Infections urinaires : quelle antibiothérapie en cas de bactéries multirésistantes?

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

16 décembre 2019

Paris, France Lors du 113ème congrès de l’AFU , une session a été dédiée à la problématique de l’antibiorésistance et de ses conséquences dans la prise en charge en particulier des infections urinaires [1]. L’occasion de revenir sur l’évolution des pratiques quotidiennes dans le choix des antibiotiques face à une suspicion d’infection par entérobactéries résistantes aux bêta-lactamines (EBLSE) ou aux carbapénèmes, des bactéries classées multi-résistantes (BMR) ou hautement résistantes (BHR).

Ces dernières années, l’épidémiologie des bactéries résistantes s’est largement modifiée, avec la progression préoccupante en ville des infections à bactéries sécrétrices de bêta-lactamases à spectre élargi (EBLSE), résistantes à plusieurs antibiotiques de la famille des bêta-lactamines (pénicillines, quinolones, fluoroquinolones, céphalosporines de troisième génération…), ce qui amène à revoir l’approche par antibiothérapie.

Longtemps limitée au milieu hospitalier, « les résistances bactériennes sont devenues quasiment aussi fréquentes en ville qu’à l’hôpital », a souligné le Dr Franck Bruyère (Tours) lors de sa présentation. « Aujourd’hui, on ne peut plus affirmer que les infections en milieu communautaire sont plus sensibles [aux antibiotiques] que les infections nosocomiales. »

 
Les résistances bactériennes sont devenues quasiment aussi fréquentes en ville qu’à l’hôpital. Dr Franck Bruyère
 

Stagnation des résistances aux quinolones

Si les résistances aux quinolones, notamment à la ciprofloxacine (Ciflox®), commencent à stagner, « preuve de l’efficacité des recommandations de bonnes pratiques » émises pour réduire leur consommation, « l’évolution des infections par EBLSE est sérieusement préoccupante », a commenté le chirurgien urologue.

Auparavant, devant une infection, l’approche probabiliste – qui consiste à prescrire une antibiothérapie avant même de connaitre la sensibilité du germe responsable – amenait à choisir une quinolone (ciprofloxacine ou ofloxacine) ou une céphalosporine de troisième génération (C3G) (ceftriaxone ou céfotaxime) pour plus de sécurité, rappelle-t-il. « C’est désormais terminé », le risque étant d’accentuer encore davantage les résistances aux C3G.

« Dans certaines zones, la prévalence des infections résistantes aux C3G ont dépassé les 10% ». Avec une approche probabiliste, qui implique l’utilisation d’un traitement efficace dans plus de 90% des cas, « on peut alors se retrouver sans antibiotiques à disposition », a commenté le Dr Bruyère.

 
Dans certaines zones, la prévalence des infections résistantes aux C3G ont dépassé les 10%. Dr Franck Bruyère
 

Traitement probabiliste limitée à quelques molécules

Selon une récente étude observationnelle multicentrique, dont les résultats ont été présentés lors du dernier congrès d’infectiologie ECCMID 2019, la prévalence de la résistance des souches urinaires EBLSE dans les infections communautaires en France est de 6,6% [2]. En Ile-de-France, elle est presque deux fois plus élevée que dans le reste du pays, avec un taux à 8,5%, contre 4,1% en province.

Dans le cas d’une infection urinaire communautaire (hors infection nosocomiale) à entérobactéries, le traitement probabiliste se limite désormais à quelques molécules, a rappelé le Dr Jean-Ralph Zahar (Hopital universitaire Paris site Avicenne, AP-HP, Bobigny), lors d’une précédente intervention. Selon lui, deux molécules sont encore efficaces contre ces infections: le pivmecillinam (Selexid®) et l’amikacine (Amiklin®).

Les dernières recommandations sur la prise en charge d’une cystite aiguë chez la femme préconisent en antibiothérapie probabiliste la fosfomycine associé au trométamol (Monuril®) en première ligne (dose unique) et le pivmecillinam en seconde intention pendant cinq jours. L’examen cytobactériologique des urines (ECBU) est nécessaire pour un éventuel troisième choix. Les fluoroquinolones ne sont plus recommandées.

S’adapter aux résistances locales

Pour le Dr Bruyère, il est aussi indispensable de tenir compte de l’incidence des résistances bactériennes dans les centres où les patients sont pris en charge, afin d’adapter l’antibiothérapie, mais aussi au niveau régional. « Il faut suivre les recommandations nationales, mais aussi s’adapter aux spécificité locales », a confirmé le Dr Maxime Vallée (CHU de Poitiers), coordonnateur de cette session

Concernant la prévalence des résistances bactériennes, il existe notamment un gradient Nord/Sud en France, mais aussi en Europe, les régions du Sud étant, par exemple, beaucoup plus confrontées à des résistances aux quinolones que celles du Nord. « Il n’est pas tout-à-fait juste d’affirmer qu’il n’est pas possible d’utiliser la ciprofloxacine. C’est vrai au Sud de la France, où on compte 30 à 40% de résistances aux quinolones, mais pas au Nord », estime le Dr Bruyère.

