haute qui consiste à soutenir les tissus situés autour de la jonction de la vessie et de l’urètre, en « accrochant » le vagin à l’os pubien par des fils. Découpées au niveau du vagin, les bandelettes autologues sont, quant à elles, accrochées à la zone pubienne par voie vaginale.
Dans les nouvelles recommandations britanniques, la pose par voie vaginale de bandelettes synthétiques de type rétropubiennes (TVT) trouve sa place, mais en seconde ligne. En revanche, l’utilisation de bandelettes transobturatrices (TOT), posées à travers les orifices du bassin (trou obturateur), est déconseillée.
Des complications qui s’accumulent
« Les recommandations indiquent que les patientes doivent être informées des risques et de la possible incapacité à retirer la totalité des bandelettes en cas de complication », précise le Dr Cornu. La marque du dispositif, le nom du fabricant et la marche à suivre en cas d’effet indésirable sont également précisés.
« Pour autant, malgré ces recommandations, l’interdiction des bandelettes sous-urétrales persiste en Angleterre », a souligné le chirurgien urologue.
Il faut dire que les récentes données concernant le risque de complications sont peu rassurantes. Une large étude anglaise montre ainsi un taux de réadmission en progression, après un taux à 4% à deux ans après l’opération [2]. « On a l’impression que ces complications s’accumulent progressivement dans le temps », commente le Dr Cornu.
Dans cette étude rétrospective portant sur les données de plus de 90 000 femmes opérées pour une incontinence d’effort, 2,3% d’entre elles ont été réopérées pour une complication liée aux bandelettes, avec étonnamment une majorité concernant les bandelettes TVT (2,5% contre 1,9% avec les bandelettes TOT).
Une autre étude anglaise, dont les résultats ont été publiés dans le JAMA, montre que 7% des patientes ont été réopérées neuf ans après la pose des bandelettes. Dans 4% des cas, l’intervention a été menée pour traiter une récidive d’incontinence, tandis que 3% des patientes ont subi une nouvelle opération pour retirer les bandelettes.
Contrairement à l’étude précédente, le taux de réintervention est plus élevé avec les bandelettes TOT (5% contre 4% avec les bandelettes TVT). « Mais, les complications sont plus nombreuses avec les TVT », souligne le chirurgien urologue.
En France, 2 000 à 2 500 réinterventions par an
En France, selon une étude rétrospective menée par le Comité d’urologie et de périnéologie de la femme (CUROPF) de l’AFU, 550 000 bandelettes ont été posées depuis 2004, avec un pic s’élevant à près de 45 000 implants posés par an en 2006. Le nombre d’intervention est depuis en baisse pour atteindre près de 30 000 poses en 2018.
En 13 ans, 32 000 nouvelles interventions pour complication ont été enregistrées, soit un taux de réopération à 5,8%, dont 1,8% de section de bandelettes et 4% d’ablation. « En France, on compte chaque année entre 2 000 à 2 500 réinterventions pour complication de bandelette sous-urétrales », précise le Dr Cornu, également coordonateur du CUROPF.
Comme pour les études anglaises, « la prévalence des complications est en lente augmentation », ajoute-t-il. De plus, « ce n’est que la partie immergée de l’iceberg, car nous n’avons pas les données concernant le taux de réintervention pour récidive d’incontinence, ni le nombre de patientes qui ne sont pas réopérées alors qu’elles présentent toujours une incontinence ou souffrent de douleurs ».
« Sans compter qu’on ne sait pas vraiment ce que deviennent ces patientes une fois qu’elles ont été à nouveau opérées. L’avenir reste incertain pour elles. Beaucoup reviennent avec des dyspareunies ou des douleurs pelviennes. » Une étude américaine a néanmoins donné un aperçu en révélant que 40% des patientes réopérées n’ont pas vu leur état s’améliorer.
Selon le Dr Cornu, « les patientes doivent être informées au mieux des risques ». Il souligne également l’absence de recommandations pour prendre en charge les complications. « Nous attendons désormais des autorités des recommandations dans le traitement de l’incontinence d’effort, comme cela a été fait pour le prolapsus », a-t-il conclu.
Jean-Nicolas Cornu a reçu des bourses de recherche de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris, de Oak Ridge Associated Universities, de l’Association Française d’Urologie et de GSK, il est consultant pour Bard, AMS, EDAP-TMS, Coloplast, Pfizer, MundiPharma, Astellas, Bouchara-Recordati, Biocompatibles UK et Takeda. |
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Citer cet article: Bandelettes sous-urétrales dans l’incontinence urinaire : faudrait-il les interdire au même titre que les prothèses vaginales dans le prolapsus? - Medscape - 16 déc 2019.
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