Le chirurgien urologue rappelle toutefois que l’utilisation de quinolones favorise particulièrement l’émergence de résistances. « Ce sont des molécules qui exercent une forte pression de sélection. Avec un seul comprimé, on peut induire une résistance. Il suffit de donner deux comprimés pour que le patient devienne ensuite résistant aux quinolones. »

Outre sa capacité à générer facilement des résistances, les quinologues et les fluoroquinologues sont aussi associés à des effets secondaires sévères, notamment musculaires, qui peuvent être persistantes. L’Agence européenne du médicament (EMA) a, en conséquence, demandé, fin 2018, que les quinolones ne soient plus utilisées et que l’usage des fluoroquinolone (dont le ciprofloxacine) soit restreint.

La prise en charge d’une infection doit aussi tenir compte de certains facteurs liés à un risque accru de résistance. Dans le cas de la résistance aux quinolones, les facteurs de risque sont les suivants:

  • origine nosocomiale de l’infection;

  • exposition antérieure aux fluoroquinolones;

  • présence d’une maladie obstructive affectant l’appareil urinaire;

  • résidence dans un établissement de long séjour.

 
L’utilisation de quinolones favorise particulièrement l’émergence de résistances. Dr Franck Bruyère
 

Tenir compte des facteurs de risque

Pour ce qui de l’infection à entérobactéries EBLSE résistantes aux C3G, les facteurs à prendre en compte sont:

  • l’exposition à un antibiotique (amoxicilline/acide clavulanique, C2G, C3G, fluoroquinolones) dans les trois mois précédents;

  • une infection nosocomiale ou liée aux soins;

  • un antécédent de colonisation ou d’infection à EBLSE dans les trois mois;

  • un voyage à l’étranger dans les trois mois dans les zones géographiques à risque (continent indien, Asie du Sud-est, Moyen Orient et Afrique du nord et bassin méditerranéen);

  • une anomalie fonctionnelle ou organique de l’arbre urinaire (en cas d’infection urinaire).

Infection à EBLSE et carbapénèmes

En cas de suspicion d’infection à EBLSE, il est possible de traiter avec des antibiotiques de la classe des carbapénèmes, mais là encore, avec un risque d’induire une résistance à une classe d’antibiotiques qui reste réservée aux cas les plus sévères. Et, en cas de résistance aux carbapénèmes, le clinicien se retrouve sans bêtalactamine efficace à disposition.

« L’infection par des bactéries résistantes aux carbapénèmes reste heureusement rare, mais il faut s’y préparer », a souligné le Dr Aurélien Dinh (hôpital Raymond-Poincarré, Garches), en guise d’introduction de sa présentation consacrée à la prise en charge de ces infections. En cas de suspicion de résistance au BLSE, « le maître mot est la gravité », précise-t-il.

En effet, en l’absence de signes de gravité, la présence d’un facteur de risque d’infection à entérobactéries résistantes aux C3G ne justifie pas la prescription de carbapénème. Selon les dernières recommandations de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf), un carbapénème est recommandé en probabiliste dans le traitement des infections urinaires communautaires ou associées aux soins:

  • en cas de choc septique et uniquement avec un facteur de risque de BLSE

  • en cas de sepsis grave si antécédent de BLSE urinaire dans les six mois

 
L’infection par des bactéries résistantes aux carbapénèmes reste heureusement rare, mais il faut s’y préparer. Dr Aurélien Dinh
 

Rétrograder l’antibiothérapie

« Lorsque l’infection à EBLSE est confirmée et que les résultats de l’antibiogramme sont connus, il ne faut pas hésiter à rétrograder l’antibiothérapie », ajoute le Dr Dinh. « On peut opter pour un autre antibiotique auquel la souche est sensible ». L’intérêt de substituer un carbapénème par une quinolone reste toutefois débattu, précise-t-il.

Les infections à bactéries porteuses de carbapénémases restent pour le moment des pathologies majoritairement importées. Le voyage à l’étranger dans un pays d’Asie est le facteur de risque majeur. « Si un patient se présente avec une pyélonéphrite aiguë et une diarrhée au retour d’Inde, où il a mangé local, vous pouvez être assuré qu’il est infecté par une bactérie résistante aux carbapénémes », précise le praticien.

En cas de suspicion d’infection de ce type, « le patient doit être isolé pour éviter les transmissions croisées ». Les options thérapeutiques restent limitées. Il est possible d’utiliser la colistine, la tigécycline, « sans savoir si celle-ci est réellement efficace », ou encore la fosfomycine, « dont l’utilisation doit être justifiée auprès de l’ANSM » et l’aminoside, « qui a tendance à altérer les reins ».

« La décision est à prendre selon l’état du patient, en concertation avec le microbiologiste et selon l’arsenal thérapeutique à disposition ». En probabiliste, si le patient est dans un état grave et qu’il revient d’Asie du Sud-Est, « il faut, à mon avis, prescrire à forte dose l’association ceftazidime/avibactam, avec la colistine, l’aztréonam et éventuellement l’aminoside ».

L’association ceftazidime/avibactam (Zavicefta®), qui combine une céphalosporine et une nouvelle molécule inhibitrice de bétalactamase, « devrait devenir le traitement de référence des bactéries porteuses de carbapénémases », a précisé le Dr Dinh.

 

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